Avant la pause de noël, j’avais entrepris une réflexion sur le temps qui passe, à l’aune d’une phrase que ma grand-mère prononçait régulièrement à la sortie de Noël : « Bientôt Pâques ».
Après la pause, le mot du jour d’hier était centré sur l’attente qui est encore une réflexion sur le temps.
Pendant cette période, mon ami Jean-François de Dijon m’a envoyé par courrier un numéro de « Courrier International » qui portait comme titre sur sa page de couverture : « Le temps passe-t-il trop vite ? » avec le souhait que ces articles de la presse internationale fécondent ma réflexion et puissent, peut-être, alimenter le mot du jour.
Je crois que ce numéro est venu au bon moment et je vais donc partager avec vous ces connaissances ou ces spéculations sur ce « temps » qui obsède homo sapiens pour l’occuper, pour le retenir, pour l’allonger et au-delà, le plus important pour moi : le remplir.
Le premier article que je souhaite partager a été publié dans le journal espagnol « El Independiente » et pour titre : « Pourquoi nous sommes devenus impatients ». J’ai cependant préféré utilisé comme exergue, un proverbe africain également cité par le journal parce que cette phrase me parait plus poétique et que la montre est certainement une des raisons de cette impatience. Alors quand on parle de montre connectée et que l’on y voit que les innombrables services que ce tout petit objet peut rendre, il ne faudrait pas négliger aussi les conséquences de la « servitude volontaire » qu’elle impose et imposera à ses utilisateurs qui deviendront peut être des esclaves modernes de l’impatience et du flux des données et de l’information qui comme une avalanche nous submerge.
L’article commence par la description d’un fait, lorsque le journaliste appelle la chercheuse Amparo Lasén, cette dernière est en pleine dispute avec son fils qui lui reproche d’avoir oublié son portable à la maison ce qui ne lui a pas permis de la joindre pendant deux heures.
Cette tyrannie a été évoquée plusieurs fois par le mot du jour et particulièrement lorsque j’ai évoqué cette phrase écrite par Philip Roth :
« Qu’est-ce qui s’était passé depuis dix ans pour qu’il y ait soudain tant de choses à dire, à dire de si urgent que çà ne pouvait pas attendre ? »
Une pression diffuse et pourtant omniprésente nous impose non seulement dans le monde professionnel mais aussi dans le cercle familial et amical d’être accessible en permanence. Si nous n’y prenons garde nous sommes dans les deux rôles celui qui irrite la personne qui ne parvient pas à nous joindre mais aussi de celui à qui il paraît insupportable de devoir attendre une réponse de quelqu’un qui n’est pas joignable,
Oui ! Qu’est ce qui s’est passé ?
Amparo Lasén est professeure de sociologie de l’université Complutense de Madrid et sa spécialité est de répondre à la question : comment l’ère numérique nous transforme ?
Elle étudie notamment l’impact des téléphones portables sur notre vie quotidienne et conclut, comme Philip Roth, que notre capacité à attendre s’est dégradée de façon ahurissante ces dix dernières années, depuis que nous avons un téléphone portable dans la poche.
Mais notre dépendance envers le mobile n’est pas le seul symptôme de cette dégradation. En réalité, le temps comme valeur marchande est un concept relativement récent.
Francesc Núñez, directeur du mastère en humanités de l’université ouverte de Catalogne (UOC) explique :
« Avant l’industrialisation, le temps n’était pas perçu comme quelque chose de monnayable »
J’ai fait une recherche pour essayer de découvrir qui a inventé cette formule que chacun ânonne aujourd’hui comme s’il s’agissait d’une vérité scientifique : « Le temps c’est de l’argent ». Il semble qu’il s’agisse de Benjamin Franklin, donc un des fondateurs des Etats-Unis d’Amérique (1706 – 1790) ce qui situe bien cette phrase au début de la révolution industrielle.
Francesc Núñez ajoute :
« Internet fait voler en éclats notre manière de vivre le temps. Avec Google et les réseaux sociaux on a l’impression de s’affranchir de l’espace et du temps. N’importe quelle action peut être réalisée à tout moment, nous oublions que nous n’avons pas la maîtrise du temps. [avec Whatsapp, Twitter, Instagram, Facebook] nous avons énormément multiplié nos relations avec notre entourage en vue de faire des choses, mais tant d’immédiateté comporte le risque d’une insatisfaction constante. »
Et quand des spécialistes des sciences cognitives comme le Professeur Jordi Vallverdu de l’Université autonome de Barcelone décryptent ce qu’ils ont compris cela donne cela :
« Les likes agissent sur la neurochimie du cerveau. Sur les réseaux sociaux nous sommes comme ces rats de laboratoire qui courent après les récompenses. […] à chaque like nous avons une montée de dopamine et cela crée une dépendance. […] A mesure que le numérique s’est immiscé dans notre vie sociale, il a de plus en plus faussé notre perception de l’espace et du temps. »
Grâce à cet article, j’ai appris un nouveau concept : le « Fomo »
« L’abondance de divertissements disponibles à l’ère numérique donne lieu à ce que les spécialistes appellent le « Fomo » (fear of missing out) la peur de passer à côté de quelque chose d’important ».
Il semblerait comme le révèle cet article et je l’ai lu également dans d’autres articles que la capacité d’attention des jeunes générations diminue énormément par rapport à leurs ainés. L’article évoque une moyenne de 12 secondes.
Pour ma part, je reste très prudent par rapport à ce type d’information, je ne suis pas sûr qu’on mesure toute la complexité de la mutation qui est en train de se réaliser. Car il me semble que sur des jeux vidéo stratégiques des jeunes gamers sont capables d’une concentration très prolongée. En tout cas, il se passe quelque chose au niveau de l’attention, probablement que certains éprouvent de grandes difficultés de se concentrer sur des textes écrits qui demandent de longue période concentration. Mais parler simplement d’une capacité d’attention de 12 secondes, quel que soit le sujet de l’attention, me semble un peu court, comme aurait dit Cyrano.
En revanche, si on n’en revient au mot du jour d’hier le « savoir attendre » a clairement diminué, alors que comme le dit Amparo Lasén :
« C’était autrefois une qualité associé à la maturité ».
Et elle continue sur ce sujet en tirant les conséquences sur les relations sociales :
« Nous faisons culpabiliser les autres de nos propres urgences. »
Et Fransesc Nunez ajoute :
« Nous finissons par nous imaginer que le temps n’existe pas pour les autres, et nous exigeons d’eux qu’ils s’adaptent à nos besoins. Mais le fait que je sois pressé ne veut pas dire que je doive obliger l’autre à s’occuper de moi toutes affaires cessantes ».
L’article donne la conclusion à Jordi Vallverdu :
« Pour ne pas perdre le contrôle de notre temps, nous devrions arrêter de répondre à tout et réduire le nombre d’heures où nous sommes connectés. Au restaurant, on ne prend pas tous les plats de la carte. Il faudrait faire de même avec l’information : on n’a pas à tout avaler pour la simple raison que cela apparaît sur les réseaux. ».
Et j’ajouterai simplement que notre temps est limité, il est donc indispensable de choisir, de sélectionner ce qui le remplira pour notre équilibre personnel, ce qui nous nourrit vraiment et simplement nous fait du bien. Et je crois fermement que parmi ce que nous pouvons et devrions écarter il n’y a pas seulement la frénésie du flux d’informations numériques mais bien d’autres accapareurs de temps inutiles et malfaisants.
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Il est probable que la puissance des machines, qui dépasse déjà l’humain dans la plupart des domaines, modifie profondément notre conscience et amène une sorte d’évolution Darwinienne des personnalités issue de l’adaptation au milieu.
On le voit avec la jeune génération pour qui le monde d’avant internet est difficilement intelligible et on le voit aussi, mais c’est plus classique, avec les génération anciennes qui ont des difficultés à comprendre certains comportements actuels (voir par exemple la chaîne japonaise de consommation de boissons « Chiru Café » qui offre aux étudiants des boissons gratuites contre leurs informations personnelles).