Jeudi 13 octobre 2016
«Le consensus de Washington »
John Williamson
Dans les émissions consacrées à l’économie que j’écoute, le «consensus de Washington» est souvent évoqué, rarement pour en dire des choses positives, presque toujours pour expliquer qu’il a gouverné les affaires économiques mondiales et qu’il continue encore grandement à les influencer.
L’expression «consensus de Washington» trouve son origine dans un article de l’économiste John Williamson en 1989, très largement inspirées de l’idéologie de l’école de Chicago et de Milton Friedman, bref ce qu’on appelle le néo-libéralisme.
En Amérique latine, [les] années 1980 avait été marquée par une profonde crise économique, une hyperinflation dévastatrice, la déstructuration sociale et des instabilités politiques. La crise de la dette extérieure, écartant le sous-continent des marchés financiers, le priva d’investissements extérieurs, avec un transfert net (négatif) de ressources financières, de près de 25 milliards de dollars en moyenne annuelle, en direction du Nord.
Le « paquet » de réformes recommandées à ces États, est résumé dans l’article paru en 1989 sous la plume de l’économiste John Williamson, qui met en avant dix propositions :
Une stricte discipline budgétaire ;
Cette discipline budgétaire s’accompagne d’une réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant à la fois un fort retour économique sur les investissements, et la possibilité de diminuer les inégalités de revenu (soins médicaux de base, éducation primaire, dépenses d’infrastructure) ;
La réforme fiscale (élargissement de l’assiette fiscale, diminution des taux marginaux) ;
La libéralisation des taux d’intérêt ;
Un taux de change unique et compétitif ;
La libéralisation du commerce extérieur ;
Élimination des barrières aux investissements directs de l’étranger ;
Privatisation des monopoles ou participations ou entreprises de l’État, qu’il soit — idéologiquement — considéré comme un mauvais actionnaire ou — pragmatiquement — dans une optique de désendettement ;
La déréglementation des marchés (par l’abolition des barrières à l’entrée ou à la sortie) ;
La protection de la propriété privée, dont la propriété intellectuelle.
Il est possible de résumer cela en 2 mots : dérégulation et privatisation et une conséquence : l’augmentation des inégalités.
L’un des arguments en faveur de ce programme était l’existence d’administrations étatiques pléthoriques et parfois corrompues et bénéficiait du contexte de crise idéologique globale lié à l’effondrement du communisme soviétique. Et le Fonds monétaire international et la Banque mondiale exigeaient la mise en place de politiques inspirées de ces principes pour l’octroi de prêts aux États qui leur demandaient de l’aide.
«Le Consensus de Washington a donc une vision plutôt libérale certes, mais pas ultra-libérale ni impérialiste ! Par exemple si l’on regarde le point (1) sur la nécessité d’une discipline budgétaire et le (2) sur la redéfinition des dépenses publiques, le consensus de Washington ne prône ni nécessairement un équilibre budgétaire (type règle d’or) ni la nécessité de couper dans toutes les dépenses publiques, mais explique qu’il est important de restaurer un déficit à un niveau acceptable n’augmentant pas la dette en % du PNB à long-terme (bien qu’il existe plusieurs vues différentes sur les modalités exactes au sein même du consensus), et qu’il est nécessaire de réorienter certaines dépenses publiques « peu utiles » (subventions entraînant des distorsions économiques) vers les secteurs pouvant apporter de la croissance et réduire les inégalités, comme l’accès aux soins primaires et l’éducation.»
«Trois économistes chercheurs associés au FMI, Jonathan Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri, ont effectivement pris une position pour le moins surprenante dans le dernier numéro de la revue Finance and Development (« Neoliberalism : Oversold ? »). Ils y remettent en question deux piliers du néolibéralisme : la libre circulation des capitaux et la priorité donnée à la réduction des déficits. En bref, comme très bien résumé par un chercheur de l’IRIS, le FMI conclut qu’une diminution majeure de la dette publique par des mesures d’austérité n’aurait que des effets limités sur la prévention de crises économiques.
Ce n’est pas la première fois que le FMI ou la Banque mondiale rectifient leur discours après des conséquences désastreuses de leurs conditionnalités. Par exemple, la « décennie perdue » des années 1980 en Amérique latine n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. La mise en place en 1999 de la Stratégie de réduction de la pauvreté en remplacement des Programmes d’ajustement structurels avait été qualifiée par certains commentateurs de « changement de paradigme », et certains entrevoyaient même la chute imminente du consensus de Washington.
L’inclusion du concept de développement humain dans les politiques du FMI et de la Banque mondiale, ainsi que l’accent mis sur l’empowerment des pays du Sud dans la rédaction de leurs programmes de développement sont autant de preuves d’un changement sinon idéologique, du moins rhétorique. […] En 2013, le FMI avait d’ailleurs déjà fait un mea culpa pour l’échec grec. Un rapport de l’organisation admettait alors que malgré les politiques d’austérité, « la confiance des marchés n’a pas été rétablie, le système bancaire a perdu 30 % de ses dépôts et l’économie a fait face à une récession beaucoup plus forte que prévu et à un chômage exceptionnellement élevé. […]
En somme, le FMI a certes modifié substantiellement sa rhétorique récemment. Toutefois, il serait hâtif de crier à une remise en question des préceptes fondateurs du néolibéralisme : privatisation, libéralisation et stabilité macroéconomique. Ce que Stiglitz qualifiait de fondamentalisme de marché n’a pas tout à fait disparu dans les corridors du FMI. Personne ne peut nier que le discours émanant du FMI et de la Banque mondiale a évolué depuis les années 1980, mais les discours changent toujours plus rapidement que les pratiques. Les nombreuses critiques sur la nouvelle stratégie de réduction de la pauvreté en font état.
Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Nous ne sommes plus sous le consensus de Washington tel que formulé par Williamson en 1989. Toutefois, nous n’avons pas non plus dépassé cette forme de néolibéralisme qui appauvrit les pays débiteurs et enrichit les pays créditeurs. L’article publié dans la revue Finance and Development par les économistes du FMI ne signifie donc pas qu’ils ont coupé la ligne du téléphone rouge avec l’école de Chicago.».
Joseph Stiglitz :
«La plus grande part de l’amélioration du niveau de vie qui a été réalisé au cours des 100 dernières années n’est pas liée à l’accumulation du capital ou même à une meilleure redistribution des ressources, mais au savoir. Au fait d’apprendre à mieux faire. Au fait d’obtenir plus, avec moins d’entrants. N’oublions pas que, pendant des milliers d’années, jusqu’aux années 1800, le niveau de vie stagnait. Et soudain, il y a une augmentation incroyable du niveau de vie, qui vient de l’acquisition des savoirs. […]
Ce qui me préoccupe, c’est que produire juste des minerais, des hydrocarbures, ce n’est pas la base d’un développement durable. En partie parce que cela peut augmenter vos revenus, c’est important. Cela compte, l’argent, mais ça ne vous donne pas un accès direct à la connaissance. Une de mes critiques contre les politiques passées, issues du consensus de Washington, est qu’elles ont conduit à la désindustrialisation. Une idée importante, en Economie, est que les pays apprennent en faisant. La seule façon d’apprendre à produire de l’acier, c’est d’en fabriquer. Mais si vous désindustrialisez, vous n’allez pas apprendre à produire des marchandises. Et donc, les politiques issues du consensus de Washington ont maintenu l’Afrique au niveau d’industrie qu’elle connaissait il y a 40 ans. Ce qui a eu probablement un effet négatif sur l’acquisition des savoirs. […]
Ce qui s’est passé ces cinq – dix dernières années est intéressant. Enfin, on reconnaît que la montée des inégalités est un problème. Les inégalités se sont accrues dans la plupart des économies développées, au cours de ces 30 – 35 dernières années. Elles ont atteint un niveau qu’on ne peut plus ignorer. Il n’y a pas seulement des inégalités de revenus, mais aussi des inégalités d’opportunités. Et c’est contraire aux principes de base de la démocratie moderne, à nos valeurs, qui sont de plus en plus partagées dans le monde. La question qui se pose maintenant dans le monde entier est de savoir comment on change les choses, comment on crée une société juste, une société qui offre plus de chances.»
On comprend donc que nous sommes ici dans le domaine de la croyance et du dogme, non dans le savoir. Que ces croyances continuent à influencer profondément la marche de l’économie et la politique des Etats, mais qu’elles semblent bien produire des conséquences fâcheuses et contre-productives.
Il me semble comprendre que dans une analyse économique traditionnelle, le problème général de l’économie mondiale est un problème de demande : Il n’y a pas en face de l’offre, une demande suffisante et solvable. L’accumulation des richesses dans un trop petit nombre de poches et la stagnation générale des revenus ne permettent plus d’avoir une demande suffisante. Pour pallier cette situation, les consommateurs des pays riches et même des pays émergents se sont massivement endettés pendant des années. Aujourd’hui on parle de
l’explosion de la dette mondiale et cela crée d’autres problèmes.
Cette situation découle directement de ce qu’on a appelé le consensus de Washington.
Et au-delà de ces difficultés considérables, d’autres penseurs affirment que nos défis écologiques devraient nous conduire à sortir de la pensée économique traditionnelle et de la recherche à tout prix de la croissance et donc de l’augmentation de l’offre et de la demande de consommation. Dans ce cas, le consensus de Washington serait non seulement nuisible dans le cadre du système de pensée dans lequel il raisonne, mais ne poserait même pas les bonnes questions pour l’avenir de l’humanité.