Vendredi 18 mai 2018

«La femme de 1968 est à la fois contrainte et aspire à la liberté»
Michelle Perrot

Hier j’ai essayé de développer la face noire de mai 1968, c’est-à-dire une déculpabilisation de la pédophilie et même une ode à l’amour mais il faut plutôt écrire les choses de manière explicite : une ode au sexe avec les enfants.

Aujourd’hui, je voudrais esquisser la présence et le rôle des femmes dans les évènements de mai 1968.

Mon butinage m’a cette fois rappelé que le Mouvement de Libération des Femmes ( MLF) est né en 1970. Certes très peu de temps après mai 68 et certainement dans l’élan pris par mai 68, mais en 1968 il n’existait pas et na pas été créé.

Plusieurs livres, plusieurs émissions ont été consacrés à ce sujet des femmes dans le mouvement de mai 68.

« L’émission la fabrique de l’histoire » sur laquelle je m’étais appuyé pour écrire ma série de mots du jour sur Lyon, a bien sûr consacré plusieurs émissions à mai 68 et celle du <25 avril 2018> posait la question : «Mai 68, où sont les femmes ? ». Dans cette émission une des intervenantes explicite la réalité en quelques mots : « Les hommes qui menaient ce mouvement, voulaient changer le monde mais pas toucher à la domination masculine »

Mais dans ce mot, je vais surtout évoquer l’Historienne Michelle Perrot.

Elle est née le 18 mai 1928 et fête donc aujourd’hui ses 90 ans. En 1968 elle était dans le corps enseignant à la Sorbonne et a participé à l’occupation de la Sorbonne.

Michelle Perrot est une des grandes historiennes de France et elle a particulièrement contribué à l’émergence de l’histoire des femmes et du genre. Elle a notamment dirigé, avec Georges Duby, l’Histoire des femmes en Occident (5 vol., Plon, 1991-1992) et a publié l’ensemble de ses articles sur la question dans Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion, 2001. Pour elle, le féminisme est une liberté universelle.

<Elle était invitée par RFI pour parler des femmes en 1968>

C’est lors de cet entretien qu’elle a cette formule « La femme de 1968 est à la fois contrainte et aspire à la liberté ». On dirait presque Emmanuel Macron : « en même temps ». Elle explicite :

« Contrainte, parce que la société est très conservatrice, famille etc. Mais il y a des quantités de signes d’émancipation. D’abord parce qu’il y a de plus en plus de femmes qui travaillent dès cette époque-là.
Et puis, en 1949, 20 ans avant, Simone de Beauvoir a quand même publié le deuxième sexe. Et la génération féminine qui est là en 1968 connait ce livre.
Il y a des aspirations et des contraintes les femmes ne sont pas au premier rang quand même »

Michelle Perrot est aussi interrogée sur mai 68 par l’OBS qui justement parle du rang des femmes dans ce mouvement où les héros : Cohn-Bendit, Sauvageot, Krivine, Geismar sont tous des hommes.

Michelle Perrot répond :

« En réalité, les femmes étaient là. Dans les défilés, les amphis, les rassemblements, elles sont partout si l’on prend la peine de regarder les photos de l’époque. Mais leur présence passe inaperçue. D’ailleurs, en vous parlant, je me rends compte que moi aussi je l’avais occultée. Les filles étaient pourtant nombreuses dans la Sorbonne occupée. Je pense notamment à une étudiante très déterminée, la jeune Françoise. Elle prenait souvent la parole, je revois sa silhouette et ses interventions… Je l’avais totalement oubliée ! […]

Elles avaient beau être mêlées aux hommes dans les amphis ou les AG, les femmes restaient plutôt discrètes, peinaient à intervenir…

Et lorsque certaines, comme cette Françoise, osaient s’exprimer, on tendait toutes et tous à les minimiser. Leur parole a si peu été entendue et recueillie que l’histoire n’a pas retenu leurs noms. Les femmes étaient cantonnées au rôle de figurantes, comme la fameuse Marianne de 68, magnifique mannequin britannique, juchée sur les épaules d’un camarade et brandissant un drapeau vietnamien. Photographiée dans les cortèges, elle est devenue l’icône du mouvement dans «Life» ou en une de «Paris-Match» sans que personne ne se demande qui elle était, ni ce qu’elle avait en tête. Les femmes ont joué les allégories de 68 mais n’en ont pas été les actrices principales. On restait dans la hiérarchie des sexes. C’est d’ailleurs un geste masculin qui a tout déclenché, ces garçons revendiquant le droit d’aller dans les chambres des filles à la cité U de Nanterre. »

Elle parle aussi de la fraternité, aujourd’hui on dirait la sororité, de l’enthousiasme pendant les évènements de mai et du retour désabusé à la vie quotidienne de la société patriarcale après ces évènements. Pourtant elle utilise le terme de brèche dans les représentations traditionnelles, brèche qui ouvre la voie vers d’autres combats et une émancipation plus large :

« A la faveur de 68, les femmes ont fraternisé entre elles. C’est un aspect rarement évoqué, mais ce fut une période de maturation considérable et pour certaines un ébranlement existentiel. Elles se considéraient comme égales, mais, au fond, qu’attendait-on d’elles, sinon faire le café?

Passé l’ivresse des cortèges, le retour à la maison était parfois rude… les filles de Mai n’avaient pas toutes des parents soixante-huitards! A la fin du printemps, quand tout est rentré dans l’ordre, elles se sont demandées ce qui avait vraiment changé. De Gaulle – et avec lui l’ordre patriarcal – était de retour, et dans une France encore largement rurale, les hommes tenaient la politique et décidaient de tout dans les familles.

Mai-68 ne fut pas un mouvement féministe mais une brèche dans ces représentations traditionnelles du couple, de la famille, de la sexualité, comme l’a très bien décrit Edgar Morin. Une brèche dans laquelle les femmes se sont engouffrées, comme lors des précédentes révolutions, en 1789, en 1830, en 1848, ou pendant la Commune… Sauf que, pour une fois, elles ne sont pas rentrées sagement à la maison. Elles se sont organisées, décrétant: «le privé est politique». Ensuite, tout s’est cristallisé assez vite, et le MLF est né. »

Mai 68 fut aussi, comme je l’ai écrit hier et n’en déplaisent à l’armée de sociologues qui constatent que lors des assemblées générales on en parlait peu, la libération du corps et du désir. On en parlait pas mais on faisait. Et dans cette libération c’est encore le désir de l’homme qui était prégnant et la femme devait se débrouiller, souvent seule. La contraception existait dans les textes mais peu dans la réalité :

« Ces années-là étaient traversées par une intense ascension du désir, y compris sexuel. Sa libération fut à la fois très puissante et douloureuse pour les femmes et a posé avec bien plus d’acuité la nécessité pour elles de prendre des précautions. La liberté sexuelle, oui, mais pour qui?

Les hommes étaient ravis mais peu concernés par la hantise des femmes de voir leur vie bouleversée par une naissance, ou d’avorter clandestinement.

Le planning familial existait depuis 1960 et la loi Neuwirth de 1967 avait légalisé la pilule mais les contraceptifs n’arrivaient pas encore dans les pharmacies et il faudra encore des années avant qu’elles puissent les demander sans être regardées de travers. La société demeure très corsetée, de nombreux étudiants portent encore la cravate. Sur le plan des mœurs, l’époque reste frileuse: les mères n’osent pas aborder ces sujets, les pères encore moins… Le qu’en-dira-t-on reste dominant. »

La libération de la femme passera par le contrôle des naissances et la maîtrise de la fécondité :

«  Même si, comme je l’ai dit, la société connaissait des évolutions importantes pour les femmes – accès aux études, au monde du travail – l’indépendance passait avant tout par cette question brûlante du corps et de la conception. La condition première de leur émancipation, «l’habeas corpus des femmes» comme a dit Geneviève Fraisse, c’était l’accès au contrôle des naissances. Et c’est bien le sens d’un grand slogan de l’après 68, venu des Etats-Unis: «Our bodies, Ourselves», «notre corps, nous-mêmes», qui renversait des millénaires de représentation du monde. Comme l’a montré Françoise Héritier, les hommes ont longtemps conçu les femmes comme des vases destinés à recevoir leur semence, seule fécondante. Au XIXe siècle, on s’était bien aperçu du rôle des ovules, mais cela n’avait pas fait bouger les lignes. »

Plusieurs livres ont été écrits, le site de RTL en présente 4.

Le premier de ces livres est « Filles De Mai. 68 – Mon Mai à Moi» aux éditions du bord de l’eau. C’est un livre collectif, dont la préface a été écrite par Michelle Perrot.

Sur le site de l’éditeur, ce livre est introduit par ce petit texte :

Elles
ont entendu Michelle Perrot
parler du silence des femmes dans l’histoire

Elles
ont voulu dire Mai 68
Elles se sont réunies
Elles ont parlé et beaucoup ri.
Elles se sont souvenues.

Elles ont écrit
et les écrits ont voyagé
de l’une à l’autre
de toutes à toutes
échos croisés
de l’avant, du pendant et de l’après

Et puis
des mots ont pris le pouvoir
des mots mémoire, des mots passion
et l’abécédaire est né
de la mémoire de ces filles de mai

« Le Monde des Livres parle aussi de ce livre : « Mai 68 : le printemps contrarié des femmes » et aussi d’un autre « L’Autre Héritage de 68, La face cachée de la révolution sexuelle» de Malka Marcovich chez Albin Michel

Anne Both (Anthropologue et collaboratrice du « Monde des livres ») écrit à ce propos

« Tout paraissait possible. Oui, tout paraissait possible pour les femmes en ce doux printemps de 1968. Telle est la première impression que donnent deux livres remarquables qui leur sont consacrés. Pourtant, à leur lecture, on se demande si, en définitive, cette révolution n’était pas une révolution d’hommes menée par et pour des hommes. Le premier, Filles de Mai, résulte d’un atelier d’écriture composé de 22 citoyennes ordinaires, âgées à ce moment-là de 15 à 54 ans ; il se présente sous la forme d’un abécédaire avec 68 entrées, d’« Adolescence » à « Vérité ». Le second, L’Autre Héritage de 68, conçu comme un voyage dans le temps depuis l’immédiat après-guerre jusqu’aux années 1980, dévoile les dérives de ce que son auteure, l’historienne Malka Marcovich, nomme une « fausse liberté ».

Aucun doute cependant : un changement était attendu, sinon désiré. Des récits des « filles de Mai », membres de l’Association pour l’autobiographie, qui ont accepté de se confier avec une sincérité parfois crue, il ressort qu’elles étouffaient dans une culture de soumission à l’autorité masculine, à travers la figure du père, puis du mari, du patron et aussi du grand Charles, général et père de la nation.

On sait quels interdits spécifiques aux femmes s’appliquaient alors : le port du pantalon, considéré depuis 1800 comme un travestissement, les rapports sexuels avant le mariage, déshonorants, le droit de se mêler de politique ou de revendiquer quelque ambition professionnelle – un bon mariage suffisait amplement. L’insurrection de 1968 arrivait, en quelque sorte, à point nommé. […]

Dans un livre comme dans l’autre, les illusions se dissipent. Certaines évoquent la déplaisante sensation d’avoir été consommées comme une friandise ou considérées comme le jouet d’un soir ; l’injonction à être libre pouvant devenir, au fond, des plus aliénantes. « Et la fameuse libération sexuelle, prônée en 68, cache bien des pièges dont je suis victime : donjuanisme, peur de l’engagement, non-écoute du désir de l’autre sous couleurs de liberté », se souvient Chantal (Filles de Mai). »

LE site du magazine ELLE consacre aussi un article à ce sujet : « Mai 68 : où étaient les femmes ? »

 

Et en 1968 que se passait-il ? Je m’appuie toujours sur l’article de l’Obs les dates à connaitre pour être incollable sur mai 68

18 mai. : Les RG dénombrent une centaine d’usines occupées.

19 mai : De Gaulle : « La réforme, oui, la chienlit, non! »

20 mai. : La grève s’étend toujours.

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