Jeudi 31 mars 2016

Jeudi 31 mars 2016
«Le ghetto de Venise»
Idée formulée par le sénateur vénitien Zaccaria Dolfin, qui sera annoncée le 1er avril 1516 et qui aura une grande et mortifère postérité
Mediapart, dans un article que vous trouverez en pièce jointe, rappelle opportunément que le ghetto juif de Venise a été créé il y a 500 ans.
On ne finit pas dans les médias d’utiliser jusqu’à l’obsession le terme de ghetto.
Mais vous savez tous que le <ghetto> désigne originellement un quartier réservé ou imposé aux Juifs où ils peuvent vivre selon leurs lois et coutumes particulières au milieu de peuples étrangers.
C’est dans la République de Venise que ce terme a été créé en 1516.
Le Conseil des Dix de Venise avait décidé de regrouper les membres de la communauté juive à Cannaregio, site occupé par une ancienne fonderie (en vénitien getto ou gheto signifie « fonderie »). Ghetto vient donc de “Fonderie”.
Wikipedia nous apprend qu’au XVIème siècle le mot « ghetto » a été rapproché de la racine hébraïque “guet” signifiant « séparation », « divorce », mais ce n’est pas l’origine de ce mot qui provient donc de la désignation de l’endroit où Venise avait décidé de regrouper la communauté juive en 1516.
L’article de Mediapart est très didactique sur ce sujet : 
« Zaccaria Dolfin, cet aristocrate de la Sérénissime appartenait au […] Sénat, dont les membres portaient robe rouge. Le 20 mars 1516, le sénateur Zaccaria Dolfin réclame à ses pairs de rassembler les juifs de Venise (environ 500 personnes : 0,5 % de la population) au nord de la ville, dans le sestiere (quartier) de Cannareggio – le Ghetto Nuovo.
Le projet de Zaccaria Dolfin est adopté le 29 mars 1516, voilà exactement 500 ans, par un décret du Sénat ainsi rédigé : « Les Juifs habiteront tous regroupés dans l’ensemble de la maison sis en ghetto près de San Girolamo ; et, afin qu’ils ne circulent pas toute la nuit, nous décrétons que du côté du vieux ghetto où se trouve un petit pont, et pareillement de l’autre côté du pont, seront mises en place deux portes, lesquelles seront ouvertes à l’aube et fermées à minuit par quatre gardiens engagés à cet effet et appointés par les Juifs eux-mêmes au prix que notre collège estimera convenable. » La mesure est annoncée en place publique le 1er avril 1516.
L’idée était dans l’air du temps. Des prédicateurs franciscains stigmatisaient la « perfidie hébraïque » devant les foules assemblées sur les campi. Et en mars 1515, un an avant Zaccaria Dolfin, son collègue Emo Zorzi avait déjà proposé au Sénat d’exiler les juifs sur la Giudecca – contrairement à une idée répandue, cette île ne doit pas son nom aux juifs mais à la déformation du vénitien Zudegà (jugé), qui en faisait un lieu de bannissement depuis le IXe siècle.
En 1516, à Venise, prend ainsi fin une certaine ambivalence européenne. On allait passer d’un isolement consenti des populations juives – qui se rassemblaient pour des raisons religieuses et pratiques (les « juiveries » des grandes villes) –, à une ségrégation sans merci. […]
Les juifs concentraient sur eux les fureurs : théologiques (peuple déicide prompt à corrompre les chrétiens), comme géopolitiques (engeance errante soupçonnée d’agir tel un cheval de Troie au service de la puissance menaçante du moment). En cette époque de mutations qui voyaient mourir le Moyen-Âge et naître les Temps modernes, Venise, en pleine « mondialisation », se méfiait comme de la peste de certains « flux migratoires » qu’incarnaient alors, au premier chef, les juifs.
Ceux-ci avaient été, en 1496, officiellement astreints à porter un couvre-chef jaune [déjà un symbole jaune] qui les rendît visible au premier regard. Ils n’étaient pas à l’abri d’homicides légaux, aux allures de petits pogroms officiels et encadrés : trois furent brûlés vifs en 1480 et un autre lapidé en 1506, accusés – un classique – de meurtre rituel.
Certes, l’hostilité de Venise et de son patriarcat s’exerçait à l’encontre du monde orthodoxe ou des idées luthériennes naissantes, mais les juifs demeuraient les premiers visés, pour se livrer à « tant de manquements aussi détestables et aussi abominables », selon les termes du décret sénatorial du 29 mars 1516.
Voilà donc les juifs installés dans le Ghetto Nuovo, où toutes les habitations sont évacuées. Les nouveaux occupants de cet îlot insalubre doivent s’acquitter d’un loyer majoré d’un tiers par rapport aux prix que payaient les chrétiens (une façon de dédommager les propriétaires ainsi priés de changer presto de locataires). Un couvre-feu est imposé. Deux grands murs allaient clore une telle enceinte dévolue aux juifs. Toutes les sorties allaient être obstruées, les portes et les fenêtres murées. Quatre gardiens allaient veiller sur les deux seules portes. Des barques allaient patrouiller dans les canaux. Toute cette surveillance serait aux frais des surveillés…
Dans son Histoire du ghetto de Venise (rééditée chez Tallandier), Riccardo Calimani écrit : « Un sombre pessimisme l’emportait, les prédicateurs franciscains répétaient depuis des mois aux Vénitiens qu’il leur fallait racheter leurs péchés et mériter à nouveau la grâce divine s’ils voulaient que la République puisse survivre. Et, de tous les péchés, le plus grave était bien sûr celui d’avoir fait venir les Juifs à Venise et de leur avoir accordé une totale liberté. Le Ghetto remplissait ainsi pour les Vénitiens une fonction expiatoire ; on pourrait en quelque sorte affirmer qu’il s’agissait là d’une requête d’indulgence… »
Vous pourrez lire le reste dans l’article joint qui renvoie notamment vers deux livres sur le ghetto de Venise.
Cette histoire constitue donc l’origine du mot ghetto qui est utilisé désormais par extension à tout quartier dans lequel se concentre une minorité ethnique, culturelle, ou religieuse, en général défavorisée.
Je voudrais ajouter quelque chose : 
Il en est beaucoup qui compare très rapidement les minorités défavorisées d’aujourd’hui aux juifs d’hier.
C’est mal connaître l’Histoire de la communauté juive et de son oppression au cours des siècles dans l’Europe occidentale et la Russie chrétienne pour oser une telle comparaison.
C’est simplement incomparable. La brutalité, l’injustice, la persécution, l’insécurité permanente que les chrétiens imposaient aux juifs n’a rien de comparable au regard ni de sa violence, ni de sa durée.
La shoah n’est alors que l’horreur final d’une Histoire dont les oppresseurs appartenaient à la religion chrétienne et s’en enorgueillissait.