Vendredi 2 septembre 2016
«Vous n’aurez pas ma haine»
Antoine Leiris
Après ces nouveau évènements de juillet, je veux rattraper un oubli car j’aurais dû depuis longtemps déjà laisser la parole à Antoine Leiris. Antoine Leiris, journaliste, chroniqueur culturel à France Info et France Bleu, a perdu sa compagne Hélène, l’amour de sa vie, dans l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015
Alors il a posté le 16 novembre 2015 sur les réseaux sociaux ce message :
«Vous n’aurez pas ma haine
Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce Dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a fait à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur.
Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’ai peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu.
Je l’ai vue ce matin. Enfin, après des nuits et des jours d’attente. Elle était aussi belle que lorsqu’elle est partie ce vendredi soir, aussi belle que lorsque j’en suis tombé éperdument amoureux il y a plus de 12 ans. Bien sûr je suis dévasté par le chagrin, je vous concède cette petite victoire, mais elle sera de courte durée. Je sais qu’elle nous accompagnera chaque jour et que nous nous retrouverons dans ce paradis des âmes libres auquel vous n’aurez jamais accès.
Nous sommes deux, mon fils et moi, mais nous sommes plus forts que toutes les armées du monde. Je n’ai d’ailleurs pas plus de temps à vous consacrer, je dois rejoindre Melvil qui se réveille de sa sieste. Il a 17 mois à peine, il va manger son goûter comme tous les jours, puis nous allons jouer comme tous les jours et toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre. Car non, vous n’aurez pas sa haine non plus.»
Ce message est devenu l’un des chapitres de son livre, paru portant le même titre, publié aux éditons Fayard. <Vous n’aurez pas ma haine> et qui décrit les douze jours qui ont suivi la mort d’Hélène
<Une lectrice de ce livre a publié ce billet sur son blog de Mediapart> : « On vit avec lui chaque instant de ses 12 journées qui ont suivi le 13 novembre, date à partir de laquelle « un père et un fils vont s’élever seuls sans l’aide de l’astre auquel ils ont prêté allégeance ».
[…] Reconstruire une vie non pas « contre » (ceux qui l’ont détruite) mais ensemble, « avec » Hélène, l’absente, et son fils, à trois. […] Depuis quelques temps, des mots qu’on voudrait effacer, envahissent notre vocabulaire: barbarie, massacre, bain de sang, terrorisme, guerre, violence, mort, haine, peur, guerre civile, sécurité…L’auteur évite, de justesse le terme de « bouch… ». Nous ne le dirons pas non plus.
Tous ces mots, témoins des évènements, sont, en permanence, utilisés sur les réseaux sociaux, les chaines d’info en continu (ou pas) qui jouent « le grand concours du titre le plus racoleur, le plus pervers, celui qui nous maintient captifs. » Ces mots sont ressassés aussi par les politiciens qui, en toute indécence, font souvent dans la surenchère du tout sécuritaire, échéances électorales obligeant.
A tous, on a envie de dire ASSEZ ! « Taisez-vous et lisez ! »
Lisez ce texte sobre, poétique, fort, magnifique qui nous ramène à la douceur, à la tendresse, à l’intelligence, l’apaisement.
Parce qu’ « on ne sèche pas les larmes sur les manches de la colère ». […] C’est aussi un très beau plaidoyer pour la culture face à l’ignorance.
« On ne se soigne pas de la mort, On se contente de l’apprivoiser ». Et de quelle manière !
Admirable ! A lire avec un mouchoir à la main mais on en sort soulagé. »
Si nous voulons combattre la haine et espérer la vaincre nous ne pouvons opposer la haine, mais la justice et une dose plus grande d’humanité.
Que ce soit Antoine Leiris qui est dans la tristesse de la séparation et la blessure du crime le dise avec cette force est admirable.