Jeudi 16 avril 2020

« Mais non, ce virus n’est bon pour rien, ni personne »
Camille Islert dans une Tribune à Libération

Depuis le début de la propagation du Covid-19, on voit fleurir des articles, des émissions, des messages, des dessins qui expliquent les bienfaits écologiques et humains du confinement. Il y a même des films, presque des récits religieux, dans lesquels un être quasi divin envoie COVID-19 pour punir les humains ou au moins les contraindre à changer, parce qu’ils n’ont pas compris la sagesse supérieure.

Voici par exemple une <vidéo> mise en ligne le 1er avril et déjà vu près de 1 300 000 fois, qui correspond à un tel récit religieux qui ne me parait ni utile, ni pertinent.

Si on veut avoir une vision plus large de la situation, il faut aussi donner la parole à celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec ce point de vue positif.

Il y a d’abord Bernard Pivot qui du haut de ces 84 ans, ne voit pas d’un esprit bienveillant que le 11 mai il est possible que des jeunes soient déconfinés et que lui et les autres « vieux » seront toujours privés de liberté.

C’est ce qu’il a dit dans un entretien à distance dans l’émission <C à Vous du 14/04/2020> :

« Je me voyais à mon balcon le 11 mai le matin, voyant les enfants aller à l’école, des jeunes gens montés sur leur bicyclette et des hommes et des femmes aller dans le métro et moi dans l’incapacité de descendre mes escaliers ».

Et puis il fait cette description du virus :

« On écrit « Covid-19 » avec un « C » majuscule, parce qu'[on considère] que c’est un être vivant comme James Bond 007. Peut-être qu’un jour on aura un film James Bond contre COVID-19. Le bon contre le méchant.

Je crois qu’aujourd’hui on peut faire le portrait de ce COVID-19

C’est un anticapitaliste, il déteste les échanges mondiaux

C’est un écologiste, parce qu’il n’y a plus d’avion dans le ciel, la circulation des voitures a fortement décliné. L’air est frais, l’air est pétillant. Le Covid-19 a des supporters du côté des ours blancs.

C’est un misanthrope, il déteste que les hommes et les femmes parlent entre eux, boivent, déjeunent, chantent, rigolent ensemble. Il déteste cela, c’est un super misanthrope, même Molière n’aurait jamais imaginé un misanthrope pareil.

Et puis c’est un puritain, il déteste qu’on se touche, qu’on s’embrasse, qu’on se caresse etc…

Il hait le sexe, il ne s’introduit pas dans le corps par le sexe mais il le hait quand même, il déteste la sensualité.

Et puis enfin, c’est un tueur et quand même un peu spécialisé dans les personnes âgées. C’est cela qui est assez terrible.

Moi j’essaie de ne pas montrer mon âge, j’essaie de passer inaperçu. Par exemple je ne parle plus d’Apostrophes, parce que ça fait vieux et je me dis le Covid-19  va me bondir dessus parce qu’il va se dire c’est un vieux. »

Ensuite, c’est une tribune publiée par <Libération> et écrit par une doctorante en lettres modernes : Camille Islert qui dit tout le mal qu’on peut penser de ce coronavirus :

« Alors, oui, il fait beau et le ciel est clair, mais non, ce virus n’est bon pour rien, ni personne, et il serait temps d’arrêter de vouloir nous remonter le moral à grands coups de projections aussi sensationnelles qu’indécentes. »

Elle ne croit pas à ses vertus écologiques, c’est-à-dire la vertu de pouvoir convertir les humains à une autre manière de vivre sur cette planète :

« Non, le confinement n’est pas avantageux pour la planète, et il est encore moins un message que mère Nature nous envoie. Trois mois sans dégueulasser le monde ne sauveront rien du tout, et il y a de fortes chances, vu l’entêtement lunaire de nos dirigeants, que tout reprenne exactement comme avant à la fin des mesures. C’est déjà ce qu’ils nous disent, quand à l’heure où les trois quarts de la planète se rendent compte que leur travail n’est pas indispensable (oups), on force la moitié de ces trois quarts à continuer de produire. Que les choses ne changeront pas. C’est ce qu’ils nous disent quand ils nous distribuent les jours de confinement au compte-gouttes alors qu’on sait tous qu’on va y rester deux mois, comme des gentils papas qui ne veulent pas nous brusquer, quand ils nous racontent que les masques ça sert à rien ça-tombe-bien-y-en-a-pas puis que finalement c’est indispensable mais seulement si tu te le fabriques toi-même avec une vieille chaussette et un élastique. »

Elle ne croit pas non plus que cela changera quelque chose pour les animaux :

« Et non, ce n’est pas parce que des canards, des cerfs, des meutes de loups argentés se trimballent en ville et qu’on verra bientôt des dauphins dans les fontaines que c’est une bonne nouvelle : ils ont juste faim, parce que plus personne n’est là pour leur balancer des miettes de sandwich au jambon. Faim, comme les milliers d’animaux de compagnie abandonnés qui se traînent dans les rues désertes et qui finiront euthanasiés dans les fourrières parce que les refuges sont pleins à craquer.

Non, le confinement n’est pas une bonne nouvelle pour les animaux. Ceux que nous avons rendus dépendants crèvent, et ceux qui n’ont pas besoin de nous crèvent, parce que les forêts, ça repousse pas en trois mois, et que même s’ils se promènent en ville, ça m’étonnerait qu’ils s’installent durablement dans un meublé. Sans compter que les jolis canards et les mignons hérissons d’aujourd’hui seront les premiers fauchés par les bagnoles dès la fin du confinement. »

Et pour les humains le confinement ne peut pas pas non plus les conduire à faire ce qu’ils ne sont jamais arrivés à faire :

« Non, le confinement n’est pas bénéfique pour les gens. Etre confiné, c’est nul. Etre à la rue, c’est bien plus nul encore. Le mieux, sans suspense, c’est de pouvoir passer de l’un à l’autre. C’est de pouvoir rentrer au chaud, dormir en sécurité, et à l’inverse, c’est de pouvoir sortir quand tu es seule et isolée du monde, juste pour voir des gens, c’est de pouvoir aller voir tes proches et tes amis quand tu en as, c’est de pouvoir baiser quand tu en as envie. Tout le monde sait ça, mais il semblerait que les pubs, les discours officiels, les contenus sponsorisés de toutes sortes aient trouvé bon de nous abreuver d’images de bonheur, avec des bouquins de Musil et de Cohen que-j’avais-encore-jamais-réussi-à-lire-en-entier, des miches de pain dorées faites maison, des armoires triées-rangées-pliées, des muscles dont on ne connaissait pas l’existence qui apparaissent en dessous du bras si on se tient à un programme bien réglé, des sites pour apprendre en quelques jours tous les rudiments du suédois. »

Les vrais héros de cette aventure sont les soignants, on leur donne de la reconnaissance saura t’on les récompenser tout simplement par une rémunération plus proportionnée à leur importance dans la société ?

« Non, «rester chez soi» ne sauve pas des vies. C’est le stade minimum de j’arrête de ne penser qu’à mon petit confort et à mon café en terrasse. Ça ne fait pas de nous, de toi, de moi, des héros. Ce qui sauve des vies, ou plutôt ceux qui sauvent des vies, aimeraient bien, sûrement, rester chez eux. Les médecins, les infirmières, bien sûr, mais aussi les livreurs, les caissières, les ouvrières, celles et ceux qui nous sauvent un peu la vie à toutes échelles. Ils ou elles ne sont pas des héros non plus d’ailleurs. Les héros, ça fait les choses pour le mérite et la gloire. C’est beau. Et c’est pratique surtout, de hisser les gens au rang de héros quand on a besoin d’eux, de stimuler leur besoin de reconnaissance pour ne surtout pas leur donner ce dont ils ont vraiment besoin, cette petite chose basse et sale et pas du tout héroïque qui s’appelle l’argent. »

Et de citer toutes celles et ceux qui sont même en danger par ce confinement :

« En fait, ça en met même en danger, des vies, de «rester chez soi». Celles des personnes qui sont seules, qui sont dépressives, qui sont malades et qui n’osent plus appeler les médecins, qui sont enceintes et culpabilisent d’avoir recours à une IVG en période de crise sanitaire, celles des gens qui vivent dans des logements minuscules, insalubres, sans accès à du confort de base. Celles des travailleur·ses du sexe qui n’ont plus de source de revenu. Celles des femmes et des enfants qui sont enfermés avec des hommes violents, avec des hommes qui vont parfois oublier tout principe de consentement parce qu’en étant enfermés H24 ensemble c’est inconcevable qu’on n’ait pas envie, et puis faut bien passer le temps, et puis les besoins naturels et tout et tout. Celles des LGBTQI+ coincés avec des familles homophobes. Plus largement, celles de toutes les personnes dont le foyer n’est pas cette chose molletonnée et rassurante avec crépitement de cheminée qu’on nous vend dans les pubs. Forcément, on a moins envie de les regarder que la cellule familiale parfaite, où tout le monde met la main à la pâte (à pain), où on vit l’enfermement comme une folle aventure. »

Le virus, une catastrophe pour les femmes :

« Il n’y a qu’à sortir pour s’en rendre compte : dans les magasins, dans les rues, partout, une majorité de femmes, avec ou sans masque, trimballent des sacs de victuailles. Des hommes aussi, mais moins, quand même, si, si. Parce que quand on a une chance dans la semaine d’acheter les trucs qu’il faut pour la famille, il vaut mieux pas se louper, et il vaut mieux que ce soit la personne en «charge», vous savez cette fameuse charge mentale, qui se «charge» directement des achats, pour éviter les erreurs. Et devinez qui c’est, dans la majorité des couples hétéros ? Vous avez deviné : probablement la même qui s’occupe des enfants d’une main tout en télétravaillant de l’autre. Jean-Michel, lui, il va sûrement penser à acheter des choses hors du commun, des petits plaisirs pour rendre la vie plus belle, mais pas sûr qu’il pense aux œufs et aux couches. Héros, Jean-Michel, avec ses chips d’exception qui rendent la vie plus belle, mais qui torchent définitivement mal les fesses de bébé. Héros, encore, comme quoi, tout se recoupe. »

Et sa conclusion

« En fait, il révèle et empire : les personnes agées, précaires, racisées sont en première ligne, encore. Non, le coronavirus n’apporte et n’apportera rien de bon, de la chambre à coucher à l’organisation mondiale, pas de bouleversement positif à l’horizon. Des milliers et des milliers de morts, des centaines de milliers de muscles atrophiés en réanimation, des millions de deuils. Non, la planète ne s’en portera pas mieux. C’est de la merde de bout en bout, on fait avec, c’est indispensable, salvateur, mais nous abreuver de raisons vaseuses de le nier n’est bon pour personne. Aidons-nous quand on le peut, donnons-nous du courage puisqu’on ne peut pas (a-t-on jamais pu ?) compter sur le haut de la chaîne pour ça, faisons-nous rire et relativiser quand on le peut. Mais par pitié, arrêtez de vouloir nous forcer à loucher sur les «bons côtés du virus». Il n’y en a pas, et c’est beaucoup plus normal et sain de se sentir dépassé, mou, déprimé, improductif, de faire ce qu’on peut, d’accepter qu’on ne peut pas. Cessez de vouloir nous faire «positiver» et «profiter» au prix de la décence : ça va, on va mal mais ça va. »

Bon….

C’est un point de vue.

Il permet de relativiser et il dit des choses très justes.

Il est un peu pessimiste pour l’avenir. Peut-être, en nous y prenant bien, saurons-nous la faire mentir, au moins en partie.

Prenez soin de vous et bon confinement.

<1399>

Une réflexion au sujet de « Jeudi 16 avril 2020 »

  • 16 avril 2020 à 8 h 13 min
    Permalink

    Il me semble que cette épreuve a au moins la vertu de redonner du contenu aux vrais éléments de bonheur qui nous laissent plus ou moins indifférents en période “normale” au détriment de frustrations trop souvent artificielles

    Répondre

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