Certains propos de hier soir ont profondément irrité mon âme démocrate.
Si je me suis réjouis que les citoyens français ont une nouvelle fois, et j’espère que ce ne sera pas la dernière, repoussé la menace de l’arrivée au pouvoir de gens xénophobes, illibéraux et incompétents, il n’est pas décent que des hommes politiques qui combattent cette menace plongent dans la démagogie et le déni.
Quand Jean-Luc Melenchon affirme que son camp a gagné et que le seul choix est d’appliquer son programme, tout son programme et rien que son programme il tient des propos hors sol et dangereux pour la démocratie, parce qu’il ne tient pas compte des autres électeurs.
Revenons simplement à ce qui s’est passé lors de ces deux tours d’élections législatives qui ont permis d’élire une Assemblée nationale dont la durée de vie se situe entre 1 et 5 ans. Et n’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un jeu mais de gouverner notre vieux pays qui est menacé par la guerre, par les dettes, par le défi climatique, par la détresse sociale, par l’insécurité physique et culturelle.
Tous les résultats se trouvent sur le site du Ministère de l’Intérieur à l’adresse suivante : <Résultats législatives 2024>
Voici d’abord le tableau des résultats du premier tour qui s’est déroulé le dimanche 30 juin 2024. J’ai ajouté une colonne regroupement, pour tenter d’inscrire tous ces mouvements politiques dans notre grammaire républicaine qui classe les tendances politiques entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Il est nécessaire, pour une petite part, de distinguer une tendance <autre> notamment pour les divers et régionalistes.
Dès lors lorsque qu’on présente les résultats en voix selon cette typologie on obtient ce tableau. Mais visuellement, c’est par l’intermédiaire d’un graphique qu’on peut le mieux discerner l’état des forces en présence.
Dès lors, il est clair que les mouvements qui se réclament de la gauche sont nettement minoritaires dans l’électorat. Pour espérer obtenir une majorité il faudrait que ces mouvements puissent s’adjoindre, convaincre, s’allier avec la quasi l’intégralité du mouvement de centre droit, plutôt à droite de ce qui reste de la majorité présidentielle macroniste.
Il me semble que toutes les personnes raisonnables qui ont réfléchi à situation politique dans notre pays ont conclu qu’il faudrait abandonner le scrutin uninominal à deux tours qui n’est plus pratiqué qu’en France pour passer au scrutin proportionnel.
Le scrutin proportionnel a également des défauts, notamment celui d’interdire au corps électoral d’écarter un candidat dont il ne veut pas. En effet, la confection des listes étant entre les mains des dirigeants des partis politiques, les députés sont ceux qui sont choisis par ces dirigeants .
En revanche, et cela me semble la qualité essentielle de ce mode de scrutin, il ne permettra jamais à un force politique qui dispose de l’appui d’un tiers de l’électorat, d’obtenir la majorité absolue des sièges de l’Assemblée nationale et de poursuivre une politique contraire à la volonté des deux tiers des citoyens.
En outre, ce mode de scrutin rend inutile des alliances contre nature entre des partis politiques qui sont en désaccord sur des points fondamentaux. Enfin, il rend indispensable une autre manière de conduire la politique puisqu’il induit la nécessité de coalitions après les élections. Dès lors si on avait appliqué un scrutin proportionnel aux résultats du premier tour, en prenant comme règle que seuls les mouvements disposant au minimum de 5% des voix peuvent obtenir des députés, on arrive à cette assemblée :
Arrivé à ce stade, il apparait normal de vouloir comparer l’image de cette assemblée avec celle qui est issue du second tour.
Le scrutin uninominal autorise des candidatures locales qui ne se rattachent pas formellement à un des grands partis.
En outre, des dissidents de l’un ou l’autre parti peuvent aussi obtenir le succès qui leur serait refusé dans un scrutin proportionnel.
Pour pouvoir comparer les deux assemblées, il faut évidemment faire des rapprochements que j’ai effectué ci-contre selon les classements du ministère l’intérieur qui a rangé ces députés selon une répartition gauche, droite, centre. Il reste des régionalistes divers qui sont plus difficilement classables. On constate donc que le Rassemblement national a été très défavorisé par le scrutin actuel. Il me semble très pernicieux que celles et ceux qui se réjouissent de cet effet, en raison de leur opposition radicale à ce parti, considèrent qu’il ne faut pas changer le mode de scrutin qui permet cela. Pour ma part, je n’ai pas de doute, il arrivera un jour où le RN profitera à son tour des effets pervers du scrutin uninominal à deux tours pour obtenir un nombre de sièges disproportionné par rapport à son ancrage électoral.
Hier nous avons donc vécu le second tour, car il restait 501 députés à élire. Pour certains ce fut une divine surprise. De manière factuelle voilà la répartition en voix, en siège et en pourcentage. J’ai repris les mêmes regroupements que pour le premier tour.
Nous constatons les effets déformants qu’induit ce mode de scrutin dans la distribution des sièges. Le Rassemblement national arrive encore largement en tête du scrutin avec plus de 10 millions d’électeurs, il fait mieux qu’au premier tour avec 37% des exprimés contre 33% au premier tour.
Avant de lire ces chiffres, étiez vous conscients de cette réalité ?
501 sièges étaient à distribuer. Si on ne s’intéresse qu’au trois grands blocs de cette élection, on constate que si 37% des électeurs lui ont donné leur bulletin, ils n’ont récupéré que 20,8 % des sièges. En parallèle la majorité présidentielle avec 23,15% des voix a récupéré près de 30% des sièges. Le nouveau front populaire a obtenu 25,7% des voix, si on a écouté le démagogue Melenchon, hier juste après 20:00, on avait le sentiment qu’il croyait avoir obtenu 50% des suffrages. Et si on refait un graphique des forces en présence comme pour le premier tour on obtient le schéma suivant :
Hier, La gauche n’était pas minoritaire, elle est très minoritaire. Hier soir, après que mon ancien camarade du PS, Philippe Prieto se réjouissait de la victoire de la candidate socialiste dans la circonscription où je vote, je lui écrivais ce message :
« Il y a un peu de répit. Mais attention ce sera très compliqué. Certaines prises de position, ce soir, par des membres de NFP sont totalement hors sol. La Gauche est minoritaire en voix en France. Au premier tour elle représente à peu près 32% des exprimés. Au second tour elle pèse encore moins. Ce n’est pas avec cela qu’on applique « son programme », « tout son programme. ».
C’est le temps de l’humilité, des discussions et des compromis intelligents.
Est ce qu’il y a des hommes de gauche lucides et convaincants qui peuvent prendre ce rôle ».
Oui, il faut de l’humilité et le sens du compromis. Sinon ce que nous redoutions reviendra en boomerang, plus fort encore.
Bonsoir Alain ,
Si j’adhère sans réserve à ta conclusion, il faudra impérativement accepter des compromis et des négociations équitables, menés par des politiques assez ouverts.
je ne suis pas d’accord avec ta vision de gauche “très minoritaire” ou même seulement minoritaire .
en effet entre les deux tours les bulletins Blancs et nuls ont doublé au total alors qu’il y avait moins de votants puisque il y a eut des élus au premier tour. Ensuite une partie importante des voix de gauche se sont reportées sur des candidats du centre ou même de droite pour faire Barrage( les castors) enfin lorsque un tiers des inscrits ne vont pas voter , on peut se demander s’ils n’en ont pas marre de faire ” barrage” justement, sans jamais recevoir le moindre signe de reconnaissance de ceux qu’ils ont sauvés. ( avec Chirac qui fit une politique de droite après 2002 , avec Macron en 2017 et 2022 , plus les désillusions de l’ère Hollande qui devait mettre la finance à genoux! )
Et je veux croire qu’avec un scrutin proportionnel ou tous et chacun pourrait se sentir vraiment représenté, il y aurait plus de votants et plus de voix à gauche!
Mais je suis sans doute un vieux rêveur.
Cher Lucien,
Je ne souhaite pas t’enlever ta part de rêve, mais je crois hélas que la France penche vraiment à droite sur beaucoup de sujets : l’ordre, l’identité nationale et peut être aussi le ras le bol contre certains (oserai je dire) excès de quelques progressistes illuminés que d’aucun appellent woke, décoloniaux, théorie du genre sans limite…
En revanche, on veut toujours des services publics et quand ça ne va pas on se tourne vers l’Etat.
Donc c’est ambigüe. En résumé si Melenchon est la gauche, la France sera vraiment à droite.
Il me semble que la constitution de la 5ème république a été conçue par des hommes politiques qui avaient conscience d’une différence entre l’esprit et à lettre des institutions c’est à dire qu’ils n’envisageaient pas de s’agripper au pouvoir en face d’une majorité de la population qui, à l’évidence, ne leur faisait plus confiance en cours de mandat.
Ce n’est plus le cas des derniers gouvernants qui n’ont même pas hésité à ignorer totalement les forces qui leur ont permis de se maintenir aux manettes dans le cadre d’accords électoraux dits « fronts républicains »
Dans ces conditions, l’abandon du scrutin uninominal à deux tours au profit de la proportionnelle semble une solution raisonnable