Lundi 1 février 2016

«Lady Macbeth du district de Mzensk»
Dimitri Chostakovitch

Le mot du jour correspond au titre d’un opéra, un des plus grands chefs d’œuvre de l’opéra du XXème siècle, de Dimitri Chostakovitch qui est actuellement à l’affiche de l’Opéra de Lyon.

Ce mot se décline à 3 niveaux :

1/ Le premier est une déclaration d’amour à l’Opéra de Lyon quand cette maison accueille des metteurs en scène qui savent mettre en valeur un texte et une musique. L’orchestre, le chœur et les autres artistes font alors des merveilles.

Cette maison d’opéra est, dans cette situation, comparable au plus grandes.

Je ferais court sur ce point, il suffit pour ce spectacle de lire Télérama : <Lady Macbeth de Mzensk embrase l’Opéra de Lyon>

Ou encore ce site spécifiquement consacré à la musique classique <Bouleversante Lady Macbeth à l’opéra de Lyon>

2/ Ce n’est pas le cas quand certains metteurs en scène se laissent aller à leurs instincts de machistes ordinaires. Et à ce deuxième niveau, nous revenons un peu à la thématique de la semaine dernière et de la manière de considérer la femme.

Beaucoup d’entre vous ne sont pas familiers du monde de l’opéra, pourtant vous connaissez tous “Carmen” l’opéra le plus joué au monde, opéra de Bizet sur un texte de Prosper Mérimée. Carmen est une femme libre qui a décidé de choisir ses amants et de décider à quel moment elle passerait de l’un à l’autre. Mérimée décrit ainsi une femme moderne, libre. Le metteur en scène qui a réalisé cet opéra à l’opéra de Lyon en 2013 a cru intelligent de la présenter comme une prostituée au milieu d’autres prostituées. Une femme libre ne saurait être qu’une putain, voilà la brillante idée qu’a soutenu, le connu et emblématique directeur du festival d’Avignon : Olivier Py. Un metteur en scène du genre mâle.

L’autre grand opéra français : “Pélléas et Mélisande” de Debussy sur un texte tout en finesse et en symbole de Maurice Maeterlinck, décrit une jeune fille apeurée, qui a fui un mari dont elle ne parle qu’en allusion et qui s’échappe dans les échanges avec le vieux prince Golaud qui l’a recueilli et épousé sans lui laisser trop le choix, par des mensonges qui restent sa seule défense. Maeterlink met en scène une femme qui a subi des violences avant que l’opéra ne commence et va continuer à être opprimé par Golaud. Soit par manque d’imagination ou par mimétisme avec Olivier Py, le metteur scène du genre mâle, Christophe Honoré qui a mis en scène cet opéra en juin 2015, à Lyon, a fait de Mélisande une prostituée.

C’est encore un metteur en scène du genre mâle, Stefan Herheim, qui avait la tâche de mettre en scène Rusalka de Dvorak en 2014 et qui va avoir la brillante idée d’en faire une prostituée.

Cet opéra est moins connu, mais l’histoire est connu de tous : c’est l’histoire de la petite sirène qui parce qu’elle est amoureuse d’un prince humain doit abandonner sa nature de sirène. Ce mâle-ci a trouvé particulièrement pertinent d’interpréter le symbole de la communauté des sirènes, comme un groupe de prostituées sous la domination d’un mac et a été particulièrement fier de pouvoir faire l’analogie entre la difficulté pour la sirène d’entrer dans le monde des humains, et la prostituée d’entrer dans le monde des bourgeois.

Et enfin, il y a la damnation de Faust de Berlioz inspiré du Faust de Goethe. Cette fois il s’agit de la pécheresse Marguerite abusée par Faust lui-même entraînée vers la perversion par Méphistophélès, personnification de Satan, qui va subir le même traitement. Cette fois c’est David Marton, metteur en scène du genre m…, qui va tout simplement ajouter du texte à l’opéra, texte certes uniquement parlé, où des enfants (comme c’est charmant) vont vociférer vers Marguerite et bien sûr la traiter de P..

Quand sur un peu plus de 2 saisons, des metteurs en scènes différents arrivent à concevoir le même type de représentation, il ne s’agit plus d’un hasard ou d’une malencontreuse coïncidence, il s’agit d’un système de pensée.​

Une femme libre, une femme victime de violence, la petite sirène, la jeune fille abusée par un manipulateur : “toutes des putes”.

Nous sommes dans le même esprit que celui que j’ai dénoncé dans les 5 mots du jour de la semaine dernière.

3/ D’où cette divine surprise quand cette fois, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov n’a pas succombé à cette facilité.

Car dans cet opéra, ce dont il est question c’est d’une femme frustrée dont le mari est impuissant et lâche, qui est martyrisé par son beau-père chef d’entreprise alcoolique et violent. Cette femme va tomber amoureuse d’un bellâtre et avec lui tuer son beau-père et son mari.

Le crime est dénoncé à une police décrite comme totalement corrompue et le couple finira au bagne où elle se suicidera parce que son amant la trahit.

A ce troisième niveau, je vais vous parler de Staline et de l’Union soviétique.

Cette œuvre extraordinairement réaliste, d’une modernité géniale au moment de sa création en 1934 est portée par une musique d’une force incandescente.

Dès sa création à Saint Petersbourg elle fut acclamée et connut un très vif succès pendant plusieurs mois.

Elle connut le succès jusqu’au 28 janvier 1936 où à la représentation du Bolchoi de Moscou, le camarade Staline avec ses sbires vinrent au spectacle.

Le lendemain matin la Pravda écrivit : “Le chaos remplace la musique” et tout l’article expliqua comment cette musique était dévoyée et que l’Union Soviétique et les masses populaires ne pouvaient accepter telle décadence.

Exactement comme les nazis qui ont développé le concept <d’art dégénéré>

Chostakovitch fut humilié en public, ses œuvres retirées du répertoire, et pour résister à la peur d’être déporté voire pire il augmenta sa consommation de vodka.

Un jour il faillit vraiment être envoyé au goulag, mais chance l’enquêteur du KGB qui s’occupait de réunir le dossier contre lui, fut lui-même mis en cause dans le cadre d’une autre procédure de purge, arrêté, condamné à mort et exécuté. Le dossier de Chostakovitch fût oublié alors dans les méandres de cette administration folle et chaotique.

Chaque fois que l’on creuse un peu on constate qu’il n’y a aucune différence de fond entre Hitler et Staline qui furent tous deux des criminels, des déséquilibrés, des tyrans pathologiques et aveuglés par la violence de leur pouvoir.

C’est tout récemment qu’Alain Minc, qui ne fait pas partie de mes inspirateurs, m’a dévoilé pourquoi des amis que je respecte n’ont jamais voulu mettre Hitler et Staline au même niveau.

Alain Minc a dit, du temps de Staline il y avait beaucoup de communistes qui étaient des braves types et qui avaient foi que le communisme apporterait le bien au plus grand nombre, les nazis qui croyaient à la supériorité de la race n’étaient jamais des braves types.

Ceci est certainement juste, mais les deux maîtres de ces idéologies, eux, étaient des sales types dont on ne peut départager la noirceur.

Mais tout ceci ne doit pas m’éloigner des deux messages principaux que je voulais dévoiler dans ce mot :

Lady Mac Beth de Mzensk est un chef d’œuvre

L’opéra de Lyon en réalise une interprétation admirable.

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