Jeudi 3 Septembre 2015

Jeudi 3 Septembre 2015
« La stagnation séculaire »
Robert Gordon
L’émission origine des mots du jour de cette semaine avait pour objet principal : la stagnation séculaire.
Car plusieurs économistes américains ont publié des travaux sur une éventuelle « stagnation séculaire ». Selon eux, la période de croissance que nous connaissons depuis la révolution industrielle serait une exception historique, une parenthèse enchantée.
Selon cette thèse nous sommes rentrés dans une période de l’ordre du siècle où il n’y aura presque pas de croissance.
Robert Gordon fut le premier, mais cette thèse a été soutenue et complétée par Larry Summers, économiste de renom, secrétaire d’Etat au Trésor de Clinton puis proche conseiller d’Obama et encore James Galbraith qui est aussi un économiste important, plutôt hétérodoxe et fils d’un des plus célèbres économistes : John Kenneth Galbraith.
L’hypothèse, énoncée par le professeur Robert Gordon, serait liée à l’impact de plus en plus faible de l’innovation sur la croissance. La révolution numérique aurait en effet moins d’influence sur les facteurs de production que la machine à vapeur ou l’électricité n’en ont eue en leur temps.
D’autres économistes comme Barry Eichengreen qui ont aussi l’intuition de la stagnation séculaire, développent d’autres arguments justifiant cette thèse.
Il y a d’abord le fait que les pays émergents, qui se développent le plus vite désormais sur la planète, voient leur épargne s’accroître beaucoup plus rapidement que leur consommation. Faute de protections sociales dignes de ce nom, les milliards d’individus qui rejoignent la classe moyenne mondiale (ils seront près de 5 milliards à en faire partie en 2030, contre un peu plus de 3 milliards en 2020) préfèrent garder une épargne de précaution plutôt que de dépenser.
Le deuxième facteur serait la généralisation du peu d’appétit pour l’investissement, phénomène justifiant les taux d’intérêt extrêmement bas d’aujourd’hui. C’est la façon cafardeuse de saluer l’apparition de taux négatifs, un territoire de la théorie économique inexploré jusqu’alors.
La troisième explication met en avant le ralentissement général de la croissance de la population mondiale.
Mais Daniel Cohen s’est surtout attaché à développer l’argumentaire de Robert Gordon c’est à dire les caractéristiques propres de la révolution numérique.
Daniel Cohen reconnaît que sur ce point nous sommes dans une grande incertitude.
La majorité des économistes rejettent la thèse de la stagnation séculaire. Pour ces derniers, il faut encore un peu de temps avant que la révolution numérique ne révèle totalement ses potentialités et crée les emplois de l’avenir, déclenchant ainsi une nouvelle  et solide croissance économique s’inscrivant dans la durée.
Le mot du jour du 19/06/2015 qui avait évoqué l’ouvrage Croissance zéro, comment éviter le chaos ?, de Marie-Paule Virard et Patrick Artus avait déjà souligné que ces économistes avait constaté la stagnation de la croissance dans toutes les économies développées.
A la question de l’Obs : « Daniel Cohen êtes-vous devenus un prophète de la décroissance ? » il répond simplement « Non, mais je la constate ».
Daniel Cohen : «  Il faut reconnaître l’énorme incertitude qu’il y a sur ce point entre les économistes [d’aujourd’hui]. Au XVIIIe siècle, on s’interrogeait sur l’existence de Dieu, aujourd’hui la grande question c’est le retour de la croissance. Comme à l’époque on compte les croyants et les hérétiques.
Il y a ceux qui disent comme Gordon que c’est terminé, il faut accepter de vivre dans un monde fini. Les perspectives de croissance sont pratiquement nulles.
Et en face, les plus nombreux  qui disent que Gordon est un vieux, un idiot qui n’a rien compris.»
Daniel Cohen cite un « grand gourou » issu du MIT et qui travaille chez Google Ray Kurzweil. Il est né en 1948 et c’est un auteur, ingénieur, chercheur, et futurologue américain. Il est créateur de plusieurs entreprises pionnières dans le domaine de la reconnaissance optique de caractères (OCR), de la synthèse et de la reconnaissance vocales, et des synthétiseurs électroniques. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages sur la santé, l’intelligence artificielle, la prospective et la futurologie.
Professeur au MIT,  il est décrit comme un véritable génie par le Wall Street Journal. Il est actuellement directeur de l’ingénierie chez Google.
Pour lui, nous sommes dans une révolution industrielle sans précédent. Nous allons bientôt connaître un monde inconcevable pour les générations antérieures.
Dans 30 ans on pourra télécharger sur une clé USB l’ensemble des informations qui se trouve dans un cerveau humain. 20 ans plus tard en 2070, c’est la totalité de l’intelligence humaine qui sera stockée sur un support analogue.
Pour lui, il ne s’agit plus d’opposer l’ordinateur et le cerveau humain mais de chercher à combiner les deux. Ainsi pour prendre un exemple simple des échecs, Gary Gasparov a été définitivement vaincu par l’ordinateur. Désormais, aux échecs, un homme ne peut plus battre la machine. Mais ce qu’il convient de faire désormais c’est de faire jouer un couple humain/ordinateur contre un autre couple de même type. Celui qui sera le plus fort est celui qui saura le mieux se servir de l’ordinateur pour gagner contre l’autre.
Pour ces gens, adeptes du transhumanisme et pour qui l’immortalité ou au moins une vie de mille ans est à la portée de la science et de notre regard, les débats sur la fin de la croissance sont parfaitement ridicules.
À cela Gordon répond  : « Vous êtes bien gentils de me parler de l’avenir. Mais parlons de ce qui s’est passé au cours des 30 dernières années, les choses ont beaucoup changé en 30 ans, la révolution numérique est là.
Et la croissance pendant ce temps-là n’a fait que décliner. Il est où ce paradigme de la  croissance exceptionnelle ?»
Pour Gordon, il ne faut pas regarder du côté de la production qui en effet a beaucoup évolué mais il faut regarder du côté de la consommation.  Car c’est le consommateur qui est récipiendaire de la croissance.
Et quand on se place au niveau de la consommation. Cette révolution qu’a t’elle produit ?
Elle a produit le Smartphone : c’est sympa on peut appeler n’importe où, n’importe qui  et ça ne coûte pas grand-chose
Gordon continue :  c’est sympa mais je m’en fiche en comparaison de ce qu’a produit le XXe siècle, où avec l’électricité on est passé littéralement des ténèbres à la lumière, le moteur à explosion qui a permis de se déplacer rapidement et simplement, les avions, le cinéma, la télévision, les appareils électroménagers, les antibiotiques, la révolution agraire.
Voilà qui a vraiment fait changer la vie des consommateurs. Et Gordon dit je n’abandonnerai aucune de ces inventions pour le smartphone ni même pour la potentialité de l’immortalité…
Alors Daniel Cohen fait l’analyse suivante :
«Nous sommes bien au cœur d’une révolution industrielle, mais une révolution industrielle qui s’est révélée sans croissance pour l’instant. C’est le paradoxe central qu’il faut comprendre.
Nous n’avons pas une révolution industrielle qui crée de la croissance comme au XXe siècle mais une révolution qui pour l’instant détruit plus d’emplois qu’elle ne crée (cf. mot du jour d’hier).
Peut-être sommes-nous trop impatient et que la croissance va venir.
Daniel Cohen constate que la nouvelle économie a beaucoup de mal de trouver son « business modèle ». Finalement que se passe-t-il sur Internet, nous avons accès à beaucoup de choses gratuites mais financées en réalité via la publicité par l’ancienne économie.
Que font, en fin de compte les logiciels ? Ils permettent de gérer les externalités :  grâce aux logiciels on pourra mieux gérer la circulation des voitures et le trafic des avions qui ne vont cependant pas plus vite aujourd’hui qu’il y a 40 ans mais qui consomment moins de carburant. On arrive à mieux gérer mais ce n’est pas de la croissance à proprement parler.
Si on prend au sérieux le monde numérique il parvient à créer un monde d’interactions sociales, de communiquer les uns avec les autres.
Mais il enferme l’échange de chacun avec ses pairs, on échange avec ceux qui pensent comme nous, qui sont du même milieu que nous.
Il ne donne pas les mêmes opportunités que  l’usine et l’industrie qui autorisaient la rencontre de différentes strates sociales.
Ce que constate Daniel Cohen, c’est que la révolution numérique, avant toute chose, ébranle l’organisation dans les structures de travail, elle désorganise, elle rend le travail individuel. De plus en plus de monde devient sous-traitant de quelqu’un.
Daniel Cohen ne prétend pas que la croissance ne va pas revenir, mais ce qu’il dit avec force c’est que la thèse du retour de la croissance constitue un acte de foi, une croyance, il n’y a aucune certitude.
Et selon la réponse qu’on donne à cette question : la croissance va t’elle revenir ? Oui ou  allons-nous vivre pendant très longtemps dans un monde sans croissance, la réflexion pour l’avenir, les  politiques qu’il faut mener sont  totalement différentes.»
Comme ce message fait la partie belle aux arguments de la stagnation je vous donne quelques liens vers des articles qui réfutent avec assurance cette thèse (ce sont les articles que lisent avec opiniâtreté les hommes politiques au pouvoir dans les différents de pays) :
Vous trouverez aussi en pièce jointe, un article de l’homonyme de Daniel Cohen, Elie Cohen. Cet article a pour titre : « L’économie ne stagne pas, elle se transforme»