Mardi 31 mai 2022

« Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement. !»
Article 20 de la Constitution

Mardi 31 mai 2022 est le 97ème jour de la guerre d’agression que la Russie de Poutine a lancé contre son voisin ukrainien.

Mais aujourd’hui, je souhaite parler de la politique française et des élections législatives.

Lors du mot du jour du <8 février 2017>, j’écrivais tout le mal que je pensais de la Vème République et de ses dérives.

Je ne rappellerai pas ici les développements techniques dans lesquels j’expliquai la différence entre un régime présidentiel et un régime parlementaire et les différentes étapes qui ont toujours davantage dégradé les institutions de la Vème République du point de vue démocratique.

Les constitutionnalistes ont coutume de désigner le régime qui est en vigueur en France comme un Régime hybride ou semi présidentiel.

En réalité, il reste quand même fondamentalement parlementaire.

Et Jean-Luc Mélenchon, a réalisé un coup de génie de stratégie électorale, en demandant aux français de l’élire premier Ministre.

C’est totalement disruptif !

Le premier ministre n’est pas élu mais nommé par le Président de la République qui lui est élu.

Mais, dans la 5ème République le Premier Ministre doit disposer de la confiance de l’Assemblée Nationale.

Car comme en dispose l’article 20 de la Constitution : «le Gouvernement est responsable devant le Parlement.»

Le premier ministre étant, bien entendu, le chef du gouvernement.

Cette responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale est définie par l’article 49 de la Constitution et peut prendre trois formes ou procédures : :

  • L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (article 49, alinéa premier) couramment dénommé « question de confiance » ;
  • Le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés (article 49, alinéa 2) ;
  • L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte (article 49, alinéa 3).

En synthèse :

  • La question de confiance
  • La motion de censure
  • Le 49-3

Les constitutionnalistes savants expliquent que dans notre constitution il faut une double confiance : celle du Président et celle de l’Assemblée Nationale.

Dans une analyse rapide et historique, on pourrait penser qu’il faut surtout la confiance du Président.

Il n’est arrivé dans la Vème République qu’une seule fois, en 1962, que l’Assemblée ait renversé un gouvernement. Le premier ministre d’alors était Georges Pompidou. Le Président de la République, le Général de Gaulle, a alors, comme le lui permettait la constitution, dissout l’Assemblée.

Il y eut donc convocation d’élections législatives. Et le peuple français a voté pour une majorité de députés favorables au Général de Gaulle qui a renommé Pompidou premier Ministre.

C’est bien sûr le Peuple souverain qui a tranché ce différent entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Mais la résolution de ce conflit semble indiquer qu’il vaut mieux avoir la confiance du Président que de l’Assemblée.

Surtout qu’inversement, il est arrivé à plusieurs reprises, bien que le Premier Ministre ait obtenu peu de temps auparavant la confiance du Parlement que le Président de la République lui demande de démissionner.

Ce fut le cas de Jacques Chaban Delmas « démissionné » par le président Pompidou et Michel Rocard qui subit le même sort du fait du président François Mitterrand.

La situation est très différente, lorsque le peuple français envoie à l’Assemblée Nationale une majorité de députés opposés politiquement au Président de la République.

On appelle cela « la cohabitation » qui est un concept français que les autres régimes parlementaires ne connaissent pas, ne comprennent pas.

Dans toutes les autres démocraties libérales, quand il y a des difficultés pour obtenir une majorité, des partis politiques forment une coalition et un programme de gouvernement.

Bref, ils discutent, se mettent d’accord en toute transparence et appliquent le Programme sur lequel ils se sont mis d’accord.

Donc en France, il se peut que l’on se trouve dans une situation de cohabitation.

La Vème République en a connu trois.

La première en 1986, François Mitterrand était président et la Droite a gagné les élections législatives. Mitterrand a tenté de nommer Giscard d’Estaing, puis Simone Veil mais la majorité Parlementaire exigeait que ce soit son chef, Jacques Chirac qui soit nommé. Et dans ce cas c’est l’Assemblée qui décide, Mitterrand a dû s’incliner et nommer Chirac.

Cinq ans plus tard la Droite a décidé que le Premier Ministre serait Edouard Balladur, le Président Mitterrand du une nouvelle fois s’incliner.

Et en 1997, quand la Gauche gagna les élections après la dissolution provoquée par Chirac, ce dernier nomma sans tergiverser le chef de l’opposition : Lionel Jospin, celui qu’il avait battu deux ans auparavant aux élections présidentielles.

Donc si Jean-Luc Mélenchon a tort de manière formelle : Le premier Ministre n’est pas élu mais nommé. Il a raison en pratique, s’il y avait une majorité de députés de son alliance qui était élu, le Président Macron n’aura d’autres choix que de le nommer.

C’est très habile, car cette manière de s’exprimer permet de mobiliser son camp et probablement d’éviter la forte abstention qui fut la règle lors des élections législatives précédentes : les électeurs des opposants au Président élu s’abstenaient massivement, laissant tranquillement une majorité absolue de candidats de la majorité présidentielle être élue.

Et de cette manière la Vème République s’enfonce toujours davantage dans le déni de démocratie.

Je vais essayer de synthétiser cela en quelques phrases :

  • Voilà d’abord un homme élu sans véritable programme, on ne sait pas ce qu’il veut faire : il lance deux ou trois idées, sur lesquels il revient par la suite lors de l’une ou l’autre des campagnes.
  • Comme le programme dit « de l’omelette » cher à Alain Juppé a été brillamment réalisé, cet homme apparait comme le seul raisonnable qu’on peut élire. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le programme de l’omelette, je la rappelle. L’échiquier politique est une grande omelette, on coupe les deux bouts et on garde le milieu, « l’extrême centre » sur lequel je reviendrai dans un mot du jour ultérieur.
  • Avec cette idée géniale, il n’y a plus d’opposition crédible ou disons il n’y aurait plus d’opposition crédible. Le choix est donc entre un extrême centre rationnel et raisonnable et des opposants irrationnels et déraisonnables.
  • Aux élections législatives, les français élisent les femmes et les hommes du président. Leur programme c’est celui du Président qui lui n’en a pas.
  • Dans le rêve de ces gens, n’importe qui, même une chèvre désignée comme le représentant du président doit être élu.
  • Dans ce cas on n’élit plus des députés mais des délégués qui forment une chambre d’enregistrement. Savez-vous que <la charte de LREM> dispose que «les députés membres et apparentés du Groupe ne cosignent aucun amendement ou proposition de loi ou de résolution issus d’un autre groupe parlementaire». Peut-on être plus sectaire ? Rien de ce que propose l’opposition n’est digne d’intérêt ! D’ailleurs cette règle s’appliquait aussi à l’égard des propositions du MODEM, pourtant dans la majorité présidentielle.
  • Dans ce contexte le Président nomme, comme un fait du Prince, un Premier Ministre à sa convenance et qui ne dispose d’aucun poids politique. Il ou elle n’est qu’un simple collaborateur comme le disait Sarkozy déjà
  • Le vrai premier ministre est en réalité Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée
  • A ce stade, il parait légitime de s’interroger si, en pratique, la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif est encore une réalité. Les décisions essentielles sont prises entre le Président de la République, le secrétaire général de l’Élysée et le cercle rapproché des conseillers.
  • Et rappelons que dès lors le pouvoir est détenu par un groupe de gens qui a obtenu 28% des voix exprimés, car désormais déjà au premier tour et encore plus au second tour la plus grande partie du vote n’est plus un vote d’adhésion mais un vote stratégique pour éviter tel ou tel candidat qu’on ne veut pas.

Dés lors comme le fait justement remarquer Jean-Luc Mélenchon, si une majorité indépendante du Président est élue à l’Assemblée c’est le gouvernement et son chef qui est le premier ministre qui déterminent et conduisent la Politique de la France, selon l’article 20 de la Constitution.

Je tiens à préciser que le présent mot du jour ne dit rien du programme préconisé par la coalition menée par Jean-Luc Mélenchon.

Le seul point qui est développé ici est celui de l’impasse dans lequel nous a mené la Vème République, les modifications qui y ont été apportées, le mode de scrutin qui permet une telle diffraction de la réalité du corps électoral français et la pratique des présidents élus qui semblent ignorer ce que signifie une vraie démocratie et des débats politiques.

Vous pouvez écouter avec beaucoup d’intérêt <Les matins de France Culture du 30 mai> qui explicite une grande partie des développements présentés dans ce mot du jour.

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