Vendredi 16 Janvier 2015

Vendredi 16 Janvier 2015
« Le blasphème c’est sacré »
Sophia Aram
En effet, le blasphème a un rapport intime et consubstantiel avec le sacré.
Pour qu’il y ait blasphème, il faut d’abord qu’un groupe de personnes ait élevé une idéologie et une collection de dogmes à un niveau qu’il prétend sacré.
Au sein de ces dogmes, certaines idées, paroles ou écrits sont interdits et celui qui les transgresse blasphème.
Quand il s’agit de la réalisation d’actes interdits, la qualification est le sacrilège.
Quand il s’agit de paroles, d’écrits ou bien sûr de dessins il y aurait blasphème.
Pierre Joxe a  donné ce bon conseil, alors qu’il était invité au Journal de 12:30 du vendredi 9 janvier à France Culture : “Pour les questions chaudes, il faut des raisonnements froids.”
Et bien soyons froids !
Voici donc un groupe qui a élevé un certain nombre  de dogmes à un niveau qui est sacré pour lui.
Parmi ces dogmes, il y a des interdits.
Et celui qui brave les interdits, par la parole, blasphème.
Pour les croyants appartenant à ce groupe, pourquoi pas, c’est leur choix.
Ils peuvent s’imposer des contraintes et les respecter.
Mais le diktat qui est posé aujourd’hui par certains responsables de ces groupes ou d’hommes politiques dont certains sont même venus défiler dimanche, c’est de dire :
C’est mon texte sacré, c’est mon interdit sacré
Et toi qui ne crois pas, pour qui mon texte n’est pas sacré, tu dois aussi respecter cet interdit !
Et bien non !
Pour moi, pour Charlie Hebdo ce n’est pas interdit.
Nous ne reconnaissons pas le droit à ces individus qui professent des dogmes auxquels nous ne croyons pas, de nous imposer leurs interdits !
Ils ont parfaitement le droit de ne pas aimer la une de Charlie Hebdo bien que selon moi elle soit géniale. (Ce qui n’était pas toujours le cas, selon mes goûts, de certaines autres caricatures de Mahomet).
Ils ont parfaitement le droit de ne pas acheter Charlie Hebdo.
Ils ont même le droit de détourner la tête, si leur regard croise cette image quand il passe dans la rue ou de zapper l’image à la télé ou à l’ordinateur.
Et constatons que dans les pays où ces hommes professent soit comme guide religieux, soit comme chef politique, le blasphème n’est jamais qu’un des aspects, un interdit parmi beaucoup d’autres sur la liberté d’opinion que ce soit en Arabie Saoudite, en Egypte, en Iran, au Yémen et aussi en Turquie.
Le bloggeur qui a été condamné à 1000 coups de fouet, n’a pas fait de caricature de leur prophète, il n’a même pas critiqué le prophète. Il a voulu ouvrir une discussion sur les actes de la police religieuse. C’est à dire leur KGB à eux.
Car oui !  quand des siècles de luttes, de philosophes, de scientifiques n’ont pas su imposer des limites fortes à la religion, bref quand la religion gouverne elle est totalitaire.
Elle est totalitaire comme le stalinisme, comme le maoïsme, c’est à dire que d’abord elle cherche par tout moyen à détecter celles et ceux qui sont déviants, dissidents (tous ces concepts inventés pour le communisme peuvent être repris) et alors elle exerce une violence absolue, extrême contre tous ceux soupçonnés de ne pas être dans la ligne du Parti religieux. L’amour tant vanté dans le discours des doux rêveurs est totalement absent dans les buchers et les tortures inquisitoriales chrétiens, dans les lapidations, les décapitations, les amputations et les flagellations musulmanes, exactement comme dans le goulag et les exécutions soviétiques.
C’est un grand aveuglement, de ne pas comprendre qu’il n’y a pas de différence entre les totalitarismes politiques qui sont apparus au XXème siècle et les totalitarismes religieux qui existaient avant et qui existent encore aujourd’hui.
Voici un territoire, sur ce territoire la loi totalitaire s’exerce, personne ne doit s’en éloigner. Et puis si on peut élargir cette loi totalitaire à d’autres territoires pourquoi s’en priver ?
L’inquisition a été le fruit du christianisme, même si s’en est un fruit pervers.
Le djihad est le fruit de l’islam, même si s’en est un fruit pervers.
Car, avec la crainte de me répéter, je ne parle pas de l’aspiration mystique qui se trouve dans chacune de ces religions et qui est une réflexion, une relation avec la mort et l’au-delà. Souvent d’ailleurs les plus grands mystiques ont été opprimés par ces chefs dogmatiques.
Je parle de ce besoin  consubstantiel de ces idéologies d’organiser la société, la vie sociale et contraindre les gens par la peur et la violence.
C’était le cas du christianisme de l’inquisition, c’est le cas aujourd’hui de l’Arabie Saoudite, de l’Iran, du Pakistan et de tant d’autres. 
Mais il y a un second sens à ce mot du jour et c’est celui que veut lui donner Sophia Aram. En France, et j’en suis fier et j’espère que vous aussi, le délit de blasphème n’existe pas.
En France blasphémer c’est sacré !
Ce qui est interdit c’est l’incitation à la haine envers un groupe de personnes, une communauté.
Et si ce délit est constitué, la réponse est donnée par les tribunaux et la Justice de la République.
Ce qui est certain, c’est que ce sont les hommes qui ont créé les dieux.
L’hypothèse que Dieu a créé l’homme est une croyance qui ne présente aucune certitude pour la raison.
Mais notre esprit froid et raisonnable doit reconnaître qu’il n’y a pas non plus la certitude du contraire.
Ce doute ne saurait nous éloigner d’une opposition totale et absolue contre tous les totalitarismes dont le totalitarisme religieux est un des principaux composants.