Vendredi 1er avril 2016

Vendredi 1er avril 2016
«Il faut bien entendre que la notion de nationalité n’existait pas au cœur de la Révolution française.»
Sophie Wahnich
La déchéance de nationalité a constitué un débat qui a été lancé par le président de la République après le 13 novembre, et qui vient d’être clôturé le 30 mars par ce même président.
Etait-ce vraiment le sujet sur lequel, la France devait mobiliser son énergie en ce moment ?
Poser la question est déjà y répondre.
La question de la nationalité est complexe au regard de l’Histoire.
Avant de parler de nationalité, je me suis demandé pourquoi on appelait «naturalisation» la procédure qui permettait d’acquérir une nationalité que l’on ne possédait pas à sa naissance. Logiquement on devrait appeler cela une «nationalisation».
Le site du CNRS consacré à l’étymologie nous apprend que la naturalisation est une  «opération par laquelle on donne à un animal mort l’apparence de la nature vivante» (1893)
Mais il nous apprend aussi qu’il y avait une définition antérieure : «acclimatation des plantes, des animaux sur un sol qui leur est étranger» (1845)
Nous sommes un peu plus proche de la « nationalisation ».
Mais la première définition que le CNRS donne daterait de 1566 et serait un «acte par lequel un étranger obtient la nationalité du pays où il réside»
Cela est très surprenant parce qu’en 1566, il n’était pas question de «nationalité» mais de «sujet», les gens du commun étaient les sujets d’un roi, d’un prince, d’un duc, enfin d’un homme qui était le maître des lieux.
Et c’est en s’intéressant aux lettres de naturalité que l’on comprend mieux : « Une lettre de naturalité est, en droit sous l’Ancien Régime, une lettre patente par laquelle le roi admet un étranger au nombre de ses sujets. La succession des biens des étrangers ou aubains (d’un autre ban) situés sur le territoire du royaume, étaient considérés comme des épaves et revenaient à la couronne en vertu du droit d’aubaine. Le fait de ne plus être étranger, mais régnicole, et donc de pouvoir se prévaloir des dispositions successorales d’une coutume, permettait aux héritiers d’entrer en possessions des biens.
L’étranger se distingue sous l’Ancien Régime, du « naturel français », par sa naissance hors royaume. […]
Le statut d’étranger impose un certain nombre de contraintes et fait de l’étranger un aubain. Laurent Bouchel, juriste du début du XVIIe siècle, dit à ce propos : « le droit d’aubaine a été introduit en France […] pour avoir connaissance de celui qui est né au Royaume ; et de celui qui n’en est pas né, toutefois y est venu demeurer, et pour mettre différence entre l’un et l’autre ». L’aubain est marqué au niveau juridique par l’impossibilité de transmettre ses biens à ses héritiers.
Le seul moyen pour lui de pouvoir échapper à ces contraintes est d’accéder à la naturalité française.»
Mais revenons à la nationalité. Sophie Wahnich est historienne, directrice de recherche au CNRS  (laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales) et a publié  <L’impossible citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française> chez Albin Michel.
Dans cet article : <L’étranger et la révolution française, entretien avec Sophie Wahnich> elle explique la lente naissance de la nationalité française.
« Il faut bien entendre que la notion de nationalité n’existait pas au cœur de la Révolution française. Ni le mot nationalité, ni le mot citoyenneté n’étaient employés à l’époque. Les hommes et les femmes utilisaient une série d’expressions telles que « le droit du citoyen », parfois « les droits de citoyen français », la « qualité » ou encore le « titre » de français », le « titre de citoyen », etc. Or ce  mot de « citoyen » effaça de fait les distinctions entre l’appartenance légale à la nation, l’engagement patriotique et l’exercice des droits politiques, et ce, dès 1789, avant même qu’il n’y ait une véritable constitution.
Il s’agissait alors avant tout de passer de l’état de sujet à l’état de citoyen et cette transmutation formidable concernait l’ensemble des personnes participant à l’événement révolutionnaire. Devenir citoyen français ce n’était pas devenir « naturel » mais être inclus de fait dans le peuple souverain français qui se définissait lui-même comme tel. Était alors citoyen celui qui voulait vivre sous les lois élaborées par l’Assemblée nationale constituante et qui adhérait aux principes qui doivent régir ces lois, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Cette définition très pragmatique était nouée à la position adoptée dans l’événement : devenir révolutionnaire et ainsi être inclus comme patriote et de fait citoyen français, ou devenir contre-révolutionnaire et se déclarer « hors le souverain peuple » de fait, comme les nobles émigrés. 
Cette association inextricable des notions de citoyen, patriote et national signe en tant que tel un moment révolutionnaire car ce qui est alors affirmé, c’est une conception de la nation qui est sans référence à l’idée de race ou d’ethnie, « de souche » pour prendre un vocabulaire actuel. Une telle nation est fondée sur le seul contrat de souveraineté libérale : obéir à des lois qu’on s’est soi-même données et qui répondent des principes de la déclaration des droits. L’adhésion à ces droits est celle de la raison sensible, un lien rationnel et affectif indissociable. C’est ce lien qui fait le patriote capable de défendre constamment sur la place publique ces principes. On comprend que la seule contrainte à cette définition de l’identité politique est une contrainte de lieu et d’opinion, d’adhésion, pas une contrainte de sang ou de nationalité même juridique, pas une contrainte d’acculturation longue non plus, car cette adhésion peut être immédiate quelle que soit son histoire personnelle, ou refusée durablement même si on passait beaucoup de temps sur le territoire.»
[…] en 1793, la Constitution est très ouverte aux étrangers puisqu’elle déclare dans son article 4 « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis; Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. »
[…]
Cependant dans le contexte de guerre les étrangers vont devenirs suspects et devront faire la preuve de leur patriotisme sinon ils seront soit exilés soit emprisonnés. On renonce également à choisir des représentants et des fonctionnaires dans l’universalité du genre humain et se met en place la nécessité d’être un « national » pour prétendre à ces fonctions.
[…]
De ce fait c’est en faisant de la politique qu’on devient citoyen, en formulant et en élaborant les lois que l’on pense souhaitables, justes, nécessaires. On est loin d’une réduction de la citoyenneté au droit de vote et de la confiscation de la sphère d’élaboration des lois par des professionnels de la politique. Enfin savoir que les étrangers ont spontanément joué un rôle dans la Révolution de 1789-1790, qu’ils  ont été conviés à la fabrique de la loi, à la fédération de 1790, permet de penser la Révolution française non comme événement particulier noué à un lieu, mais comme événement de la raison qui donne naissance à un peuple politique et qui à ce titre est un événement singulier à valeur d’universel. De ce fait la conception de la citoyenneté révolutionnaire n’est pas culturaliste du tout. C’est l’usage de la raison qui fait le citoyen et la culture n’est pas un obstacle. La liberté de conscience, liberté d’opinion même religieuse, la culture comme règne des opinions libres, conduit au respect des religions différentes pourvu qu’elles acceptent de reconnaître les principes de la déclaration des droits et donc la liberté religieuse et la possible articulation de croyances religieuses et de pratiques politiques révolutionnaires. Des religieux qui refusent cette articulation se comportent comme des étrangers politiques et sont rejetés hors de la cité. Ainsi le 30 mai 1790 les électeurs du Morbihan désignent–ils à la vindicte populaire les nobles et les prêtres qui divisent la communauté : « Malheur à ces perturbateurs, à ces lâches transfuges de la cause commune, qui ne voyant que l’erreur au-delà de leurs opinions individuelles attisant partout le feu de la discorde avilissent la religion qu’ils professent et déshonorent le caractère auguste dont ils furent revêtus. »Ainsi la Révolution française permet de renouer avec l’imaginaire d’une égalisation des citoyens qu’ils soient d’origine française ou étrangère même en dehors de l’espace européen, l’imaginaire d’une citoyenneté sans nationalité, un imaginaire où les écarts culturels sont des caractéristiques des individus libres, libres même à l’égard de leur chefs spirituels si ces derniers ne respectent pas les principes de cette liberté. Cela permettrait de cesser de culpabiliser des individus au nom de leur inadéquation identitaire ou subjective. Le combat pour cette liberté pourrait redevenir celui d’une politisation, non celui d’une inculcation de valeurs dites nationales. Ces dernières sont mobilisées aujourd’hui non pour inventer les modes d’inclusion citoyens mais des frontières qui auraient dû rester labiles. Car c’est dans la porosité des situations que la liberté démocratique ou républicaine peut devenir un objet d’adhésion de la raison sensible de chacun,  et non dans l’épreuve de passage. Adhérer par force à une langue, à des manières d’agir, à des discours, c’est fabriquer des citoyens tartuffe et finalement redoubler la xénophobie qui s’installe comme effet de ce faux semblant institué. »
Évidemment, les choses sont beaucoup plus compliquées que semble indiquer les discours des médias et des politiques.
Mais depuis très longtemps il y avait une grande différence entre ceux qui étaient du «ban» et ceux qui étaient «aubain».
Et quand on considérait qu’un homme du «ban» avait mal agi on le «bannissait», c’est à dire on le mettait hors du ban.
Et c’est probablement dans ce thème antique du « bannissement » que s’inscrivait ce débat sur « la déchéance de nationalité ». 
Mais nous sommes dans une autre période de l’Histoire où les traités nous contraignent et où chaque Etat a accepté de ne pas créer d’apatride.
Alors bien sûr on pouvait se lancer dans cette course, à l’égard des binationaux, pour déterminer qu’elle était le premier Etat qui agissait laissant l’autre dans l’impasse de la «non apatrie».
Débat stérile et totalement inutile face au défi de lutter contre le terrorisme et la dérive folle de certaines sectes musulmanes pour qui la nation est un concept sans valeur.