Lundi 3 février 2020

« OK boomer »
Interjection visant à faire taire un senior en train d’exprimer son opinion

Cette fois nous sommes en présence d’une expression très récente et qui grâce aux réseaux sociaux et à l’internet s’est répandue dans le monde comme une trainée de poudre.

Pour qu’elle puisse être lancée il faut imaginer au moins deux personnes. S’il y a du public en plus, c’est mieux.

Il faut une personne de mon âge, plus précisément né après 1945 et guère au-delà de 1960. Ces personnes qu’on appelle « baby boomer », parce que né en Occident pendant la période du baby boom.

En face, il faut une autre personne qui est née nettement après cette période.

La scène commence soit parce que « le vieux » exprime des idées qu’il pense tirer de son expérience, soit parce que le « jeune » exprime des idées et que le « vieux » réplique avec des arguments qu’il croit justifiés par son corpus intellectuel.

Et la réplique du jeune fuse :

« Ok boomer !».

Dans l’esprit du jeune, cette réplique doit avoir pour effet de clore la discussion à peine entamée.

Voici Chloé Swarbrick, députée néo-zélandaise de 25 ans interrompue par un de ses collègues, plus âgés, pendant qu’elle s’exprimait au Parlement néo-zélandais. Elle lance l’expression cinglante et continue son discours comme s’il ne s’était rien passé.

Sur une page de <Libération> qui s’interroge pour savoir si cette expression vient de l’extrême droite américaine et y répond par la négative, on apprend que The Guardian avait donné la parole à la jeune députée néo-zélandaise qui avait utilisé la formule avec beaucoup de succès médiatique :

«Ma remarque « OK boomer » au Parlement était spontanée, bien que symbolique de l’épuisement collectif de plusieurs générations qui allaient hériter de problèmes qui s’amplifient de plus en plus dans une période de temps de plus en plus courte. Il s’agissait d’une réponse – comme il va de soi – à un déluge de chahut dans une Assemblée parlementaire qui, à l’heure actuelle, détourne beaucoup trop de gens ordinaires de la politique.»

On parle d’un « mème ». Wikipedia explique qu’il s’agit d’« un élément de langage reconnaissable et transmis par répétition d’un individu à d’autres ». Le terme anglais mème a été proposé pour la première fois par Richard Dawkins dans Le Gène égoïste (1976) et provient d’une association entre gène et mimesis (du grec « imitation »). Dawkins construit également ce terme pour sa ressemblance avec le mot français « même » (bien que ce dernier ait une étymologie différente).

Le journaliste de Libération <Luc Le Vaillant > traduit l’expression de manière assez triviale : «ta gueule, vieux con !».

Dans ce <Billet politique du 20/12/2019> Stéphane Robert est un peu plus diplomate :

« Il s’agit d’un « mème » pour reprendre un anglicisme, autrement dit d’une idée, d’un concept, qui se diffuse de façon virale sur les réseaux sociaux, sur internet. Et qui est une manière polie qu’a trouvé la jeunesse de dire aux personnes d’un certain âge qui leur font la leçon (en l’occurrence à la génération vieillissante des « baby boomers ») qu’elles feraient mieux de se taire.

Autrement dit, c’est une insulte qui renvoie les vieux à ce qu’ils sont, des vieux, mais c’est une insulte qui reste polie. ok boomer ! : « vas-y, cause, tu peux causer, de toute façon, ce que tu dis, c’est des « trucs » de vieux, ça ne m’intéresse pas ».

[…] »Cause papy. De toute façon, tu es vieux, tu vas bientôt mourir (ou quelque chose dans ce goût-là)… »[…]

Elle témoigne d’une rupture générationnelle, écrivait il y a quelques mois le New York Times.

Plus encore peut-être, elle marque une fracture et un basculement entre le monde d’hier où l’on imaginait que l’humanité se dirigeait de façon continue et inéluctable vers le progrès et le bien-être, et le monde qui vient où les jeunes générations ont la certitude qu’elles vivront demain moins bien qu’hier. »

Brice Couturier dans sa chronique le Tour du mondes idées du 2 décembre 2019 : < « OK, Boomer » : les 55/75 ans, à leur tour victime d’une révolte générationnelle> donne l’origine de ce mème :

«  Selon des sources qui paraissent mieux informées, comme Cosmo Landesman, dans The Spectator britannique, tout a commencé lorsqu’un homme d’âge mûr a fait circuler sur un réseau social, une vidéo dans laquelle il dénonçait la jeune génération. Cette classe d’âge, disait-il, refuse de grandir ; elle souffre du syndrome de Peter Pan. Aussitôt, un des jeunes en question a posté « OK, Boomer ! ». Et ce slogan est devenu viral. Il sert dorénavant [aux jeunes] à accuser celle qui est née entre 1945 et 1965 de lui léguer un héritage empoisonné.  »

Et Brice Couturier continue à citer Cosmo Landesman

« L’antipathie éprouvée par [les jeunes] envers les baby-boomers, est basée sur toutes les raisons prévisibles : pour leur condescendance envers les jeunes, bien entendu, mais surtout pour avoir précipité le changement climatique, amassé des dettes publiques, augmenté le coût des études, poussé les cours de l’immobilier à la hausse… et élu Donald Trump. » Mais ce que les jeunes reprochent surtout aux 55 ans-75 ans, c’est de s’accrocher au pouvoir, alors que tourne l’horloge biologique. »

Il cite aussi des baby-boomers qui donnent du grain à moudre au développement de « ok boomer »

« C’est bien fait pour nous, écrit Andrew Ferguson, lui-même enfant du baby-boom, puisqu’il est de la cuvée 1956. Oui, car c’est nous qui avons lancé l’antagonisme inter-générationnel, en attaquant nos parents. Ils appartenaient, eux, à la génération qu’aux Etats-Unis, on qualifie à présent de « Génération du silence », parce qu’ils ne se plaignaient pas, malgré les épreuves. Ils auraient eu pourtant bien des raisons de se moquer des illusions des baby-boomers.

Et Ferguson d’en citer trois, assez cruelles en effet : le Viet-Cong est un mouvement réformiste agrarien, les capotes ne valent pas l’ennui de les mettre, Yoko Ono est une artiste…

Cosmo Landesman, de son côté, se moque des baby-boomers qui, après s’être bien amusés durant leur jeunesse, s’auto-flagellent à présent, pour tenter d’obtenir l’approbation des jeunes. Et il cite le livre de l’ancien Secrétaire d’Etat aux Universités du gouvernement Cameron, David Willetts. Celui-ci a en effet publié un livre intitulé « The Pinch », sous-titre : « comment les baby-boomers ont volé l’avenir de leurs enfants ». Selon ce dernier, sa génération est largement bénéficiaire de l’Etat-providence. Elle en retirerait approximativement 118 % de ce qu’elle y aurait investi ; la différence étant acquittée par ses descendants. Les baby-boomers ont également acquis et tentent de conserver une position hégémonique sur le plan culturel.  »

Thibaut Déléaz prédit dans <Le Point> : que « OK boomer » sera le refrain de 2020 et fait cette analyse :

« Pour certains, cette expression symboliserait un mépris des jeunes générations envers leurs aînés. La réalité est un peu plus compliquée. […]

« Personne ne connaît les causes du changement du climat mondial. Nous savons que notre Terre a connu des périodes de réchauffement et de refroidissement, et cela peut dépendre de processus dans l’Univers. » Tels ces propos tenus par le président russe Vladimir Poutine mi-décembre, voilà le genre de phrase qui peut valoir à sa génération de se faire rétorquer par les plus jeunes « OK boomer ». Traduction : « OK, t’es encore bloqué dans ton époque, t’as rien compris. » […]

Mais que cache cette expression ? La députée LREM Audrey Dufeu Schubert s’inquiète dans Le Parisien d’une formule qui donne « dans la censure de la parole des personnes âgées ». « Cela participe à l’âgisme, qui est, en effet, une forme de racisme, du moins une discrimination. » […]

La réalité est plus complexe que ça. Aux États-Unis, où est née l’expression, les milléniaux, « sont plus pauvres que les générations avant eux, et pourraient ne jamais les rattraper », explique le Wall Street Journal. Avec « OK boomer », les jeunes générations ne s’adressent pas aux personnes âgées dans leur ensemble, mais à leurs aînés nés après-guerre, qui ont connu l’âge d’or de la reprise économique, le plein-emploi ou ont pu utiliser et gaspiller les ressources de la planète sans compter, quand eux connaissent plus de chômage, des emplois précaires, ont traversé la crise de 2008 et se retrouvent à devoir gérer la crise écologique. […]

Le climat est d’ailleurs, de loin, la première raison d’être du mouvement « OK boomer » selon les étudiants interrogés par Student Pop. Viennent ensuite les salaires et aides, le gouvernement et le logement. « Il n’y a pas tant un conflit de valeurs qu’une demande des jeunes d’avoir les mêmes chances dans la vie que leurs aînés, analyse sur France info le sociologue Camille Peugny. C’est surtout une génération qui peine à se faire entendre par la classe politique, alors qu’elle est l’avenir. »

Sur le site « Mr Mondialisation » vous pourrez lire un article conséquent publié en décembre 2019 : <« Ok Boomer » : un terme plus profond que vous imaginez…>

Bien que je sois un « baby boomer » je dois concéder que je comprends l’agacement des jeunes générations sur ces différents points.

Le monde rêvé des baby boomers est d’ailleurs en train de se heurter à l’évolution des mentalités. Ainsi, un article du 17 décembre 2019 signale qu’aux Etats-Unis, « les grandes maisons des baby-boomers ne trouvent plus preneurs. » :

« Si les baby-boomers sont friands de grandes maisons, avec plusieurs chambres et d’un style un peu ancien, c’est loin d’être le cas des millennials. Ce qui crée un vrai problème sur le marché immobilier.

(D’un côté, il y a la génération des baby-boomers, qui ont eu plusieurs enfants et rêvaient d’un pavillon au soleil. De l’autre, il y a la génération Y ou celle des millennials, qui ont moins d’enfants et privilégient davantage les centres-villes des grandes villes. Deux visions de la vie bien différentes et qui ont du mal à s’accorder. Ce qui a une conséquence directe sur le marché immobilier américain, relève Business Insider, citant notamment des informations du Wall Street Journal diffusées plus tôt cette année.

En effet, les millennials n’achètent pas les maisons des baby-boomers. Ces dernières sont grandes, possèdent plusieurs chambres, et beaucoup d’entre elles sont situées dans les États de la Sunbelt (comme l’Arizona, la Floride ou la Caroline du Nord ou du Sud. Les millennials veulent des maisons plus petites, plus modernes, d’un style épuré. Ils désirent des conceptions minimalistes, loin des styles méditerranéens ou toscans chers aux baby-boomers. Ils choisissent des maisons où ils n’auront pas de travaux d’entretien à entreprendre. Et ils privilégient les villes où ils peuvent tout faire à pied plutôt que les villas en périphérie où la voiture est indispensable pour faire les courses.

[…] Résultat, les maisons construites avant 2012 se vendent avec des décotes importantes. Parfois près de 50%. Il arrive même que des propriétaires finissent par vendre moins cher que ce qu’ils avaient déboursé pour construire leur maison. Il y a tout simplement trop de maisons trop grandes, avec 5 ou 6 chambres, notamment dans les régions ensoleillées. Et cela ne devrait pas s’arranger. Les ménages du baby-boom possèdent actuellement près de 32 millions de maisons et représentent près des deux cinquièmes des propriétaires aux Etats-Unis, selon un rapport publié en 2018 par Fannie mae, l’un des principaux organismes de refinancement hypothécaires du pays. Or, le vieillissement des baby-boomers devrait entraîner un surplus de biens à vendre sur le marché au cours de la prochaine décennie, au moment où certains d’entre eux vont revendre leur bien pour aller en maison de retraite ou payer leurs frais de santé. »

On voit donc que la fin de vie des baby boomers risque d’être compliquée aussi…aux Etats-Unis.

<1341>

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *