L’immense majorité des analystes politiques ont interprété le résultat du premier tour des élections présidentielles 2022 par la description d’une tripartition de la vie politique française.
Tripartition qui reprend l’image de l’omelette évoquée hier :
- Au centre, un parti de la raison regroupant une grande part « des vieux » et des gagnants de la mondialisation
- A droite, l’extrême droite nationaliste, regroupant une grande part des jeunes actifs habitant hors des grandes métropoles ayant des rémunérations modestes, s’estimant victime de la mondialisation et rendant responsable en grande partie de leur malheur une « immigration massive et non maîtrisée »
- A gauche, la gauche radicale des fonctionnaires, des cadres moyens se sentant déclassés souvent habitant les métropoles et des français issus de l’immigration musulmane.
Il ne faudrait cependant pas oublier les abstentionnistes qui sont le premier parti de France. Ils représentent 28 % des inscrits contre 20 % pour le candidat de l’extrême centre qui a été élu.
Ces abstentionnistes qui regroupent la masse des indifférents, des découragés, des populations marginalisées et quelques intellectuels comme Michel Onfray ou Emmanuel Todd qui conceptualisent l’inutilité des élections dans un pays qui a perdu sa souveraineté monétaire et se trouve enchâssé dans une toile d’araignée de directives de l’Union européenne.
L’historien et sociologue Pierre Rosanvallon, chantre de la deuxième gauche, développe dans l’Obs une analyse différente et intéressante : <L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner>
Il constate, comme je l’ai évoqué hier, que l’électeur qui accepte de voter prend désormais en compte la perversité de notre système politique pour choisir le bulletin qu’il va mettre dans l’urne. Il parle de « l’électeur stratège » :
« Cette élection a été marquée par la montée de « l’électeur stratège », qui décide en fonction des sondages et tente de conjurer ce qu’il identifie comme des dangers sous-jacents au processus électoral.
Ce comportement s’est manifesté dès le premier tour, avec les votes « utiles » en faveur de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. D’ordinaire, le premier tour permet d’exprimer des préférences objectives. Il a été cette fois-ci un vote d’anticipation. Le sens même de l’élection s’en trouve modifié. Classiquement, la présidentielle ouvrait une porte vers un chemin tracé : un choix politique, nettement dessiné, qui s’appuyait sur des évidences sociologiques (le monde des cadres, des professions libérales et des entrepreneurs contre celui des salariés, des fonctionnaires et des ouvriers) et idéologiques (le plan, le travail et le public contre le marché, le capital, le privé). Tout cela est terminé. »
Et il tire les leçons et les conséquences de cette attitude pour notre vie démocratique, notre capacité de faire de la politique et de réaliser les réformes nécessaires pour notre avenir :
« Aujourd’hui, l’élection n’est plus qu’un permis de gouverner. Elle ne tranche rien.
Toutes les questions restent ouvertes : quelle sera la capacité de gouverner ? Quelle sera la majorité ? Quel sera le programme de gouvernement en fonction des attentes sociales ? Les décisions prises seront-elles acceptées par le pays ?
Prenez la réforme des retraites. Beaucoup des gens qui ont voté pour le président sont en désaccord radical avec sa proposition. Il lui faudra trouver une solution. »
Le journaliste qui l’interroge rappelle la promesse de Macron en 2017 de faire reculer l’extrême droite. Manifestement il n’a pas réussi.
Rosanvallon tout en précisant qu’Emmanuel Macron n’est pas le seul responsable, lui attribue quand même une partie de l’échec :
« Le président a incarné jusqu’à la caricature le sentiment de mépris social dont s’est nourri le Rassemblement national.
Marine Le Pen n’a eu de cesse de souligner son « arrogance », ce qui lui a permis d’attirer une partie des classes socialement défavorisées.
La gauche a aussi sa part de responsabilité dans ce basculement des pauvres vers le vote d’extrême droite. Jean-Luc Mélenchon réalise d’excellents scores dans l’ancienne banlieue rouge parce qu’il a compris ce qu’était la réalité des discriminations, fondées sur l’origine et la couleur de peau, dans notre pays. En revanche, il n’a pas réussi à s’adresser aux classes populaires « traditionnelles », issues du monde ouvrier, celles des petites villes ou des campagnes. François Ruffin, lui, a tenté de parler à cette catégorie de la population, à travers son film « Debout les femmes ! », qui raconte le quotidien des aides-soignantes, des personnels de ménage, etc.
Cet effort était exemplaire, mais il est resté relativement isolé au sein de La France insoumise. La gauche n’a pas « abandonné » les classes populaires, comme on l’entend souvent. Il me semble plutôt qu’elle n’a pas trouvé la bonne façon de leur parler. Dire que l’on va augmenter le smic, sans plus, ne répond pas au sentiment d’être méprisé ou déconsidéré, au désir de reconnaissance et de dignité. Tant que l’on parle le langage des statistiques, ça reste abstrait. Tout le monde est scandalisé par l’enrichissement des milliardaires. Mais ce qui révolte le plus les gens, c’est le sentiment de mépris et de supériorité que renvoie cette classe sociale. La démocratie, c’est la capacité de donner un langage à ce que vivent les gens. Certains romanciers, comme Nicolas Mathieu avec « Leurs enfants après eux » et « Connemara », y ont réussi. Ce n’est pas encore le cas de la gauche politique. »
Savoir parler aux gens et aussi les écouter constituent la première action du politique. C’est ce que nos responsables politiques ont de plus en plus de mal à réaliser. Ils « communiquent » et pensent que si les citoyens ne sont pas contents c’est parce qu’on leur a mal expliqué ce qu’on fait.
Et il donne sa vision alternative à l’analyse des trois blocs :
« Non. Il n’y a pas eu, dans cette élection, trois blocs, mais trois personnalités majeures, qui sont d’ailleurs arrivées en tête du premier tour. J’y ajouterais Eric Zemmour, bien sûr, mais aussi Jean Lassalle. Cette mention peut surprendre, mais ce candidat a réussi à convaincre presque autant d’électeurs que le PS et le PCF réunis !
Lui est parvenu à parler de la ruralité en des termes qui ont touché les premiers concernés. Le grand problème des Républicains et des socialistes, c’est tout bêtement que leurs candidats « n’imprimaient » pas. Hidalgo et Pécresse ne savent pas emporter les foules ou tenir en haleine une salle comme peuvent le faire Mélenchon, Macron et même Le Pen. […]. Au-delà de la capacité tribunitienne des uns ou des autres, au-delà même de tout ce que l’on a dit sur le populisme qui consiste à agréger des demandes contradictoires par le pouvoir de la parole, cette suprématie des personnalités est liée au déclin des partis. »
Et il décrit très bien ce qu’est en pratique le Parti du Président : une coquille sans colonne vertébrale, sans doctrine, une simple machine à soutenir les initiatives du chef. Ce qui est aussi le cas des deux autres mouvements qui sont réputés former avec le parti présidentiel la tripartition électorale de la France :
« La République en Marche, ce n’est pas un parti, ce sont les followers d’Emmanuel Macron. Même chose pour La France insoumise qui n’existe qu’à travers son leader. Il n’y a pas de congrès, pas de votes, pas de tendances autorisées à s’exprimer dans ce mouvement qui se qualifie lui-même de « gazeux ». Autrefois, les militants, à partir de la base, élaboraient des idées et choisissaient des personnes pour les représenter. Aujourd’hui, tout part du sommet. »
Et il donne son explication de la montée continuelle de l’extrême droite…
« Elle n’a pas été banalisée, elle s’est métamorphosée. Toute une série de glissements sémantiques a permis d’euphémiser ce qui reste sa matrice : la haine de l’étranger et le déplacement de la question sociale sur le terrain de l’exclusion. […] En surface, Marine Le Pen est parvenue à reformuler, dans le vocabulaire de la souveraineté, bon nombre de thèmes chers à l’anticapitalisme. Son mouvement apparaît désormais comme le pourfendeur de l’individualisme contemporain. […] Bien qu’elle puisse flatter un électorat de gauche, cette conception entraîne une remise en cause des avancées dites « sociétales » – la PMA ou les nouvelles formes de mariage – définies comme des expressions mortifères de l’ultra-individualisme. Le talent de Marine Le Pen est de faire passer ce nationalisme d’exclusion pour un combat anticapitaliste. »
Les élites qui ne savent plus parler le langage des gens, exaspèrent toute une partie des Français. Je me souviens lors du débat de second tour de l’échange entre les deux candidats : Marine Le Pen, de manière assez démagogique, parlait des difficultés et des souffrances des gens humbles. Le Président candidat lui a répondu en disant qu’il menait une politique remarquable et qui fonctionnait, la preuve est la multiplication des licornes en France pendant son quinquennat. Le premier propos était compris, le second paraissait probablement pour beaucoup hors sol et peut être même incompréhensible. Cette distance, ce langage du monde des start up est interprété comme du mépris de classe, créant une haine des élites et du Président qui en est un symbole :
« C’est un phénomène qui me semble important. Valéry Giscard d’Estaing avait pu susciter une forme de détestation, à cause de son élocution et de son côté Louis XV, très monarchique. Nicolas Sarkozy a lui aussi cristallisé des oppositions très virulentes. Mais il y a quelque chose de spécifique dans la haine qui se noue autour d’Emmanuel Macron. Il n’a pourtant pas peur de rencontrer des citoyens qui lui sont très opposés. Peu d’hommes ou de femmes politiques vont même aussi facilement « au contact ». Pourtant il n’y va pas pour les écouter mais pour leur expliquer ! Ce fut la même chose quand il a fait venir des intellectuels à l’Elysée. A l’époque, j’ai refusé de m’y rendre et j’ai eu raison. Ce fut un long monologue : il a invité des philosophes, des économistes, des sociologues pour leur expliquer sa vision politique ! On a sans cesse l’impression que pour lui, la France est une salle de classe, que les gens ne comprennent pas, qu’il faut les prendre par la main et, de temps en temps, leur taper sur les doigts. On touche à un sentiment qui a été le moteur de la Révolution française : celui d’une coupure entre les « manants » et l’« aristocratie » : 1789, ce n’était pas un conflit entre les riches et les pauvres, mais entre ceux qui se sentaient méprisés et ceux qui étaient pris pour méprisant. Partout, on a détruit les blasons des grandes familles, qui symbolisaient cette arrogance, avec l’espoir de faire émerger une « société de semblables » pour reprendre le mot de Tocqueville. Or Emmanuel Macron donne le sentiment que nous ne sommes pas, ou que nous ne sommes plus, une société de semblables. »
Pour Rosanvallon, il est urgent de changer, de revigorer la vie démocratique. Sortir du langage technocratique pour revenir au niveau de la démocratie, c’est-à-dire un monde de semblables, dans lequel même s’il existe des inégalités économiques chacun est considéré avec respect, sa parole prise en compte :
« S’il n’y a pas de concertation et de compromis sous ce nouveau quinquennat, cette distance ressentie par des millions d’électeurs ne peut que s’accentuer. Ce qui se dessine est une société de crise, mais cela ne nous mène pas mécaniquement à la révolution. Les sociologues décrivent aussi des sociétés qui s’effritent et se dissolvent. Pour éviter l’implosion, la gauche doit redevenir le parti de la société des semblables. […]
« Le propre de la démocratie est d’être un principe d’interaction entre les pouvoirs et la société. Il faut que des institutions comme celles dont j’ai parlé fassent vivre ces échanges. C’est ce qui fait la différence entre la démocratie intermittente du suffrage universel et des référendums et la démocratie permanente de l’évaluation et de la délibération. La démocratie est le régime qui oblige en permanence le pouvoir à s’expliquer. […]
on ne peut pas continuer à diriger la société d’en haut en pensant qu’on connaît mieux ses intérêts qu’elle-même. Cela conduirait à la catastrophe. »
L’article de Pierre Rosanvallon est plus large que les seuls extraits que j’en ai tiré : je renvoie vers cet article (pour lequel il faut être abonné) : <L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner>
<1674>
Je lisais ce matin la news letter de Lyon mag où l’on citait les propos d’Olivier Véran venu à Lyon soutenir un jeune candidat LREM aux prochaines législatives et qui disait « on veut les meilleurs.. ».
Cette phrase résume toute la philosophie du président Macron qui ne peut pas comprendre qu’on ne qu’on ne puisse pas être attiré et convaincu par les meilleurs naturellement désignés pour réussir quant aux autres, ils doivent prendre exemple sur les gagnants.
Une façon de remplacer l’ascenseur social par l’escalier social synonyme d’efforts ce qui n’est pas forcément mauvais en soi sous réserve qu’on installe une vraie rampe d’appui pour tous
Oui il dit qu’il veut les meilleurs. En attendant, il s’appuie sur un groupe extrêmement restreint de conseillers pour gouverner. Moi je ne crois pas à l’homme providentiel. Ce qu’il nous faut c’est une femme ou un homme capable de faire travailler des équipes ensemble, capable de déléguer, d’écouter tout le monde même ses opposants qui ne font pas forcément des mauvaises propositions.