Jeudi 3 décembre 2015

Jeudi 3 décembre 2015
« Nous avons affaire à un projet politique et religieux  fondamentaliste venant de l’Islam »
Marcel Gauchet dans l’émission d’Anne Sinclair du 22/11/2015
Nous avons besoin de comprendre ce qui nous arrive.
Pour cela, il faut faire appel à des intellectuels qui pensent les phénomènes dans leur globalité. Les différents éclairages peuvent être complémentaires, quelquefois même se frictionner un peu, sans toutefois se contredire.
 
Il décrit la situation de ces jeunes dont certains ne sont pas nés musulmans, mais ce sont convertis et qui entrent dans cet univers effrayant de l’appel à la mort. Il  pense que la jeunesse a de tout temps eu besoin d’absolu, de rallier une cause supérieure pour laquelle cela valait la peine de mourir et aussi de donner la mort.
Historiquement il y eut à la fin du XIXème siècle les anarchistes qui multipliaient les attentats, puis il y eut les fascistes, puis les mouvements révolutionnaires. Aujourd’hui, Olivier Roy explique que la seule cause qui se trouve sur le marché est l’islamisme. Les jeunes qui éprouvent ce besoin de radicalité se tournent alors vers l’islam et ses franges les plus rigoristes, les plus absolues. C’est pour cette raison qu’il parle de l’islamisation de la radicalisation.
J’émets pour ma part l’hypothèse que demain peut-être l’écologie pourrait aussi être une cause de radicalisation. Peut-être qu’alors des attentats ou des crimes horribles seront commis au nom de cette extraordinaire cause  « sauver la planète » qui serait plus justement décrite par l’expression «  sauver l’espèce humaine ». C’est une hypothèse qui me paraît crédible.
La vision de Marcel Gauchet est complémentaire et il parle moins des jeunes tueurs d’ici que des idéologues de DAECH, mais aussi des fondamentalistes salafistes d’ici et des pays du moyen orient et de la péninsule arabique.
C’est ainsi qu’il commence son intervention dans l’émission d’Anne Sinclair : « Nous avons affaire à un projet politique et religieux  fondamentaliste venant de l’Islam. [..]. Ce fondamentalisme relève d’une réaction à la  pénétration dans des sociétés encore largement traditionnelles  des valeurs occidentales modernes qui déstabilisent ce terreau social et qui suscite une réaction mi identitaire mi religieuse qui peut prendre l’aspect d’un projet de restauration en bonne et due forme d’une société intégralement organisée par le religieux. »
Marcel Gauchet insiste beaucoup sur notre incapacité de concevoir la religion comme projet de société comme organisation de la société. Dans notre conception la religion est individuelle.
« Pour nous, le religieux c’est le personnel par excellence, mais le religieux historiquement jusqu’à une date tout à fait récente jusqu’à il y a deux siècle et demi dans le monde européen, c’était tout autre chose, c’était une manière pour les sociétés de s’organiser sous tous leurs aspects ». Et Marcel Gauchet constate que dans les pays musulmans, l’Islam organise encore grandement ces sociétés.
Des tensions surviennent parce que dans ces sociétés la mondialisation, l’individualisme, bref les normes occidentales sont en train de séduire la population et le fondamentalisme est alors une réaction rigoriste contre cette séduction, cette corruption des masses musulmanes décrites comme diabolique.
Il y a un autre point sur lequel il insiste concernant l’imaginaire musulman. Pour les pieux musulmans le troisième monothéisme est le plus accompli, celui qui domine les autres par ses valeurs et son intelligence. Or cette supériorité spirituelle se heurte à la réalité culturelle et économique du monde. Gauchet explique que pour ces musulmans « les dominants religieux sont les dominés culturels et économiques ». C’est une situation qui va susciter un antagonisme très fort qui prend la forme d’une haine terrible et une détestation absolue comme l’exprime par exemple le communiqué de DAECH revendiquant les attentats.
Vers la fin de l’émission il révèle une autre incapacité conceptuelle de nos esprits contemporains qui vivons en démocratie, dans des pays de liberté où on peut tout critiquer même la démocratie : Nous ne pouvons pas comprendre qu’on ne nous aime pas, qu’on peut ne pas aimer notre manière de vivre, notre démocratie, notre liberté, notre individualisme.
Or tel est le cas, il y a des sociétés, des groupes, des organisations, des structures étatiques qui ne nous aiment pas du tout, qui sont opposés à nos valeurs qu’ils considèrent comme erronés selon leur conception du monde.
Vous trouverez en pièce jointe, un article du Monde où Marcel Gauchet développe aussi sa réflexion sur ce qui nous arrive.
Il écrit notamment : « Nous allons tout de suite chercher des causes économiques et sociales. Or celles-ci jouent tout au plus un rôle de déclencheur. C’est bien à un phénomène religieux que nous avons affaire. Tant que nous ne regarderons pas ce fait en face, nous ne comprendrons pas ce qui nous arrive. »
Après un développement où il approfondit encore les causes du fondamentalisme il arrive à une conclusion assez optimiste pour l’avenir car il pense que  le fondamentalisme est en dépit de tout et malgré lui une voie d’entrée à reculons dans la modernité : « Il ne constitue pas pour moi une menace capable de remettre en question la manière d’être de nos sociétés. Bien sûr, il peut tuer beaucoup de gens, faire des dégâts épouvantables et créer des situations atroces, mais il ne représente pas une alternative en mesure de nous submerger. Affrontons-le pour ce qu’il est, sans lui prêter une puissance qu’il n’a pas. »