mais je garderai ma dignité car c’est mieux que de vivre humiliée»
Elle s’appelait Ruqia Hassan, elle avait 30 ans et était connue pour son franc parler contre les djihadistes de Raqqa.
Depuis la fin de l’été, elle est la cinquième journaliste syrienne (connue à ce jour) tuée par l’organisation extrémiste dont elle dénonçait quotidiennement les exactions – et selon certains, probablement la première femme reporter assassinée par Daech.
D’après les témoignages émanant des réseaux sociaux, la jeune rebelle était une kurde syrienne de Raqqa, diplômée de philosophie à l’Université d’Alep. Quand l’organisation de État islamique imposa sa loi à Raqqa, en 2014, cette révolutionnaire anti-Assad de la première heure avait refusé de quitter sa ville.
Sous le pseudonyme de « Nissan Ibrahim », elle avait alors fait le courageux choix de raconter, notamment via Twitter et Facebook, le quotidien des habitants sous Daech. Sa mort remonte vraisemblablement à septembre, mais la nouvelle de son assassinat n’a commencé à circuler que ce week-end [du 3 janvier 2016].
Selon plusieurs media de l’opposition syrienne en langue arabe, l’EI aurait informé, en fin de semaine dernière, sa famille de son exécution pour « espionnage ».
« Même si la date exacte de sa mort demeure méconnue, l’activité de Hassan sur les réseaux sociaux s’est brutalement interrompue le 21 juillet 2015. Entre juillet et décembre, Hassan a disparu de la ville de Raqqa. »,
[…] Sous son compte Twitter, Abu Mohammed – un internaute connu pour être le fondateur du groupe « Raqqa est égorgée en silence » – a reproduit les derniers écrits que la jeune femme avait publiés sur Facebook :
«Là, je suis à Raqqa. J’ai reçu des menaces de mort. Et quand Daech va m’arrêter et me tuer, c’est OK parce qu’ils vont me décapiter, mais je garderai ma dignité car c’est mieux que de vivre humiliée par l’EI».
C’est le journal « Le Figaro » qui raconte cette histoire : <Ruqia Hassan une journaliste exécutée par l’état islamique>
Cette information vous a peut-être échappé.
Il est vrai qu’elle était en compétition avec la commémoration des attentats de Charlie et surtout de deux autres informations d’une grande importance : Michel Platini a renoncé à se présenter à la tête de la FIFA et Zinedine Zidane a été nommé entraîneur du Real de Madrid.
Mais cette information me conduit surtout à deux réflexions
La première est qu’aujourd’hui dans notre société, il apparait que la valeur suprême est la vie, la mort apparait comme un scandale. Même quand un militaire, dont la mort semble être un risque du métier, meurt, toute la nation est figée et en compassion devant ce fait inacceptable !
Un courant de pensée occidentale, « le transhumanisme » soutenu par Google et d’autres géants du Web tente même de mettre fin à la mort.
Il n’en a pas toujours été ainsi dans notre civilisation.
Et cette manière de penser n’est pas généralisée sur la planète. Aujourd’hui des fous de Dieu, pour réaliser les noirs desseins de leurs gourous, sacrifient leurs vies dans des attentats meurtriers. Mais, il existe aussi d’autres femmes et hommes, parce qu’ils croient en des valeurs supérieures qui acceptent de risquer leur vie et de la sacrifier. « Plutôt mourir que vivre humiliée ».
Tel était le cas de Ruqia Hassan qui voulait informer le Monde de ce qui se passe dans la capitale du califat auto-proclamé.
La vie était certainement importante à ces yeux, mais elle n’était pas la valeur suprême.
Ils existaient des valeurs qui méritaient qu’on meure pour elles.
La seconde est celle de comparer la vie et les actes de cette femme avec ceux de ces jeunes filles qui vivent dans le même pays que nous et qui font exactement la démarche inverse.
L’express nous apprend qu’«un djihadiste français sur trois, sur le sol syrien ou irakien, est une femme. En effet, sur les 600 Français partis grossir les rangs de l’organisation Etat Islamique, les services de renseignements tricolores recensaient 220 femmes en décembre 2015, contre 164 en septembre 2015. Leur part est passée de 10% du contingent français en 2013 à 35% fin 2015, toujours selon France Info. La part de femmes converties à l’islam parmi elles est aussi plus importante que celle des hommes convertis (un tiers contre un sixième). »
Bien sûr tout n’est pas parfait dans notre pays, mais on y vit libre, surtout si on compare à Raqqa, on est soigné presque gratuitement quand on est malade, on peut dire à peu près ce que l’on veut, on peut danser, chanter, boire de l’alcool ou ne pas boire et tant de choses…
Et ces filles choisissent l’asservissement, le rôle d’épouse soumise et reproductrice de mâles violents et psycho-rigides.
Le plus simple et probablement le plus rassurant est de dire qu’elles sont folles et déséquilibrées.
Comme il est rassurant, dans nos réflexions, de considérer que le jeune adolescent de religion musulmane qui a attaqué et voulu tuer un autre homme qui portait la kippa est un fou, un déséquilibré.
J’ai peur que ces explications simples et « occidentalement convenable » ne suffisent pas à analyser ces actes qui directement ou indirectement constituent des actes de sauvagerie et de destruction.
Il existe bien des dogmes et des doctrines qui sont suffisamment attirantes aux yeux de ces jeunes pour les pousser à emprunter les chemins de la violence et du chaos.
Le nom et le destin de Ruqia Hassan sont très présents sur le Web. Voici quelques-uns des sites qui parlent de ce sujet :
http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/07/ruqia-hassan-femme-journaliste-execute-daech
http://journaldesgrandesecoles.com/la-jeune-journaliste-syrienne-ruqia-hassan-executee-par-daesh/
http://femmesdumaroc.com/actualite/daech-execute-la-journaliste-syrienne-ruqia-hassan-25411
http://www.humanite.fr/une-journaliste-kurde-assassinee-par-daech-594936
Pour finir ce mot du jour, je fais appel à Camus et à cet extrait de l’homme révolté :
« La mesure n’est pas le contraire de la révolte. C’est la révolte qui est la mesure, qui l’ordonne, la défend et la recrée à travers l’histoire et ses désordres. L’origine même de cette valeur nous garantit qu’elle ne peut être que déchirée. La mesure, née de la révolte, ne peut se vivre que par la révolte. Elle est un conflit constant, perpétuellement suscité et maîtrisé par l’intelligence. Elle ne triomphe ni de l’impossible ni de l’abîme. Elle s’équilibre à eux. Quoi que nous fassions, la démesure gardera toujours sa place dans le cœur de l’homme, à l’endroit de la solitude. Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde ; elle est de les combattre en nous-même et dans les autres.»
Vous trouverez cette réflexion ainsi que bien d’autres sur cette magnifique page de France Culture où cette radio a fait appel à ses formidables archives pour laisser parler des hommes de réflexion et de sagesse -Castoriadis, Camus, Krishnamurti, Michaud et Baudrillard – :
Nous portons tous en nous nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde ; elle est de les combattre en nous-même et dans les autres.
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