C’est mon père qui m’avait raconté cette histoire.
Un vieux sage reçoit un homme qui vient se plaindre d’un autre homme. Il lui raconte longuement les faits et aboutit à une conclusion qui lui est favorable.
Le sage le congédie en lui disant : « Tu as raison ».
Mais quelques heures plus tard, l’autre homme vient rencontrer le vieux sage et lui raconte la même affaire avec ses mots et son analyse.
A la fin de la discussion et au moment du départ, le sage lui dit : « Tu as raison. ».
Alors, l’épouse du sage qui avait entendu les deux conversations s’approche de son mari et lui dit son étonnement :
« Je ne comprends pas, ces deux hommes ont exprimé des opinions radicalement opposées et tu as dit à chacun qu’il avait raison. ».
Et le vieux sage répondit à sa femme : « Tu as raison ! »
Puis, il a ajouté : « Ces hommes ne partent pas du même point de vue. Mais chacun a raison en partant de son point de vue !
Cette histoire m’est restée.
Elle raconte deux personnes qui parlent et ne se rencontrent jamais.
Je veux dire leurs paroles ne se rencontrent pas, ils ne s’écoutent pas, n’échangent pas.
Chacun ne se centre que sur son histoire, sa vision, son récit.
Et aujourd’hui avec les réseaux sociaux, pour beaucoup, leur univers se restreint à un tel point qu’il ne peuvent plus que parler avec les gens qui pensent comme eux.
Le <mot du jour du 3 mars 2016> citait le sociologue Zygmunt Bauman qui exprime cela avec une acuité rare :
« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»
A cela Michel Serres répond :
« C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »
Cette phrase se trouve dans un livre de Robert Blondin « Le Bonheur possible », dans lequel l’auteur est allé à la recherche des gens heureux. Entouré d’une dizaine de collaborateurs, armé de 40 questions, il a rencontré 2000 « sages heureux » d’Europe, d’Asie et d’Amérique.
Parmi ces sages il y avait Michel Serres et cette phrase se trouve page 271.
Voilà le mot du jour court que je souhaitais écrire après ceux de mercredi et de jeudi.
Et si le cœur vous en dit voici une <Vidéo de la librairie Mollat où Michel Serres présentait son livre « Le Gaucher boiteux » dans lequel il parle beaucoup de rencontres.
<1710>
Mon cher Alain,
Bien content de te lire à nouveau tous les matins.
C’est étrange, ce matin en commençant à te lire, j’entendais Delphine Horvilleur, Rabin, qui parlait de son livre » Abraham Ajar, fils d’Émile Ajar » elle expliquait en quelques sorte la même chose que toi. : nous sommes devenus où nous sommes trop des individus intéressés seulement par nous même, et ignorant des autres, qui nous le rendent bien » écouter et être écouté c’est échanger et s’intéresser aux autres à l’autre. Et en effet c’est rare. Je pense que de mon point de vue j’ai raison.
A bientôt et merci.
Merci Lucien pour ce bel éclairage sur la rencontre et l’écoute.