Je ne connaissais par Carlo Ossola qui est né en 1946 à Turin et qui est un est un philologue, historien de la littérature et critique littéraire italien. J’apprends qu’il a été nommé en 2000, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « Littératures modernes de l’Europe néo-latine » et qu’il l’est toujours.
« Philologue » vient du latin philologus (« lettré ») et du grec ancien philólogos (« qui aime parler, discourir ; savant érudit »), c’est un spécialiste des textes anciens et moins souvent, de textes modernes. Plus précisément la philologie, consiste en l’étude d’une langue et de sa littérature à partir de documents écrits
En octobre 2019, il a publié aux éditions des belles lettres un petit livre de 104 pages : « Les Vertus communes»
TELERAMA écrit à propos de ce livre :
« Ce livre redonne vie aux gestes oubliés qui adoucissent le quotidien : contre la violence et la brutalité des rapports humains, une écoute délicate, une manière de parler avec grâce, une bienveillance teintée d’indulgence… De quoi rendre ses lettres de noblesse à la gentillesse, qui a souvent tendance à passer pour un signe de stupidité. »
La table des matières donne la liste de ces vertus communes :
- L’affabilité
- La discrétion
- La bonhomie
- La franchise
- La loyauté
- La gratitude
- La prévenance
- L’urbanité
- La mesure
- La placidité
- La constance
- La générosité
Paré de ces vertus, il me semble plus simple de se faire aimer du plus grand nombre et d’affronter avec sérénité une longue période de confinement avec ses proches.
RFI avait interrogé l’auteur sur son livre lors d’une émission du <27 novembre 2019>
Pour ma part, c’est Claude Askolovitch qui lors de sa <revue de presse du 23 mars 2020> m’a fait découvrir cet homme de culture et de sagesse.
Concrètement Claude Askolovitch a renvoyé vers un article de <La Croix du 23 mars>.
Ce journal chrétien invite chaque jour, un grand témoin pour évoquer ce temps singulier du confinement.
Le titre de cet article :
« Le confinement, un temps pour balayer le superflu »
Carlo Ossola raconte :
« Je suis « confiné » dans mes collines turinoises depuis le 24 février. Ma fille médecin m’avait signalé que l’épidémie était sérieuse, difficile à endiguer et sous-estimée. J’ai donc pris la responsabilité d’annuler, dès le 25, mes cours au Collège de France et de les reporter pour ne pas soumettre mes auditeurs à des risques supplémentaires.
Cet « isolement collectif » – la formule paradoxale me paraît pourtant exacte – que nous vivons crée un grand silence, bien plus radical que dans le film de Philip Gröning du même nom sur la Grande-Chartreuse. Dans ce film, il y avait une exaltation du silence. Aujourd’hui en Italie, tout est étouffé, comme dans un gouffre de silence où les bruits s’évanouissent. Cette situation crée aussi des comportements sociaux nouveaux : ce week-end, par exemple, d’une fenêtre à l’autre des rues désertes, les Italiens ont sorti leurs instruments de musique et ont animé de notes harmoniques un espace urbain normalement sillonné par la cacophonie exaltée de la vitesse. »
Il remarque que cette crise liée à la pandémie remet certaines choses à l’endroit et notamment crée une autre hiérarchie des métiers indispensables à une société :
« Le travail « matériel » devient précieux, enfin !
Pour la première fois, au cours de ce siècle, un président du Conseil des ministres, en Italie, a remercié publiquement, dans la même phrase, les médecins et les ouvriers. Les structures profondes des sociétés, peut-être, renaissent : la santé, le travail, l’école. »
Le confinement correspond au fait de rester à un endroit, loin de ce désir d’ubiquité d’être partout à la fois, ou du moins de se déplacer rapidement d’un lieu vers l’autre, de ne jamais tenir en place. De ne pas suivre ce conseil de Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. » :
« Je crois que nous vivons la fin du mythe de l’homme ubiquitaire. C’est salutaire. Il faut retrouver une « géographie propre » de l’humain, compatible avec les limites de nos corps. Je compte également sur la fin de la société liquide, vaporeuse, vouée à l’extension plutôt qu’à l’intériorisation. Ce parcours vers nous-mêmes évoque pour moi le Monde du silence, si bien décrit par le philosophe Max Picard (1888-1965). Max Picard parle du silence de la nature, des monuments, de ce qui est essentiel… Il le décrit comme une espèce de corde qui relie l’ensemble de l’univers. »
Les virus ne connaissent pas les frontières, les pauvres qui cherchent asile les subissent :
« L’Europe se relèvera-t-elle de cette crise, alors que les frontières nationales les unes après les autres se rétablissent ?
J’ose dire que cette parade de l’ainsi-dite « fermeture des frontières » est l’acte final de leur disparition au sens romantique célébré par le XIXe siècle et par la Première Guerre mondiale.
Aujourd’hui les frontières sont plus impalpables : le virus suit le trajet de nos avions.
Les frontières et les murs n’existent plus que pour les pauvres qui marchent à pieds nus cherchant un asile qu’ils ne trouvent que parcimonieusement chez nous.
Les frontières sont la représentation exacte de l’épaisseur de notre égoïsme : en Europe, comme en Israël, comme à la frontière entre États-Unis et Mexique. »
Et en partant de sa réflexion sur les vertus communes, il nous donne ces conseils, cette leçon :
« Pour traverser cette période, les « vertus communes », ces vertus de la vie quotidienne qui ne sont pas de « petites vertus », peuvent nous aider […]. Elles peuvent être comprises comme des vertus d’adoucissement. Elles sont un « remède dans le mal » dirait Jean Starobinski. Comme le dit Ovide « Nominibus mollire licet mala » : il faut assouplir la « douleur de vivre » par des noms qui « nomment mieux », parce que dans nos vies tout geste, acte de parole, est aussi une action.
Deux me semblent nécessaires dans les détresses que nous commençons à connaître : la mesure et la constance. Savoir tenir un rapport de confiance et d’équilibre et en même temps admettre que les temps seront longs et difficiles et qu’il faut prendre des habitudes de longue durée.
La discrétion peut aussi nous être utile dans une période qui génère beaucoup d’angoisse, des rumeurs et qui provoque aussi de la promiscuité liée au confinement.
La discrétion est l’art de garder patiemment en soi tout ce que l’on écoute, la force de mettre de côté le bourdonnement mondain. Elle est proche du discernement. Il faut réduire, j’ose le dire, l’espace de nos pertinences, l’extension de notre pouvoir d’agir.
Le philosophe Vladimir Jankélévitch le résume admirablement : « Le plus d’amour possible (…). Le moins de mots possible pour le plus de sens possible » (Le Paradoxe de la morale).
Quant à l’urbanité et la prévenance, certains se demanderont si elles peuvent encore se pratiquer alors que toute vie civile pratiquement disparaît.
Au contraire, elles deviennent plus précieuses, puisque nous ne pouvons plus « éviter » l’autre, le voisin de palier, la communauté – souvent ignorée – de l’immeuble. La vie de famille pourra gagner en qualité, si nous adoptons et déclinons dans notre quotidien le mot « moindre » : moins d’espace, un ton de voix retenu, pour développer un espace intérieur, plein de souvenirs, de projets, de rêves, mais surtout d’écoute.
Enfin, la vertu de gratitude peut s’exercer. Je l’espère en tout cas. Nous commençons à voir comment tout le quotidien est précieux, le plus usuel dans le quotidien, le plus humble du quotidien : remercier les hommes, demander pardon à la nature que nous avons si maltraitée et qui fait pourtant surgir, chaque jour, le soleil et le printemps.
À côté de ces vertus actives, nous sommes aussi invités à redécouvrir des vertus passives : la patience, le renoncement, le détachement…
Non plus la prise, mais la déprise disait Roland Barthes. Pour les redécouvrir, le plus direct me semble d’adopter, chaque jour, un peu plus de Gelassenheit, de déprise par rapport aux objets.
Ce n’est pas un temps pour ramasser mais pour nettoyer, mieux encore balayer le superflu.
Et quand on commence, chaque petite promenade dans nos vies montre tellement d’incrustations de superflu… »
Claude Askolovitch a clos son propos sur cet article de « la Croix » en reprenant la citation de Wladimir Jankelevitch que fait Carlo Ossola :
« Le plus d’amour possible. Le moins de mots possible pour le plus de sens possible »
Je ne vois pas comment mieux conclure ce mot du jour.
<1377>
En 1995, André Conte-Sponville a fait paraître un livre intitulé « Petit traité des grandes vertus » en soulignant qu’il faut mieux enseigner les vertus que condamner les vices.
18 vertus humaines sont analysées avec l’intelligence qui le caractérise, elles commencent par la politesse et il conclut cette section par
« la politesse n’est pas tout, et elle n’est presque rien. Mais l’homme aussi est presque un animal »
J’aime beaucoup cette réflexion. André Conte-Sponville dans sa modération, son intelligence et j’ose dire sa douceur est un esprit très utile dans les temps présents.
Au final nous allons peut-être réellement changer nos comportements?
Toutes ces « petites vertus » allons nous les (re)découvrir. ou bien comme certain le craignent (voir l’édito de Charlie de ce jour) repartirons nous tête baissée dans nos anciennes orgies de violences, de consommation destructrice, de voracité jamais assouvies?
je crois en l’homme, j’espère que non!!!
oui c’est intéressant de nommer les vertus et de les cultiver. Plus récemment des psychologues ont ouvert une nouvelles voie, avec la question: « comment font les humains quand ils vont bien? » Ils activent leurs ressources. c’est le courant de la psychologie positive qui classe ces ressources en 6 vertus qui se déclinent en 24 forces
SAGESSE ET CONNAISSANCES (1.Curiosité 2.Amour de l’apprentissage, 3.Jugement, 4. Ingéniosité, 5.Intelligence sociale, 6.Perspective)
COURAGE (7.Bravoure, 8.Persévérance, 9.Intégrité)
HUMANITÉ ET AMOUR (10.Gentillesse 11.Amour)
JUSTICE (12.Citoyenneté 13.Impartialité 14. Leadership)
TEMPÉRANCE (15.Maîtrise de soi, 16.Prudence, 17.Humilité)
TRANSCENDANCE (18.Appréciation de la beauté , 19.Gratitude, 20.Espoir, 21.Spiritualité, 22. Pardon, 23.Humour, 24.Entrain)
nous voyons aujourd’hui combien les soignants surtout et d’autres professions doivent mobiliser leur connaissances avec courage, et combien l’amour et l’humour nous sont précieux pour vivre dans l’intelligence sociale de la distanciation qui s’impose … que dire de la transcendance! admirer le ciel en ouvrant sa fenêtre c’est déjà tellement
Aller à la rencontre de nos forces pourrait être une voix pour balayer le superflu, en activant notre jugement pour ne pas être envahie par toutes les propositions qui fleurissent de se rencontrer à distance qui nous empêcherait un retour vers soi et en fin de compte ne changerait rien à nos comportements d’agitation et de fuite