Mercredi 11 mars 2015
« Ce ne sera peut-être pas joyeux, mais ce sera un bon départ. »
Fabienne Bidaux
Une nouvelle proposition de Loi sur la fin de vie est présentée, à l’Assemblée nationale, par deux députés Alain Claeys (PS, Vienne) et Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes)
Ce texte n’autorise ni euthanasie ni suicide assisté mais instaure un droit à une sédation « profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale, ainsi que des directives anticipées contraignantes.
Le Monde a publié deux textes que j’ai mis en pièces jointes.
L’un est une tribune publiée par Le Monde lundi 9 mars par cinq représentants des trois grandes religions monothéistes qui disent leur opposition à l’emploi de la sédation pour donner la mort.
Ils écrivent notamment :
« Nous, représentants des trois grandes traditions religieuses monothéistes, conscients des évolutions qui traversent notre société, des nouvelles situations qu’elles génèrent et de la nécessité de rechercher des adaptations, voire des améliorations, des dispositifs législatifs et réglementaires pour accompagner ces évolutions, considérons qu’une telle recherche doit être le fruit d’un débat serein, démocratique et respectueux de la personne humaine et de sa dignité.
Le contexte actuel manque de lisibilité, et la période que nous traversons est difficile, secouée par des crises à répétition, politique, économique, financière et morale. Un nouveau débat sur la fin de vie risque d’y ajouter de la confusion.
Il y a moins de dix ans, la République française avait tranché la question par la voix unanime de ses parlementaires, quand fut votée la loi Leonetti, le 22 avril 2005.
« Rien ne pourra jamais justifier le droit de donner la mort à un homme » : ni sa santé, ni son inconscience, ni son extrême vulnérabilité, ni même son désir de mourir.
Le caractère inviolable de la vie humaine avait franchi une nouvelle étape. Et c’est sur ce socle commun que s’est consolidé l’acte médical face à l’euthanasie.
[…]
Dans le débat qui s’ouvre aujourd’hui surgit en effet une nouvelle tentation : celle de donner la mort, sans l’avouer, en abusant de la « sédation ». S’il peut être utile ou nécessaire d’endormir un patient, à titre exceptionnel, l’usage de cette technique est dénaturé dès qu’il s’agit, non plus de soulager le patient, mais de provoquer sa mort. Ce serait un acte d’euthanasie. […]
Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre société, pour le lien entre les générations, pour la confiance entre les soignants et les soignés et, plus profondément, pour servir la grandeur de la médecine, l’esprit de la civilisation, et notre plus grande humanité. »
Le 8 mars, le même journal avait publié le témoignage « posthume » de Fabienne Bidaux, qui souffrait d’un cancer généralisé, témoignage dont j’ai tiré le mot du jour.
Le 22 janvier, elle avait téléphoné au journal : « C’est maintenant une question de quelques petites semaines, j’arrive sur le parcours final. » et avait décidé de se confier au Monde pour apporter « sa contribution posthume au débat sur la fin de vie».
« Je n’ai pas pris cette décision d’aller mourir en Suisse par caprice ou mauvaise humeur », […]
Elle assure être « soulagée » à l’idée de ne pas terminer sa vie sur un lit d’hôpital. « Quand je serai dans le train, je serai proche du but, j’aurai gagné sur la maladie. »
Cette décision, c’est l’épilogue de son combat contre le cancer métastasé « non guérissable » qui a été diagnostiqué trop tardivement, en 2010, après deux années de douleurs hépatiques. Du sein, il s’est progressivement étendu aux poumons, aux os, au foie, à la plèvre, au péritoine… C’est aussi une conséquence de son choix, en 2012, d’arrêter tous ses traitements, puis de sa décision de pouvoir, le jour venu, « mourir debout ».
« Paradoxalement, remarque-t-elle, Dignitas, l’association qui va provoquer ma mort, m’a sauvé la vie. Savoir que cette solution existait m’a permis de vivre ces derniers mois avec joie et légèreté. »
Depuis l’obtention du « feu vert provisoire » de l’association, au mois d’avril 2014, synonyme pour elle de droit à mourir, Fabienne Bidaux dit s’être chaque jour demandé si elle saurait reconnaître le moment où elle devrait se décider. « Comment choisir la bonne date ? Pour que ce ne soit ni trop tôt ni trop tard… » Ce moment est finalement apparu comme une évidence. « Je présentais les premiers symptômes de la dégradation finale des organes », dit-elle, en désignant son ventre ballonné, signe d’une hémorragie interne liée à son foie malade. « Attendre plus longtemps, c’était prendre le risque d’être hospitalisée, d’avoir des perfusions, de ne plus avoir le contrôle. » […]
Les dernières heures, c’est Jean-Yves Meslé, un ami proche, qui nous les a racontées. Le trajet en train jusqu’en Suisse. Caen-Zurich, via Paris. Avec sa mère et un cousin d’abord, rejoints à Paris par deux couples d’amis. « On n’allait pas à un enterrement », raconte-t-il, gardant le souvenir d’un voyage à la fois « très fort » et « étonnamment ordinaire ». Lorsque le soir, après le dernier repas au restaurant de l’hôtel, tout le monde est parti se coucher, « on s’est tous dit, en lui disant bonne nuit, que c’était la dernière fois », soupire-t-il. Le lendemain matin, lundi 16 février, après avoir été rejoint par d’autres proches, c’est un cortège d’une petite vingtaine de personnes qui a parcouru les 500 mètres qui séparent l’hôtel de la « maison bleue » de Dignitas. En tête de la procession, Fabienne Bidaux, au bras de son frère. « A ce moment, la brume s’est levée, le soleil est apparu », se souvient Jean-Yves Meslé. Après être entré dans la maison, il lui a fallu, en tant que témoin, présenter sa pièce d’identité, signer différents papiers, attester que son amie n’avait pas été contrainte de se suicider. […] Après avoir absorbé une boisson létale, Fabienne Bidaux est morte à 12 h 40, « sereine, apaisée et souriante, entourée des gens qu’elle aimait ». « Sa mère lui tenait une main, je tenais l’autre, elle s’est endormie, et ça s’est terminé comme ça, exactement comme elle l’avait souhaité », témoigne Jean-Yves Meslé. « Ce ne sera peut-être pas joyeux, mais ce sera un bon départ. » Elle en avait fait le pari.
Comment conclure ces deux points de vue si différents ?
Les arguments de ceux qui veulent une règle simple : « ne pas tuer sont forts». On peut tout craindre, quand le calcul économique, la conscience de l’épicier se développent partout, même dans les plus hautes sphères de l’Etat ou dans l’Hôpital, que cette porte ouverte vers une fin maîtrisée puisse aussi être une ouverture vers un calcul sordide des coûts du maintien de vie. Et puis l’injonction : « on ne tue pas » est univoque, ne pose pas la question qui fait peur, la question ultime.
L’autre position est plus difficile, quand ? le faut-il vraiment ? La décision est-elle prise avec toute la sérénité nécessaire ?
La proposition de loi française, telle qu’elle est annoncée est plus proche de la première position que de la seconde.
La France n’est jamais à l’avant garde de ces combats.
Elle n’a pas été la première ni pour abolir la peine de mort, ni pour permettre la contraception, ni l’avortement, ni dépénaliser l’homosexualité, ni permettre le mariage homosexuel, ni interdire les châtiments corporels pour les enfants.
Mais il me semble bien que cette évolution, comme les autres, est inéluctable.
Les religions monothéistes n’ont jamais été, dans toutes ces évolutions, dans ce sens de l’Histoire, probablement que c’est leur vocation.
Mais j’avoue qu’ici, plus qu’ailleurs, l’esprit fécond du doute m’envahit.
Nous sommes au plus profond du mystère de l’humanité, de cette question qui nous taraude dès que la conscience nous est donnée, celle dont on parle peu, qu’on craint d’aborder, celle que souvent on fuit : celle de notre finitude.
Car oui ! nous n’avons pas, ici-bas, de demeure permanente.
Et la décision de partir vers l’inconnu plutôt que d’attendre que notre souffle de vie s’éteigne par lui-même ou par la volonté de forces supérieures, nous entraîne plus que vers la partie la plus intime de notre être : l’essence même de notre être.