Mercredi 4 mars 2015

Mercredi 4 mars 2015
« République, ô ma République, mais pourquoi donc ne m’as-tu pas dit que tu m’aimais ? »
Abd al Malik
« Place de la République, pour une spiritualité laïque »
Régis Fayette-Mikano, dit Abd al Malik, est un rappeur, compositeur, écrivain et réalisateur français né  le 14 mars 1975. Il a grandi dans la cité du Neuhof à Strasbourg.
D’origine congolaise, il est né dans la foi catholique mais il  s’est converti au cours de son adolescence à l’islam d’obédience soufi.
Il a écrit en 3 jours, après les évènements de janvier, un livre de 32 pages : « Place de la République, pour une spiritualité laïque  »
Il m’a d’abord choqué car j’ai lu qu’il accusait Charlie Hebdo d’avoir « contribué à la progression de l’islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans » et que la liberté d’expression n’est pas « non négociable ».
Puis il a été invité à France Inter le vendredi 27 février <Que vous trouverez ici>, je l’ai écouté et je l’ai trouvé remarquable.
Dans son livre autobiographique qui est devenu un film : « qu’Allah bénisse la France », un des acteurs dit « Nous, on aime la France, mais elle ne nous aime pas »
A France Inter il a aussi parlé d’amour :
« Je veux parler d’amour et de fraternité […]. Moi quand j’étais enfant, j’ai trouvé des gens qui m’ont dit : « Tu es beau, tu es intelligent » et  j’ai fini par y croire que j’étais beau et intelligent, on m’a dit que j’étais français. Mais à d’autres, on dit « tu n’es pas beau, tu n’es pas intelligent, tu n’es pas français, tu n’es pas chez toi ! » Comment voulez-vous qu’ils évoluent ?
La République est une maman symbolique et une mère s’occupe de tous ses enfants et particulièrement de ses enfants les plus fragiles.»
Il raconte aussi qu’il a été sauvé par la spiritualité laïque et le génie français notamment à travers sa littérature de Descartes à Albert Camus en passant par Victor Hugo et il a eu cette phrase pleine de sens «Il faut incarner nos valeurs, pas simplement les évoquer »
J’ai ensuite lu cet interview de Télérama : <Article de Télérama> dont je tire ces extraits […] :
« On m’a souvent demandé de quel pays je viens, mais je suis né en France, j’écris en français, je rêve en français, je suis français ! La fameuse fraternité, je ne l’ai pas rencontrée souvent, mais j’ai eu la chance d’avoir des enseignants qui ont cru en moi, qui m’ont dit que j’étais beau, intelligent et capable, et je les ai crus.»
[…] L’islam est méconnu, par les musulmans eux-mêmes et par les autres. On parle d’islam pour le salafisme, le wahhabisme, qui sont des courants, mais qui ne sont pas l’islam. Le voile par exemple, n’est, selon le Coran, obligatoire que pour la prière. Ma femme, pratiquante comme moi, n’est pas voilée. Autre exemple : le djihad, dont tout le monde parle, n’est pas seulement la guerre de conquête (c’est le petit djihad selon le Coran), mais surtout la guerre intérieure que chaque musulman doit mener contre lui-même, son égoïsme, son intolérance. C’est cela le grand djihad.
L’islam est avant tout une spiritualité, au même titre que le judaïsme ou le christianisme. L’islam aussi est fondé sur l’amour de l’autre. C’est d’ailleurs une religion judéo-chrétienne, qui reconnaît la Torah, la Bible, et que Jésus était le dernier prophète avant le Prophète de l’islam. Nous avons besoin de pédagogie, d’émissions qui décryptent, éduquent au lieu d’attiser les conflits. Et toutes les religions devraient être enseignées à l’école publique, intégrées à la culture commune française. Pourquoi ne pas étudier des textes de grandes figures de l’islam, comme l’émir Abd el-Kader l’Algérien, ou le poète Ibn Arabi ? Revaloriser l’islam, en tant que spiritualité, est le meilleur moyen de lutter contre l’intégrisme.  »
Et il revient sur les propos qui m’ont choqué : « Tout en condamnant les attentats, vous accusez ainsi Charlie Hebdo d’avoir « contribué à la progression de l’islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans « . Souhaitez-vous des limites à la liberté d’expression ?
J’écris aussi que les caricatures sont un « acte démocratique par excellence », un « éclatant symbole de la liberté d’expression ». Mais je veux parler de responsabilité : ce n’est pas parce qu’on peut tout faire que l’on doit tout faire. La liberté d’expression est un principe, mais j’estime qu’elle n’est pas « non négociable ». Elle doit s’articuler avec les autres valeurs de la République : la paix entre les citoyens, l’égalité de traitement, la morale. On ne peut pas faire fi du contexte, user d’un droit sans tenir compte des risques de mettre le feu à la maison.
Jadis, il a été possible de faire des blagues sur les chambres à gaz ; aujourd’hui, avec la montée de l’antisémitisme, ce n’est plus acceptable, et Dieudonné est à juste titre poursuivi. Pour moi, dans le contexte actuel de pression extrême sur les musulmans, dans ce climat de surenchère médiatique autour de l’islam, Charlie Hebdo a fait preuve d’irresponsabilité en multipliant ces caricatures. Même si le but était de montrer du doigt les intégristes, et même s’ils en avaient le droit au sens légal.  »
Et il parle de son expérience du racisme ordinaire contre les noirs : « J’ai vu un producteur télé se pencher vers mon manager – blanc – en m’écoutant pendant une émission et s’étonner : « Il parle bien, quand même… Il écrit ses textes lui-même ? » Un autre, après l’élection d’Obama, m’a même serré la main en me disant « félicitations » ! Cette intégration d’un racisme devenu inconscient est bien plus insidieuse que les insultes que j’ai entendues, jeune.  »
Et il ajoute : 
« La foi, c’est être fraternel concrètement, dans sa vie, ses amitiés, sa famille et savoir que notre destin est grand s’il nous est commun. Quant à la spiritualité, elle est le souffle qui habite les principes, sans lequel ils restent des fantômes évanescents. Ce souffle est très concret. J’ai vu des gens mourir, j’ai entendu le souffle de leur vie s’éteindre : pff, et c’est fini. J’ai vu des couples se désaimer, le souffle de l’amour s’épuiser : pff, et c’est fini. C’est ça dont je parle. Quand j’entends les politiques parler, je n’entends pas de souffle, seulement un discours creux, sans âme. J’ai été reçu par des ministres de la Culture qui m’ont fait visiter leurs bureaux : leur fierté s’arrêtait au mobilier !
[…]
Les livres – non seulement les penseurs de l’islam, mais aussi Albert Camus, Aimé Césaire, Sénèque, Alain… – ont changé ma vie. Camus aussi a été arraché à la misère par la culture. Il m’a donné une feuille de route pour mon parcours d’artiste. J’ai créé un spectacle inspiré de L’Envers et l’endroit, son premier livre, qui a tourné en France pendant deux ans et demi.
Quand mes premiers amis sont morts, je lisais De la brièveté de la vie, de Sénèque.
Il m’a enseigné à me tenir toujours debout, à ne pas avoir peur de souffrir. Dans ma période de révolte, quand je nous voyais, les gamins de la cité, comme les damnés de la terre, je m’imprégnais du militantisme humaniste de Césaire dans son Discours sur le colonialisme. J’ai grandi avec ces auteurs comme avec des grands frères, ils sont devenus mes tuteurs : je me suis construit en prenant appui sur eux pour pousser droit.»
A l’interpellation de sa naïveté, il réplique « Quand on cesse d’être naïf, on se résigne. Si quelqu’un avait dit de moi, à 10 ans, que j’allais être artiste et réussir, on l’aurait taxé de naïf. On a traité de rêveurs et d’utopistes tous ceux qui, dans l’histoire, ont fait bouger les choses. Je ne me vois pas du tout comme un sauveur de l’humanité, je crois simplement que la solution est dans nos mains. »
Et il approuve sa mère qui répétait « le seul véritable péché, c’est de perdre l’espoir ».
Remarquable je vous dis