Le mot du jour du 13 avril 2018 avait pour exergue : « ni vues, ni connues » et parlait de ses nombreuses femmes qui ont eu une influence déterminante dans l’Histoire notamment des sciences mais n’ont pas été mentionnées ou ont été oubliées. Ce mot du jour faisait suite au mot du jour consacré à « Hedy Lamarr » qui était l’une d’entre elles.
La pandémie qui nous a submergé a conduit à retirer une autre femme de l’oubli. Car c’est une femme qui a identifié le premier coronavirus.
Je l’ai d’abord découvert grâce à la revue de presse du week-end de France Inter <La-revue de presse du week-end 10-mai-2020 >
Et c’est donc Frédéric Pommier qui a eu ces mots :
« Le visage d’une femme s’affiche ce matin à la fois dans Le Parisien et dans Le Journal du Dimanche. C’est celui d’une chercheuse écossaise morte en 2007. Son nom : June Almeida. Pourquoi nous parler d’elle ? Pourquoi nous conter son histoire ? Parce que, dans les années 1960, c’est elle qui a découvert les coronavirus.
Elle nait en 1930, dans un modeste quartier de Glasgow. Son père chauffeur de bus et sa mère femme au foyer n’ont pas les moyens de lui payer l’université. Elle est contrainte d’arrêter l’école à 16 ans. Suite à quoi, comme elle est curieuse et désireuse de travailler dans les sciences, elle frappe à la porte du laboratoire royal de Glasgow. L’adolescente apprend comment examiner les tissus conjonctifs. Bactéries et microbes se succèdent sous ses yeux qui, à force, deviennent de plus en plus experts. Ensuite, elle rejoint Londres, puis avec son mari, peintre vénézuélien, elle s’envole pour le Canada.
Sa technique consiste à injecter des anticorps prélevés sur des personnes infectées, lesquels se regroupent autour du virus, signalant sa présence.
Elle est la première à observer le virus de la rubéole. Grâce à ce procédé novateur, June Almeida acquiert une petite notoriété.
De retour à Londres, un médecin la contacte, car il peine à identifier une bactérie proche de la grippe qu’il ne connaît pas. La chercheuse observe à son tour. Sa méthode lui permet de distinguer les nuances minuscules de couleurs, et surtout cette couronne avec une multitude de points en relief.
On est en 1964, et elle vient de faire une sacrée découverte : une nouvelle famille de virus, qu’on appelle désormais coronavirus
Elle est intéressante à plus d’un titre, cette histoire. D’abord, parce que, comme le dit Martin Catela, docteur de la Pitié-Salpêtrière, vient d’écrire un article scientifique à son sujet, «c’est une magnifique histoire d’ascenseur social», et un hommage aux «invisibles» sans qui les hôpitaux ne tourneraient pas. Et puis, c’est l’histoire d’une passion, remplacée par une autre à la fin de sa carrière. En effet, quand June Almeida a pris sa retraite en 1985, elle a décidé de commencer une nouvelle vie. Elle est alors devenue professeur de yoga »
Il a fallu attendre avril 2020 pour qu’on lui consacre une page wikipedia.
C’est un article de <National Geographic> qui donne davantage de précisions sur la découverte de 1964 :
« Alors que June Almeida observait un échantillon au microscope électronique, elle a vu un point rond et gris couvert de minuscules rayons. Elle et ses collègues ont noté une sorte de halo autour du virus, formant comme une couronne.
Ce qu’elle venait d’observer allait porter la dénomination désormais bien connue de coronavirus ; Almeida joua un rôle central dans son identification. Cet exploit était d’autant plus remarquable que la scientifique âgée alors de 34 ans n’a jamais terminé ses études. […]
La technique de microscopie développée par June Almeida était simple, mais révolutionnaire pour le domaine de la virologie.
Lorsque vous travaillez avec des particules microscopiques, il est difficile de savoir exactement quoi rechercher. Le défi consiste à discerner si un petit point est un virus, une cellule ou tout à fait autre chose.
Pour résoudre ce problème, June Almeida a réalisé qu’elle pouvait utiliser des anticorps prélevés sur des personnes précédemment infectées pour localiser le virus. Les anticorps sont attirés par les antigènes, par conséquent quand la chercheuse introduisait de minuscules particules recouvertes d’anticorps, ceux-ci se rassemblaient autour du virus, signalant sa présence. Cette technique a permis aux cliniciens d’utiliser la microscopie électronique pour diagnostiquer des infections virales.
June Almeida a ensuite identifié une multitude de virus, dont la rubéole. Les scientifiques étudient la rubéole depuis des décennies, mais June Almeida a été la première à l’observer et la documenter.
Alors que ses compétences étaient de plus en plus reconnues, June Almeida est retournée à Londres où l’attendait un poste à la faculté de médecine de l’hôpital St. Thomas. Là, en 1964, elle a été contactée par le Dr David Tyrrell, qui supervisait une recherche au Common Cold Unit à Salisbury, Wiltshire. Son équipe avait collecté des échantillons d’un virus pseudo-grippal qu’ils avaient étiqueté « B814 » chez un écolier malade dans le comté de Surrey, mais avait eu beaucoup de difficultés à le cultiver en laboratoire. Les méthodes traditionnelles ayant échoué, les chercheurs ont commencé à soupçonner que le B814 pouvait être un nouveau type de virus.
À court d’options, David Tyrrell a envoyé des échantillons à June Almeida, espérant que sa technique d’observation microscopique pourrait permettre d’identifier le virus. « Nous n’avions pas beaucoup d’espoirs, mais nous pensions que cela valait la peine d’essayer », a écrit Tyrrell dans son livre Cold Wars: la lutte contre le rhume.
June Almeida avait beau n’avoir qu’un matériel limité, ses découvertes ont dépassé les espoirs les plus fous de David Tyrrell. Non seulement June Almeida a trouvé et produit des images claires du virus, mais elle s’est souvenue avoir par le passé observé deux virus similaires : l’un en observant une bronchite chez le poulet et l’autre en étudiant une inflammation hépatique chez la souris.»
Elle va écrire un article décrivant sa découverte pour une revue scientifique. Mais son article fut rejeté :
Elle avait écrit un article sur les deux cas, mais il avait été rejeté. Les examinateurs pensaient que les images n’étaient que des images de mauvaise qualité du virus de la grippe. Avec l’échantillon de Tyrrell, Almeida savait qu’elle avait identifié un nouveau groupe de virus.
Pendant une des réunions qu’Almeida, Tyrrell et le superviseur d’Almeida organisaient pour discuter de leurs conclusions, ils se demandèrent comment appeler le nouveau groupe de virus. Après avoir revu les images, ils se sont inspirées de la structure en halo du virus et ont choisi le mot latin corona qui signifie couronne. Les coronavirus étaient nés. »
Cet article précise aussi :
« Avant sa mort en 2007 à l’âge de 77 ans, June Almeida est retournée à Saint-Thomas en tant que consultante et a participé à la production de certaines des premières images de haute qualité du VIH, le virus du sida. »
Le journal suisse « Le Temps » précise que c’est bien la technique de June Almeida qui a été utilisée en Chine pour observer le SARS-CoV-2. Ce même journal fait ce constat :
« Comme pour beaucoup de femmes en science, l’ampleur de sa contribution à la recherche scientifique, jusqu’ici oubliée, ressort au grand jour avec cette pandémie. »
L’article de National Geographic rapporte des propos de Hugh Pennington, professeur émérite en bactériologie à l’Université d’Aberdeen et qui a travaillé avec June Almeida à St. Thomas. Il la décrit comme son mentor. Il a déclaré au journal « The Herald » :
« Sans aucun doute, elle est l’une des scientifiques écossaises émérites de sa génération, mais malheureusement largement oubliée »
Le journal féministe « Terrafemina » exprime ce souhait :
« Peut-être serait-il même temps d’inscrire une bonne fois pour toutes son nom dans l’Histoire, en lui consacrant (par exemple) le nom d’un établissement, d’un laboratoire ou d’une rue ? »
Une série de podcasts portant pour titre « Une sacrée paire d’ovaires » consacrée à des femmes d’exception lui a consacré une émission <June Almeida, la scientifique qui découvrit le coronavirus>.
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