Mercredi 2 décembre 2015

Mercredi 2 décembre 2015
« De cette guerre de tout homme contre tout homme résulte aussi que rien ne peut être injuste.
Les notions de bien et de mal, justice et injustice, n’ont pas leur place ici. Là où n’existe aucun pouvoir commun, il n’y a pas de loi.
Là où n’existe pas de loi, il n’y a aucune injustice.
La force et la ruse sont en temps de guerre les deux vertus cardinales. »
Thomas Hobbes, « le Léviathan » Chapitre 13
Thomas Hobbes (1588 – 1679) est un philosophe anglais que l’on connaît par son livre de philosophie politique « le Léviathan ».
Il est un de ceux qui sont en général reconnus comme un des concepteurs du libéralisme dans un temps où la religion était omniprésente et l’organisation des sociétés était dominé par le gouvernement de droit divin d’un souverain.
Nous sommes en état de guerre disent nos gouvernants.
Plusieurs fois j’ai entendu des intervenants citer Hobbes pour parler de nos temps présents de la guerre. Brice Couturier a même opposé une France avec une politique Hobbesienne en face d’une Allemagne adepte d’une politique Kantienne en référence probablement à son ouvrage « Zum ewigen Frieden. Ein philosophischer Entwurf» –  Vers la paix perpétuelle, un essai philosophique.
C’est dans son chapitre 13 du « Leviathan », qu’Hobbes parle de la guerre. Vous en trouverez un extrait dans une pièce jointe.
Et si j’essaie de résumer son propos dans un langage plus moderne : il dit que pour mettre fin à la guerre, il faut des Lois et les Lois sont le fait de la Politique, c’est à dire l’organisation des hommes et des sociétés.
S’il n’y a pas de Loi, pas de politique, les notions de bien et de mal n’ont pas leur place.
Toute cette réflexion est développée dans l’émission les chemins de la connaissance : <http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-qu-est-ce-qu-une-guerre-14-hobbes-et-clausewitz-l-e>
Dans cette émission Hobbes est opposé à Clausewitz, celui à qui on attribue la phrase : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », phrase qu’il n’a pas écrite ainsi. Dans l’émission la phrase est citée dans sa version originale.
Il s’agit donc bien deux pensées différentes, l’une qui oppose la politique et la guerre et l’autre qui considère que la guerre fait partie intégrante de la politique.
Il reste cependant que l’utilisation du terme guerre est très problématique dans notre situation actuelle.
Parce que d’une part si nous sommes en guerre et en cela je rejoins Hobbes « rien ne peut être injuste », il semble quand même difficile de ne pas reconnaître que si nous bombardons nos ennemis de DAECH dans le cadre d’une guerre, ces derniers ne soient pas légitimes à venir nous frapper chez nous. Alors oui, ils utilisent des armes asymétriques, la France utilise des avions sophistiqués, le Rafale coûte 94 Millions d’euros environ. Faire un lavage de cerveau d’un jeune braqueur occidental, l’armer d’une kalachnikov et d’une ceinture d’explosif pour finir le travail est beaucoup moins onéreux. Mais le résultat est suffisant pour le but de guerre de l’ennemi : créer la peur, diviser les français en espérant que d’autres jeunes écervelés rejoignent les rangs des tueurs.
Qu’ensuite le but de guerre semble assez peu établi. Éradiquer le terrorisme ! Ce n’est pas sérieux, ils n’y arriveront pas uniquement avec une action militaire, encore moins des frappes aériennes. Si une coalition parvient à s’unir suffisamment, ils pourront éliminer les chefs de DAECH et chasser ses combattants des villes qu’ils occupent actuellement. Mais ils n’auront toujours pas éradiqué le terrorisme, il est passé d’Al Qaida à DAECH, si DAECH est suffisamment amoindri, un autre groupe se lèvera.
Car le but de guerre, c’est surtout répondre à deux questions de manière claire au moment où on passe à l’action :
1° Quand considère-t-on l’objectif atteint ?
2° Qu’est qu’on fait après ?
Lors de la seconde guerre mondiale, l’objectif était la capitulation de l’Allemagne. On s’en est donné les moyens, on a cherché tous les alliés qui pouvaient aider, on les a armés et on a gagné. Le général Patton voulait continuer après avoir battu les nazis, il voulait se retourner contre l’URSS et continuer la guerre. Les stratèges américains et alliés ont heureusement freiné cette dérive : le but de guerre sur le front européen était atteint, il fallait arrêter
Et puis après, la suite a été organisée et on en connaît les fruits, une Allemagne pacifique qui est sortie de la noire période nazie.
Lors de la guerre du Viet Nam les Etats-Unis n’avaient pas un tel but de guerre. Ils se sont enlisés et ont dû se retirer piteusement, exactement comme l’URSS en Afghanistan.
Et puis il y a la politique que l’on fait après …
Quand GW Bush a engagé la seconde guerre contre l’Irak, il avait peut-être un but de guerre, battre l’armée régulière irakienne puis destituer Saddam Hussein. Mais c’est tout ! Pour après, il n’y avait pas de plan. Ou alors un plan pour les contes pour enfant : et après avoir vaincu l’horrible dictateur les gentils américains ont aidé l’Irak à entrer dans l’ère progressiste et pacifique de la démocratie ! 
Parce que s’il existe des fous d’Allah qui participent à ce chaos et à ce naufrage de la civilisation, il y a aussi des problèmes fondamentalement politiques qui ont conduit à la création de ce monstre.
Vous trouverez en pièce jointe un article montrant le rôle qu’a joué un ancien colonel des services secrets de l’armée de Saddam Hussein dans l’émergence et l’organisation de DAECH.
Il faut toujours rappeler que c’est GW Bush qui a le premier depuis bien longtemps utilisé le terme de croisade. Quand DAECH dans sa revendication des attentats du 13 novembre parle de « croisés », il ne fait que répondre au camp occidental.
Il semble donc que l’utilisation du terme de guerre est à la fois inappropriée et laisse le problème de fond dans un flou tel qu’il n’existe aujourd’hui aucun espoir que l’engagement de nos forces armées règle le moindre problème en Irak et en Syrie et nous évitent des attaques terroristes qui seront mieux combattues par des services de sécurités et de renseignements efficaces et communicants à l’échelle du continent européen.
Mais pour le reste, je crois qu’on peut revenir à la pensée de Hobbes, il faut faire de la politique.
C’est-à-dire réfléchir sur les frontières artificielles de cette région, et puis traiter la question kurde, israélo-palestinienne, la cohabitation entre les communautés religieuses.
Je ne dis pas que cela est facile. Bien sûr que non.
Mais la guerre ne permettra pas d’améliorer la situation bien au contraire.
Je pense qu’il peut aussi être intéressant de lire cette Tribune dans Libération écrit le 24 novembre 2015 par un groupe d’intellectuels : <Les Rafale tuent des civils aussi innocents que ceux du Bataclan. Comme en Irak, certains de ces civils finiront par se solidariser avec les djihadistes : ces bombardements sont des bombes à retardement.>