Lundi 19 décembre 2016

Lundi 19 décembre 2016
«Ten Reasons to Look Forward to the Future
Progrès : dix raisons de se réjouir de l’avenir»
Johan Norberg
Les troupes iraniennes et du hezbollah libanais, aidé par l’aviation russe et des débris de l’armée de Bachar el-Assad ont repris le contrôle d’Alep dans les ruines et le sang.
Les troupes de « nos amis saoudiens » perpètrent des massacres identiques au Yemen.
Il y a d’autres régions du globe : au Sud Soudan, en Somalie, en Erythrée où la violence et les massacres se multiplient.
Et aux Etats-Unis… Bien que Hillary Clinton ait reçu 2,7 millions de vois populaires supplémentaires, Donald Trump s’apprête à devenir Président des Etats Unis, entourés de milliardaires, de militaires qui ont pour titre de gloire « le général enragé » ou d’avoir été responsable de la prison de Guantánamo . On y trouve des climato-sceptiques un patron hostile aux salariés comme secrétaire au travail , des banquiers de Goldman Sachs et non pas un lobbyiste de l’industrie pétrolière mais mieux le patron d’une des plus grandes sociétés pétrolières.
Pour ceux qui espéraient que les nominations de Trump apaiseraient les craintes qu’entrainaient son élection, ils ne peuvent être que déçus, c’est le contraire qui est vrai !
Alors il faut savoir singulièrement changer son angle d’observation pour suivre le suédois Johan Norberg qui dit à peu près : que nous n’avons jamais vécu à un moment plus heureux de l’Humanité.
C’est l’Hebdomadaire « Le Point » du 03/11/2016 qui en parle et qui affichait en couverture : « Non tout n’était pas mieux avant ».
Pourquoi toujours envisager le pire ? Max Roser, économiste à Oxford, accuse les médias, plus prompts à évoquer la dernière catastrophe qu’à rappeler que l’espérance de vie a augmenté deux fois plus en un siècle qu’elle ne l’avait fait en 200 000 ans. Mais, au-delà de l’information en continu, le pessimisme occidental a des fondements plus profonds.
Selon l’institut de sondages Gallup, le Vietnam et le Nigeria sont les champions de l’optimisme, tandis que la France est l’un des pays les plus dépressifs du monde. Serait-ce parce que le progrès, enfant des Lumières, a été abandonné par une partie de notre classe politique ? La gauche ne promeut plus que le progrès sociétal, défendant le statu quo économique face à la mondialisation.
Les écologistes nous préparent aux fléaux eschatologiques. À droite, conservateurs et réactionnaires veulent des barrières contre la déculturation et les migrants. Seuls les libéraux et quelques réformistes osent encore invoquer « l’idée de progrès » qui, comme le rappelle le physicien Étienne Klein, « l’idée de progrès » a pour anagramme « le degré d’espoir ».
Sur le plan éditorial également, le marché de la catastrophe est porteur :, déclin de l’Occident, invasions barbares, et maintenant « Far West technologique » (Bernard Stiegler). Mais, sur la longue durée, les prophètes de l’apocalypse risquent surtout le ridicule. En 1968, Paul R. Ehrlich annonçait, dans La bombe P (2 millions d’exemplaires vendus), que des « centaines de millions de personnes allaient mourir de faim ». Et en 1972, le Club de Rome avertissait d’une pénurie de cuivre en… 2008.
Pourtant, les bonnes nouvelles sont là. L’époustouflant The Better Angels of Our Nature (2011), de Steven Pinker, attend toujours un éditeur français. Ce professeur de psychologie à Harvard y a regroupé les statistiques sur les génocides, les guerres, les homicides ou les violences domestiques. Sa conclusion : grâce à la raison, à la mondialisation ou à la féminisation, la violence n’a cessé de baisser au cours de l’Histoire.
Angus Deaton, lui, a dû attendre de recevoir un prix Nobel d’économie en 2015 pour voir publier chez nous La grande évasion (PUF). À base de données économiques, médicales et démographiques, il y raconte la formidable quête de liberté de l’humanité pour sortir de la pauvreté, de la maladie et des oppressions. Deaton ne cache rien des inégalités, mais, optimiste tempéré, il montre que plutôt que la bonne conscience, c’est la diffusion des idées et l’innovation qui prolongeront cette extraordinaire amélioration de nos vies.
Mais c’est de Suède que nous vient le livre le plus revigorant de l’année. Dans Progress : Ten Reasons to Look Forward to theFuture (Progrès : dix raisons de se réjouir de l’avenir), l’historien de l’économie Johan Norberg étend le travail de Pinker à tous les domaines de la vie. À travers une cascade de chiffres et d’anecdotes, ce libéral montre que l’humanité n’a jamais été plus riche, en bonne santé, libre, tolérante et éduquée. Oubliez le Prozac, savourez donc ces quelques évolutions.
En 1990, il y avait 76 démocraties électorales, contre 125 en 2015. En 1950, plus d’un quart des enfants de 10 à 14 ans étaient économiquement actifs. Aujourd’hui, c’est moins de 10 %.
Même en matière d’environnement, Norberg rappelle ce que la prise de conscience nous a déjà fait accomplir : l’air d’une métropole comme Londres est aussi propre qu’au début de la révolution industrielle et, loin des idées reçues, les forêts s’étendent en Europe.
En attendant qu’un éditeur français suffisamment téméraire ose traduire ces bonnes nouvelles, Le Point est allé à la rencontre de cet optimiste scandinave pour ouvrir le débat : y a-t-il déjà eu une meilleure année que 2016 ?
Johan Norberg accepte de reconnaître que l’air du temps est froid :
« Je sais que l’époque a l’air horrible, mais cela a toujours été le cas quand vous regardez les problèmes dans le monde. Il y a cinquante ans, c’était le risque d’un désastre nucléaire imminent, les usines japonaises menaçant les nôtres, un niveau de crime élevé dans les villes… Le rôle des médias est d’en parler et de nous effrayer un peu. »
Mais si on prend le recul qu’il nous invite à prendre et à se placer dans une perspective historique plus longue et confronter la réalité d’aujourd’hui à celle d’hier le constat est fort différent.
Certains indicateurs baissent un peu et il y a de nouveaux risques. Le progrès n’a rien d’automatique. Le réchauffement climatique est un problème récent. L’essor du terrorisme sous cette forme est aussi inédit. Du point de vue du nombre de victimes, avec les groupes séparatistes et révolutionnaires, c’était pire dans les années 1970 en Europe occidentale. Aujourd’hui, Daech ne cible pas des officiels mais frappe au hasard. C’est ce qui nous terrifie. Face à ça, nous avons d’autant plus besoin de données objectives qui nous permettent de saisir que, même si les attentats sont terribles, c’est un petit risque pour notre vie comparé à d’autres. Il faut vaincre les terroristes, mais ne pas paniquer.
Prenons le critère de l’extrême pauvreté dans le monde : Depuis 25 ans l’extrême pauvreté a été réduit de 1,25 milliard de personnes, alors même que la population mondiale a augmenté de 2 milliards de personnes.
En 1950, il y avait 10,5 millions de lépreux. Il n’y a aujourd’hui plus que 200 000 cas chroniques. En 1900, seulement 21 % de la population mondiale savaient lire. Aujourd’hui, c’est 86 %… Parmi tous ces chiffres, voilà la meilleure nouvelle ! Car cela concerne notre capacité à affronter les problèmes du futur. »
Il explique :
« À chaque minute où nous parlons, 100 personnes sortent [de l’extrême pauvreté]. La Chine a eu un impact formidable, mais il y a aussi l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam, le Bangladesh, l’Amérique latine et aujourd’hui des pays de l’Afrique subsaharienne, qu’on considérait pourtant comme le continent sans espoir. Pour la première fois, l’extrême pauvreté est passée en Afrique subsaharienne au-dessous des 50 %. Aujourd’hui, on en est à 35 %. »
Dans tous les pays du monde, sans exception, les gens vivent plus longtemps qu’il y a cinquante ans. Et si certains pays ont stagné ou régressé sur le plan économique, mais même eux ont connu des avancées considérables en termes de santé. […] En 1800, pas un seul pays au monde n’avait une espérance de vie supérieure à 40 ans. Aujourd’hui, pas un seul pays n’a une espérance de vie inférieure. En Afrique, c’est d’autant plus encourageant que, après les dégâts des guerres, de la malaria et du VIH, l’espérance de vie est plus élevée que jamais. L’Ouganda, le Botswana ou le Kenya ont eu un gain de dix ans ces dix dernières années.
Tous ces problèmes environnementaux qui nous préoccupent sont réels : réchauffement climatique, éradication des espèces… Mais je me suis aussi intéressé à d’autres problèmes environnementaux complètement oubliés. En décembre 1952, le grand smog a tué près de 12 000 personnes à Londres. Aujourd’hui, l’air londonien est aussi propre qu’au Moyen Âge. Depuis 1990, la forêt européenne croît à un rythme annuel de 0,3 %. La déforestation continue en Indonésie ou au Brésil, mais le taux mondial de déforestation annuel a ralenti, passant de 0,18 à 0,0009 % depuis les années 1990. On a mesuré que, grâce à l’évolution des techniques agricoles, on a pu sauvegarder une surface forestière de deux fois l’Amérique du Sud depuis les années 1960. Bien sûr, on crée de nouveaux problèmes. Mais comment y faire face ? Plus un pays est riche, mieux il peut développer des technologies propres.
Dans le classement des indices de performance environnementale, les pays scandinaves sont en tête, alors que la Somalie, le Niger ou Haïti sont en queue. Les problèmes environnementaux dans ces pays ne proviennent pas de la technologie, mais de l’absence de technologie. Autrement dit, nous devons accélérer le progrès plutôt qu’adopter la décroissance, qui signifierait un retour à la pauvreté pour des millions de personnes et serait plus néfaste pour l’environnement. Car le pire qui puisse arriver, c’est l’utilisation de vieilles technologies, ce qui se pratique dans des pays africains ou en Asie.
Si vous pensez que le travail des enfants est quelque chose de nouveau, consultez les tapisseries et les témoignages du Moyen Âge, où les enfants font partie intégrante de l’économie. Aujourd’hui, ça paraît bénin, car nous avons une représentation romantique de la ferme, comme si c’était un plaisir. Mais je peux vous assurer que cela n’était pas le cas à l’époque. Le travail des enfants a continué sous la révolution industrielle, mais à travers des oeuvres comme celle de Dickens il y a eu une prise de conscience qui marqua le début du déclin. Aujourd’hui, en Inde comme au Vietnam, le travail des enfants baisse rapidement. Entre 1993 et 2006, la proportion des 10-14 ans travaillant au Vietnam est passé de 45 % à moins de 10 %. Au moment où les parents deviennent plus riches, la première chose qu’ils font est de ne plus envoyer leurs enfants travailler, car ils ne le faisaient pas par plaisir sadique, mais pour survivre. Historiquement, le capitalisme a donc permis de mettre un terme au travail des enfants, pas l’inverse.
Pour Angus Deaton, le progrès crée toujours des inégalités. Depuis 1980, celles-ci sont grandissantes dans les pays de l’OCDE…
Deaton a raison. Il y a deux cents ans, il y avait plus d’égalité dans le monde, mais c’est parce que l’immense majorité d’entre nous était pauvre. L’indice de Gini était donc très bas. Puis, dans une minorité de pays, les gens ont commencé à avoir plus de libertés, ils sont devenus beaucoup plus riches : leur PIB par habitant a été multiplié par 20. Évidemment, vous introduisez ainsi une énorme inégalité dans le monde. Mais, comme l’explique Deaton, ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Serait-il préférable que tout le monde soit resté pauvre ? Prenez la Chine. Il y a trente ans, c’était un pays très égalitaire, mais 90 % de la population vivait dans l’extrême pauvreté, contre 10 % aujourd’hui. Si vous ne vous concentrez que sur les inégalités, vous aurez l’impression que ça a empiré. Le progrès n’est jamais égalitaire. Il se concentre plus sur les régions côtières, dans les grandes villes. Cela dit, l’inégalité peut devenir un problème, surtout quand certains groupes commencent à se garantir des privilèges et prennent le contrôle du pouvoir. C’est ce qui s’est passé en Russie, où un petit groupe a pris en otage le gouvernement, faute de transparence.
il est utile de rappeler que, plus que votre salaire, l’important est ce que vous pouvez acheter. Même si vous n’avez pas augmenté vos revenus de manière importante depuis les années 1980, vous avez eu accès à des technologies et à des services qui n’existaient pas dans le passé. Avant, seuls les riches pouvaient s’acheter une encyclopédie. Maintenant, on y a tous accès pour rien ! Comment chiffrer ça ? Ça n’apparaît pas dans les statistiques. Sans parler de la médecine, qui nous a donné près de dix années supplémentaires de vie. Les taux de criminalité se sont réduits, l’accès à la technologie a augmenté pour tout le monde.
Au-delà des chiffres, il y a les questions culturelles. La mondialisation et l’immigration font craindre à certains de perdre leur identité.
C’est effectivement un facteur plus important que les données économiques. Les supporteurs de Trump ne sont pas au chômage, mais ils appartiennent à une classe blanche qui pense que son identité est en déclin car menacée par les minorités. Cela explique en grande partie l’essor des populismes en Europe et aux États-Unis. Les psychologues parlent d’un réflexe d’autorité. C’est un besoin de protection qui touche aussi l’éducation, la liberté sexuelle, les droits des minorités. C’est l’idée qu’on doit se reprendre en main. Je comprends ce sentiment, mais les conséquences en seraient terrifiantes, car tout le progrès dont nous parlons est dépendant de notre ouverture au monde.
La réflexion de Johan Norberg n’est pas celui d’un simpliste béat qui pense que tout va bien, il suffit de laisser venir.»
Il répond :
« [Je n’ai pas écrit ] un livre sur le progrès […] pour dire : « Regardez, tout est génial, on peut être relax. » Non, je l’ai fait parce que j’ai un peu peur. Les risques sont là et ils sont bien plus dangereux quand les gens ne comprennent pas ce que la race humaine peut réaliser quand elle est libre. Je suis très effrayé par cette demande d’autorité, à droite comme à gauche, pour s’opposer à la mondialisation. […] Je suis donc un optimiste soucieux. Cela dit, je reste optimiste, car l’humanité a traversé dans l’Histoire des choses bien pires et est arrivée à ce monde où même les gens qui ont eu la malchance de naître dans des conditions difficiles vivent plus longtemps. L’humanité est résiliente et a beaucoup de pouvoirs. »
Ses arguments sont forts et documentés.
Vous trouverez en pièce jointe l’intégralité de l’interview