C’est le 15 juin 2022, que Clémentine Vergnaud a appris qu’elle souffrait d’un cancer des voies biliaires, rare, très agressif : le cholangiocarcinome.
Elle avait décrit son combat, ses espoirs, sa peur et ses relations avec les médecins et l’administration dans une série de 10 podcasts : « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine. » publiée en juin 2023.
J’ai commencé à écouter le premier, puis tous les autres d’une seule traite, lors d’une longue promenade.
Je concluais le mot du jour que je lui ai consacré : « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. » par cette exclamation : Un monument d’humanité !
Son podcast était une manière de « laisser une trace », comme elle l’expliquait sur le plateau de « C à vous ».
Elle n’a pas fêté Noël, elle est morte le 23 décembre 2023 au matin, 18 mois et quelques jours après le diagnostic de sa maladie. Elle avait 31 ans.
Début octobre, elle donnait des nouvelles peu rassurantes sur sa santé sur le réseau social X, tout en annonçant l’enregistrement de la saison 2 de son podcast. Elle écrivait :
« Vous êtes plusieurs à demander de mes nouvelles, à vous inquiéter de mon silence. Je vais bien, rassurez-vous. Mais les deux dernières semaines ont été compliquées. Je suis passée à un cheveu de la mort à cause d’un grave accident cardiaque. Maintenant, je me remets doucement ».
Elle travaillait à France Info. Ses collègues lui ont rendu <Hommage> :
« La rédaction de franceinfo a perdu l’une des siennes, une femme merveilleuse, une journaliste de grand talent, une amie pour beaucoup. […]
Pendant ces longs mois où elle a combattu la maladie, Clémentine a fait preuve d’un courage incroyable, d’une détermination sans faille et d’une immense joie de vivre.
Sa force de caractère et sa lucidité, nous les avons tous entendues dans le podcast « Ma vie face au cancer » qu’elle avait tenu à faire pour raconter sa vie avec la maladie.
Dans ce podcast, […] Elle a apporté beaucoup aux malades, à leurs proches, aux soignants. Avec une telle justesse des mots et des émotions.
[…] Jusqu’au dernier moment, Clémentine a voulu profiter de ses « moments dorés » : chaque plaisir, chaque bonheur qui passait à sa portée. « La fin, elle est connue, nous disait-elle, il n’y a pas trop de mystère. Mais il y a tout ce qui va y mener et je n’ai pas envie de gâcher ces moments. Aucun de ces moments. »
Clémentine, c’était un rire, un sourire, une voix.
Et cette voix, parce que c’est ce qu’elle a voulu, nous continuerons à l’entendre. »
Cette jeune femme qui a dit « Je ne suis pas une battante. En fait, je n’ai juste pas le choix » a donné une immense leçon : elle a vécu aussi intensément que possible les 18 mois de vie qui lui restait à vivre après son terrible diagnostic.
L’oncologue canadien Gabriel Sara qui avait joué son propre rôle dans ce merveilleux film « De son vivant » avait révélé cette tragédie dans la tragédie : « Mourir de son vivant », c’est-à-dire ne pas vivre ce qui reste à vivre :
« On peut mourir de son vivant. On le voit chez Benjamin. Au fur et à mesure que son corps s’affaiblit, son esprit devient paradoxalement plus puissant. Il prend le contrôle de sa vie, il règle son histoire avec son fils, il pardonne à sa mère, il transmet à ses élèves tout ce qu’il a de plus beau à donner. Alors que son corps est foutu, lui vit plus intensément que jamais. Il n’a jamais été aussi en contrôle de sa vie. Et c’est merveilleux. »
Et il parle de cette mission sacrée qui doit être celle des médecins, de l’être humain malade et de sa famille :
« Face à un patient condamné, ma mission sacrée est de l’accompagner pour que les années, les mois et jusqu’aux minutes qu’il lui reste, soient de beaux instants de vie et pas d’agonie. Quand mon patient meurt, je suis triste bien sûr, mais j’ai le sentiment du devoir accompli. Pour un cancérologue, c’est une satisfaction énorme. »
Je crois que Clémentine Vergnaud a porté haut cette mission sacrée de vivre les « 18 mois de vie. » qui lui restait.
Comme souvent, ces derniers temps, je terminerai par un texte de Christian Bobin qui écrivait lors d’un entretien avec le journal « La Vie » en 2019 :
« Ceux qui ont disparu mêlent leur visage au nôtre.
Nous sommes étroitement liés, souterrainement, dans une métamorphose incessante.
C’est pourquoi il est impossible de définir aussi bien la vie que la mort.
On ne peut que parler d’une sorte de flux qui sans arrêt se transforme, s’assombrit puis s’éclaire de façon toujours surprenante.
La mort a beaucoup de vertus, notamment celle du réveil.
Elle nous ramène à l’essentiel, vers ce à quoi nous tenons vraiment. »
<1783>
Merci encore une fois Alain.
Le témoignage de cette jeune femme que j’ai écoutée à la radio il y a une semaine m’a bouleversé. J’ai fait comme toi hier soir j’ai écouté les 10 podcasts et ait pu mesurer combien cela pouvait aider des personnes atteintes ou non par la maladie. L’ authenticité de Clémentine par rapport à ceux qui restent à son chevet et ne savent pas quoi dire d’autre que » tu vas t’en sortir » car il leur est trop difficile d’affronter le désespoir, cette difficulté à être « juste là » « au chevet » sans autre promesses que de signifier qu’ils resteront là et ne la quitterons pas jusqu’au bout, ces détails concrets sur la maladie qui nous font en mesurer toute la violence, ce souci constant des autres qui devront affronter « sa mort en pleine vie », ces médecins dont la plupart sont extrêmement attentifs et bienveillants mais pas tous et enfin cette violence inacceptable – tellement on touche alors au non sens de la bureaucratie dans notre société- celle de la sécurité sociale!
Merci de terminer sur ses propos sublimes de Christian Bobin.