Vendredi 12 janvier 2018

« Von Herzen – möge es wieder zu Herzen gehen
Venue du cœur puisse t’elle retrouver le chemin du cœur »
Ludwig van Beethoven, phrase mise en exergue de sa « Missa Solemnis »

A plusieurs reprises des collègues et amis, que j’avais connus lors de mon passage dans l’administration centrale de la direction générale des impôts à Bercy entre 1987 et 2002, m’ont écrit pour exprimer un avis positif sur la qualité globale des mots du jour. Mais ils ajoutaient immédiatement une nuance en la justifiant par la crainte que « je prenne la grosse tête ».

Il me semble que cette crainte est injustifiée : tous mes butinages, mes lectures, mes découvertes que je tente de présenter et d’expliquer ne me montre qu’une chose : l’incommensurabilité de mon ignorance à laquelle j’ajouterai la vanité d’essayer de comprendre la complexité du monde et de l’humain. Ce constat ne peut que me pousser à une très grande humilité.

J’aime pourtant l’image que donne Michel Serres pour définir le verbe vieillir : monter un escalier chaque jour pour aller vers un plus d’intelligence, de sagesse, de simplicité et de modération.

Un des mots du jour le plus porteur de sens pour moi est celui qu’a écrit Rachid Benzine : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes

Je n’aime plus beaucoup mon métier. Je suppose n’être pas seul dans ce cas. J’essaye pourtant de l’accomplir au mieux par devoir et par éthique. Il puise beaucoup de mon énergie et me donne assez peu en retour. Je suis injuste, il me donne un revenu confortable qui me permet de vivre matériellement sans peur du lendemain et m’autorise ainsi à être libre, libre de m’intéresser à bien des choses qui dépassent les contingences matérielles.

Mais du point de vue intellectuel le métier que j’exerce occupe ma journée mais ne la remplit pas.

Ma quête de mots du jour la remplit.

Depuis que jeune, il m’arrivait de comprendre les mathématiques un peu plus vite que certains camarades, j’ai appris que dans l’acte d’explication celui qui en profitait le plus était celui qui expliquait. Confucius aurait dit : «Ce qu’on me dit je l’oublie, ce que je vois je m’en souviens, ce que je fais je le sais.»

Lire, écouter, regarder permet d’approcher une connaissance, mais ce qui permet de l’approfondir est l’acte de vouloir l’expliquer donc écrire. Car écrire demande d’interroger, de poser questions, d’éclairer des points obscurs ou d’avouer qu’on ne comprend pas. Mais s’avouer à soi-même qu’on ne comprend pas accroit paradoxalement la connaissance contrairement aux certitudes pour revenir à cette lumineuse phrase de Rachid Benzine.

Récemment j’ai entendu Hubert Reeves développer le raisonnement suivant : Nous pouvons rationnellement penser qu’un chat comprend moins de choses qu’un humain et qu’il existe donc une limite à sa compréhension. Cet exemple doit nous pousser, nous autres humains de l’espèce homo sapiens, d’admettre qu’il existe des choses que nous ne pouvons pas comprendre et que notre intelligence connaît des limites.

L’homme augmenté cher aux transhumanistes, s’il existe un jour, aura aussi ses limites, peut-être pas les mêmes.

Mais il fallait trouver un exergue à ce 1000ème mot du jour.

Dans notre vie nous rencontrons des personnes, des lieux, des œuvres de l’esprit et aussi des mots.

Parfois, on se souvient de la première rencontre avec un mot. C’est le cas pour moi avec le mot « exergue » qui rappelons le, signifie selon Le Larousse : « Inscription placée en tête d’un ouvrage » mais le CNRS dans son outil lexical en ligne donne une définition plus précise : « Formule, pensée, citation placée en tête d’un écrit pour en résumer le sens, l’esprit, la portée, ou inscription placée sur un objet quelconque à titre de devise ou de légende ».

Ma première rencontre avec ce mot a eu lieu lors de la lecture d’un livret d’un coffret microsillon et je peux encore citer de mémoire cette rencontre qui a eu lieu il y a environ 45 ans :

« Venue du cœur, puisse t’elle retrouver le chemin du cœur » c’est l’exergue que Ludwig van Beethoven a mis en marge de sa partition de sa Missa Solemnis dont il disait qu’elle était son œuvre la plus accomplie.

Sur internet, j’ai d’ailleurs pu trouver une reproduction de la page de la partition annotée de la main de Beethoven. En haut de la page, comme il s’agit du Kyrie, c’est le tout début de la partition. Sur cette reproduction, j’ai réécrit en rouge lisible en renvoyant vers l’écriture de Beethoven.

C’est donc un juste retour des choses que de mettre en exergue, la phrase qui m’a appris ce qu’était un exergue.

Mais il y a une deuxième raison.

J’ai placé ce millième mot du jour dans l’univers de la pensée complexe, de l’effort de comprendre, du travail de l’intelligence et de l’approfondissement.

Or, si en effet, la Missa Solemnis est une des œuvres les plus achevées de Beethoven et de la musique occidentale, c’est une œuvre difficile d’accès.

Si vous avez du mal avec la musique classique, ce n’est certainement avec la Missa Solemnis qu’il faut commencer.

Commencez avec les quatre saisons de Vivaldi qui est un authentique chef d’œuvre, la flute enchantée de Mozart, le concerto de violon de Beethoven, pas avec la Missa Solemnis.

La Missa Solemnis est exigeante, il faut être prêt à affronter la complexité et l’âpreté de son écriture pour en tirer la beauté immatérielle et extatique qu’elle révèle.

Et il y a une troisième raison.

Un des mots du jour récent nous apprenait que nous possédions en réalité trois cerveaux : l’organe qui porte ce nom, les intestins et le cœur.

J’écrivais que pour le cœur, la question restait ouverte. Mais acceptons cette hypothèse que nous agissons aussi par ce que le cœur nous ordonne.

Notre intuition, notre expérience nous pousse à croire que le cœur l’emporte parfois sur la raison.

Alors dans un monde où l’intelligence artificielle a vocation à devenir de plus en plus omniscient, certains prédisent même qu’elle va supplanter l’intelligence humaine, nous gardons, nous autre homo sapiens non augmenté, ce privilège sur la machine de savoir penser avec le cœur.

Je pense qu’il n’est pas difficile de trouver dans les 999 mots du jour précédents, un certain nombre qui sont le fruit de l’intelligence du cœur.

Et je crois plus généralement que quasi dans chacun d’entre eux, il y a une part plus ou moins importante de l’intelligence du cœur.

C’est pourquoi, écrire pour ce millième mot du jour : « Venu du cœur, puisse t’il retrouver le chemin du cœur » me semble une expression adaptée à cette circonstance.

J’avais écrit un mot du jour qui avait fait réagir : « L’homme médiocre parle des personnes, l’homme moyen parle des faits, l’homme de culture parle des idées ». Mais j’avais reconnu les limites et l’incomplétude de cette affirmation lors du mot du jour hommage à Barbara : en écrivant : Barbara me rappelle que j’ai oublié le plus l’important : « L’homme de cœur et en l’occurrence la femme de cœur parle de la vie et de l’amour. »

 

Il est d’usage quand je parle d’une œuvre musicale de donner des liens ou des indications discographiques. Si je ne le fais pas, je suis d’ailleurs rappelé à l’ordre pour que je m’exécute.

Peut-être que le meilleur moyen d’entrer dans cette œuvre se trouve dans l’Agnus Dei dont Beethoven a confié l’introduction à la voix de basse dans une atmosphère de grande profondeur. Vous trouverez <ICI> cette partie de la messe chantée par Gérald Finley, en 2012, au Concertgebouw d’Amsterdam sous la direction inspirée de Nikolaus Harnoncourt.

Pour une interprétation complète de l’œuvre, vous trouverez <ICI> dans un autre haut lieu de la musique classique européenne, à Dresde, avec l’orchestre de la Staatskapelle de Dresde une interprétation dirigée par Christian Thielemann.

Si votre curiosité vous pousse plus loin, je peux vous donner la version audio qui depuis sa sortie fait l’unanimité :

La version d’Otto Klemperer enregistrée en 1966


Mais j’ai un faible pour une version plus récente de Philippe Herreweghe paru en 2012


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4 réflexions au sujet de « Vendredi 12 janvier 2018 »

  • 12 janvier 2018 à 9 h 07 min
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    On attribue à Socrate la maxime « je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien » et c’est bien cette forme d’intelligence qui me séduit que je retrouve quotidiennement dans l’aspect hétéroclite des mots du jour.
    S’agissant de la part des sentiments, les découvertes récentes des neurosciences ont prouvé que les interactions entre les émotions et l’esprit doivent être prises en compte, à défaut, on ne peut pas comprendre la condition humaine et son développement (voir notamment les travaux d’Antonio Damasio ou l’écouter sur France culture)
    Quant à la potentielle « grosse tête », il existe une partie commentaire qui permet l’expression des nuances ou de la contradiction, de quoi soulager les inquiets
    Bon anniversaire au mot du jour et à son auteur consécutivement

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    • 12 janvier 2018 à 13 h 06 min
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      Merci Daniel pour ce commentaire plein de bienveillance.
      Merci pour ta fidélité et tous les commentaires que tu as déjà postés.
      J’émets l’espoir et le souhait que d’autres trouveront l’énergie et la liberté de s’exprimer aussi, chaque fois qu’un mot du jour les interpelle parce qu’il résonne en eux en raison de leur expérience, leur vécu ou leurs réflexions ou parce qu’il heurte certaines de leurs convictions ou de leurs raisonnements.

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  • 13 janvier 2018 à 17 h 39 min
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    Essayer de comprendre la complexité du monde et de l’humain. « Essayer » est le terme juste car il n’y a pas de compréhension définitive possible où en d’autres termes le « sujet » ne peut par définition être épuisé . Nous sommes donc conviés de par notre condition et si nous en avons le désir à un cheminement parsemé de retours, de détours et d’imprévus. Oui il peut y avoir une certaine « vanité » au sens étymologique du terme, à vouloir progresser dans cette voie, MALRAUX fait dire à un personnage de la Condition Humaine que « connaître par l’intelligence est la tentation vaine de se passer du temps », ce à quoi Nietsche aurait pu répondre que « seuls les lambins de la connaissance se figurent qu’il faut du temps pour connaître » (Le Gai Savoir) .
    Dans tout cela n’oublions pas la part occupée par nos instincts, nos expériences, nos passions et plus largement par nos affects, parts d’ombre et de lumière consubstantielles à notre être et à notre devenir et qui ont leur pleine part dans nos goûts, nos idées et nos aspirations.
    Aussi transmettre et partager ce que l’on aime, ce que l’on découvre c’est transmettre qu’on le veuille ou non un peu de soi-même .
    La Missa Solemnis n’est pas ce que je connais le mieux de Beethoven, il est vrai que ces derniers temps je me suis davantage intéressé à HAYDN (concertos pour violoncelles) et à des musiciens musiciens français (Fauré et RAVEL) . Je m’y essaierai donc et t’en donnerai des nouvelles.

    Au fait pourrais-tu me dire si et où je pourrais trouver les interprétations (que j’ai écoutées il y a une quarantaine d’années ) d’oeuvres de BACH par l’organiste Hedwig BILGRAM dont j’avais alors particulièrement appréciée son interprétation des chorals .

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