Vendredi 4 Septembre 2015

Vendredi 4 Septembre 2015
« Il faut construire un nouvel Etat-providence qui recrée de la sécurité»
Daniel Cohen
Résumons les réflexions de la semaine :

Notre société est nourrie à la croissance. Il s’agit d’une véritable addiction. Tout le monde affirme qu’en dessous d’un certain seuil de croissance il ne peut y avoir de recul du chômage, le financement de nos retraites est fondée sur une hypothèse de croissance continue et solide, l’homme politiques qui ne promettent pas son retour n’ont aucune chance d’être élus. Et surtout ce que la richesse ne peut nous apporter, la croissance en est capable : nous donner le sentiment de bien-être (Paradoxe d’Easterlin) ;

La révolution numérique est basée sur un doublement des performances à peu près tous les 18 mois (loi de Moore) ;

Grâce à ces performances, les programmes informatiques et la robotisation remplacent, dans des domaines de plus en plus large, les métiers des humains de la classe moyenne ;

Depuis 30 ans la croissance des pays développés diminue, pour l’instant la révolution numérique n’a pas provoqué un sursaut de croissance. Si on analyse ces choses de manière rationnelle on doit conclure à une grande incertitude sur le retour de notre drogue : la croissance. Il est possible que nous ne retrouvions pas de croissance avant longtemps.

Pour Daniel Cohen plus que la financiarisation de l’Economie qui a débuté dans les années 1980, c’est la révolution numérique qui a surgi au début des années 1990 qui a bouleversé l’organisation du travail, non plus seulement dans les ateliers mais dans les bureaux. 
«C’est, je crois, le cœur du problème d’aujourd’hui. […] Penser que la mondialisation est responsable de tous les malheurs du vieux modèle industriel est une erreur. Les destructions d’emplois dans l’industrie française sont dues pour deux tiers au progrès technique et pour un tiers aux importations. Pour l’économie dans son ensemble c’est beaucoup moins encore. A mes yeux, le démantèlement de la classe moyenne n’a rien à voir avec la Chine. »
«Le temps humain ne cesse de s’accélérer. Il a fallu 100 000 ans pour passer du bipède rationnel à l’homme agricole, 10 000 ans pour passer à l’homme industriel, puis 200 ans pour passer à l’homme numérique.
Par une perversion de l’Histoire, la société post-industrielle qui devait émanciper les individus a débouché sur un monde d’insécurité, de cost cutting- la recherche de technologies qui réduisent les coûts. A l’organisation hiérarchique s’est substitué le management par le stress. L’insécurité économique est au fondement de nos peurs collectives. Il faut construire un nouvel Etat-providence qui recrée de la sécurité. L’enjeu de la société moderne est davantage de s’immuniser contre les fluctuations de la croissance que de vouloir à tout prix l’augmenter.»
«L’Etat-providence fabriqué par la société industrielle ne correspond plus à nos besoins. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un nouveau risque : l’insécurité des salariés dans leur parcours professionnel. Pour bien faire, il faudrait tendre vers un système où perdre son emploi devienne un non-évènement. […] La perte d’un emploi doit devenir l’occasion de renouveler ses compétences, en prenant le temps qu’il faut. C’est la seule manière de faire face aux évolutions rapides des technologies. »
Il préconise de généraliser en France le système des intermittents qui est contesté parce qu’il a été manipulé par les employeurs de l’audiovisuel, mais qui s’avère une solution par rapport aux défis de demain.
Daniel Cohen n’affirme pas que la croissance ne reviendra pas, mais il dit que c’est une hypothèse plausible. Alors quand une telle hypothèse se trouve dans le paysage de la réflexion, il faut que l’organisation politique s’adapte à cette éventualité pour y faire face.
Ainsi, en France le système de retraite par répartition qui promet un revenu fixé à l’avance pour l’avenir, est entièrement fondé sur le postulat d’une croissance continue et robuste. Cohen dit : « C’est débilissime ». C’est un peu comme vouloir remplir un seau percé. Ça ne marche pas, il faut sans cesse remettre des rustines, de plus en plus souvent et on en dispose de moins en moins. Cela crée un climat d’insécurité sociale et d’angoisse, parce qu’on se demande si le système ne va pas s’effondrer entièrement.
«Sur les retraites il y a un énorme chantier qui reste ouvert il faut immuniser les retraites des aléas de la croissance, cela s’appelle un système par point où on distribuera les ressources en fonction des ressources disponibles.» Ce système est stable, si la croissance revient les retraites versées augmenteront , sinon il faudra se contenter de ce qu’on peut avoir mais avec la certitude que le système ne s’effondrera pas.
«Il faut donc que la société et les individus qui la composent arrive à s’immuniser contre les aléas de la croissance.»
Daniel Cohen finit son article dans l’Obs que je joins à ce message par une belle comparaison : «On est passé de 10 millions d’humains lorsque l’agriculture a été inventée à 1 milliard en 1800 au moment de la révolution industrielle. [Puis le mouvement s’est emballé] C’était une logique de réaction nucléaire. A suivre les calculs de certains démographes, l’humanité aurait dû exploser en 2026. Heureusement, un miracle s’est produit : la transition démographique. Les Européens se sont mis à  faire moins d’enfants. Soudain les hommes sont passés d’une reproduction quantitative à une reproduction qualitative. Ce changement qui se diffuse désormais à l’ensemble de la planète n’a pas été le fait de la révolution industrielle mais a résulté d’une évolution en profondeur des mentalités.
Voilà l’exemple à suivre pour la richesse matérielle ! Nous avons besoin d’une nouvelle transition. L’humanité doit réussir aujourd’hui le passage du règne de la quantité industrielle à celui de la qualité postindustrielle.»
et je vous rappelle son livre publié le 26 août 2015 : <Le-Monde est clos et le désir infini>