Vendredi 24 Novembre 2017

« J’ai tellement besoin de ma mère, mais comment faire pour lui parler ? »
Barbara,Dans ses mémoires posthumes, se remémorant son enfance trahie et violée par son père incestueux

Nous sommes le 24 novembre. Il y a 20 ans mourait la dame en noir, Barbara.

Immense artiste, poétesse, musicienne, la beauté de ses mélodies, la profondeur de ses textes, l’émotion de sa voix, tout est à souligner.

Elle était aussi sensibilité et dévouement. Le professeur Pierre-Marie Girard est chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Il raconte l’action de Barbara pour les malades du sida. Il était alors jeune médecin qui, à Bichat, commence à soigner les malades du sida. Pendant dix ans, il fut celui qui permit à Barbara de les rencontrer et de les aider. Il raconte :

« C’est en 1988, au cours d’un dîner […] que j’ai fait connaissance de Barbara. […] Elle a exprimé son souhait de s’engager contre le sida. Je suis devenu son sésame pour qu’elle rencontre des patients à l’hôpital Bichat où je travaillais alors. Elle voulait donner de son temps. […]

Barbara était un être hypersensible […] Elle était profondément émue des visites à l’hôpital. Ces rencontres l’affectaient beaucoup. Ces visites ont duré près de 3 ans : pendant la période la plus terrible du sida. Les grandes avancées remontent à avril 1996, quand les premières tri-thérapies ont transformé la vie des patients. […] Elle donnait son numéro de téléphone aux patients qui pouvaient l’appeler à n’importe quelle heure. »
Hors-Série Barbara page 85

« La nuit Barbara ne mentait pas. Elle décrochait son téléphone dans sa maison silencieuse de Précy et elle écoutait les malades du sida. Ils lui disaient leur solitude, leur douleur, leur peur. Elle tremblait de ne savoir que leur répondre, mais n’en laissait rien paraître, câlinant l’un, morigénant l’autre, toujours attentive. Cela a duré presque dix ans. Le docteur Pierre-Marie Girard […] a attendu 20 ans avant de nous raconter cette expérience qui le bouleversa. »
Hors-Série Barbara page 77

Elle a créé la chanson « Sid’amour à mort » sur la scène du Chatelet en 1987. Elle dira : « ça c’est une chanson que j’aurais vraiment aimé ne pas avoir écrite ».

Dans une interview à Libération du 28 novembre 1988 qui parle de cet engagement, elle répond :

« Bizarrement, on ne relève de mes chansons que la mort. Le morbide est quelquefois dans les autres, mais moi je parle complètement de la vie, parce que je parle de l’amour. […]. C’est justement parce que j’aime la vie que je peux parler de la mort et d’une telle maladie. J’ai chanté beaucoup de chansons d’amour. Or, cette maladie est arrivée là précisément par l’amour. Par le sang et par le sperme. Il n’y avait pas plus grave. »

Elle dit « Je parle complètement de la vie, parce que je parle de l’amour ».

J’avais écrit un mot du jour : « L’homme médiocre parle des personnes, l’homme moyen parle des faits, l’homme de culture parle des idées ».

Barbara me rappelle que j’ai oublié le plus l’important : « L’homme de cœur et en l’occurrence la femme de cœur parle de la vie et de l’amour. »

Tant de belles chansons ont jalonné sa vie.

Après le triomphe remporté à Bobino en 1965, émue par l’accueil du public, elle compose pour le remercier « Ma plus belle histoire d’amour ».

En août 1965, alors qu’elle donne un concert à Chalons sur Marne, Barbara apprend la mort de Liliane Benelli, sa pianiste à L’Ecluse dans un accident de voiture au côté de son fiancé Serge Lama qui est gravement blessé. Dans la nuit elle lui écrit en hommage une chanson : « Une petite cantate »

En 1961, l’histoire d’amour entre Barbara et Hubert Ballay, diplomate mais aussi agent secret s’achève, après un dernier séjour orageux à Abidjan dans l’avion de retour elle écrit les premiers vers de « Dis quand reviendras-tu ? »

En juillet 1964, elle était invitée par des étudiants d’une petite ville universitaire de Göttingen. Il y avait grève des déménageurs, alors les étudiants lui ont apporté son piano sur leurs épaules. Elle leur compose le jour même une chanson pour les remercier. C’est une incroyable chanson de pardon et de réconciliation écrite par une jeune juive, 20 ans après la fin de la seconde guerre mondiale : « Göttingen ». En janvier 2003, le chancelier Schröder en lira un extrait lors du 47ème anniversaire du Traité d’amitié franco-allemand.

Et puis en 1970, elle écrit et chante l’ « aigle noir »

Chanson mystérieuse et merveilleusement belle

Un beau jour,
Ou peut-être une nuit
Près d’un lac, je m’étais endormie
Quand soudain, semblant crever le ciel
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir.
[…]
De son bec, il a touché ma joue.
Dans ma main, il a glissé son cou.
C’est alors que je l’ai reconnu :
[…]
L’aigle noir, dans un bruissement d’ailes
Prit son vol pour regagner le ciel.
Quatre plumes, couleur de la nuit,
Une larme, ou peut-être un rubis.
J’avais froid, il ne me restait rien.
L’oiseau m’avait laissée
Seule avec mon chagrin.

Certains avaient cru que Barbara parlait de la menace nazi qu’elle avait connu quand jeune juive, elle était pourchassée par les allemands dont l’emblème était un aigle.

Mais ce n’était pas cela.

Et pourtant en 1967, Barbara revient à Saint Marcellin, le village où sa famille s’était cachée de juillet 1943 à octobre 1945. Elle en tire une chanson « Mon enfance » qui se termine par ces vers :

« et je reste seule avec ma détresse,
hélas.
Pourquoi suis-je donc revenue
et seule au détour de ces rues
j’ai froid, j’ai peur, le soir se penche.
Pourquoi suis-je venue ici,
où mon passé me crucifie,
où dort à jamais mon enfance ? »

Elle a même écrit en 1972 « Amours incestueuses » qui raconte une histoire d’amour entre une dame mûre et un jeune homme. Renversement du crime qu’elle a vécu et qu’on a pu lire dans ses mémoires posthumes qui paraissent en 1998 :

« J’ai de plus en plus peur de mon père. Il le sent. Il le sait. J’ai tellement besoin de ma mère, mais comment faire pour lui parler ?
Et que lui dire ? Que je trouve le comportement de mon père bizarre ? Je me tais.

Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi.
Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire.
Parce qu’on les soupçonne d’affabuler.
Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent coupables.
Parce qu’ils ont peur.
Parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls au monde avec leur terrible secret.

De ces humiliations infligées à l’enfance, de ces hautes turbulences, de ces descentes au fond du fond, j’ai toujours ressurgi.
Sûr, il m’a fallu un sacré goût de vivre, une sacrée envie d’être heureuse, une sacrée volonté d’atteindre le plaisir dans les bras d’un homme, pour me sentir un jour purifiée de tout, longtemps après.
J’écris cela avec des larmes qui me viennent.
C’est quoi, ces larmes ?
Qu’importe, on continue !»
Il était un piano noir… Mémoires interrompus, Fayard, 1998.

Dans ce texte, elle raconte simplement le désarroi de l’enfant victime de ce qu’il ne comprend pas mais dont il sent que c’est mal. Comment le dire à ma mère ?

Les enfants se taisent parce qu’on les soupçonne d’affabuler, qu’ils se sentent coupables…

Et tout devenait clair : l’aigle noir est l’histoire d’un inceste que Barbara raconte pour mieux se libérer.

Tous les enfants n’ont pas cette possibilité qu’évoque Barbara dans ses mémoires : « Tu peux dormir tranquille, je m’en suis sortie puisque je chante. »

Depardieu, son ami, a répondu à une interview de Telerama le 4 février 2017 :

« L’inceste a glissé sur elle dès qu’elle a commencé à chanter. Elle s’en est échappée. (…) Barbara était non seulement très joyeuse, mais elle avait en elle une force de vie formidable. Elle savait écouter, recevoir le malheur des gens, et ne se lamentait jamais sur son propre vécu. Avec Nantes, elle montre qu’elle a pardonné ».

Et en effet il y a <Nantes>. Le 21 décembre 1959 ; un coup de téléphone apprend à Barbara que son père Jacques disparu depuis plusieurs années est en train de mourir à Nantes. Elle arrive trop tard et va en tirer une chanson bouleversante qu’elle mettra plusieurs années à achever.

Boris Cyrulnik y voit comme un exemple extraordinairement abouti de résilience dans la poésie.

Barbara fut une immense artiste et poète et une très grande Dame

<Jacques Higelin qui était aussi son ami a dit : j’adore cette femme>. Il n’est pas le seul.

* J’ai pu donner toutes les précisions sur les chansons citées grâce au Hors-série le Monde la vie « Barbara une femme qui chante », numéro d’octobre novembre 2017

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Une réflexion au sujet de « Vendredi 24 Novembre 2017 »

  • 24 novembre 2017 à 11 h 09 min
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    Barbara avait tout à la fois l’intelligence du cœur et les dons d’artiste pour sublimer les émotions, de quoi regretter sa disparition c’est sûr

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