Lundi 25 juin 2018

« Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? »
Pierre Desproges

Nous avons jusqu’ici constaté qu’historiquement le football a comme ancêtre des jeux de ballons très brutaux comme la soule ou le calcio florentin.

Depuis la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, ce jeu de balle au pied s’est un peu civilisé et s’est organisé autour de règles visant à diminuer la violence et augmenter la technique.

De sorte que la quête d’Eduardo Galeano qui se décrit comme «un mendiant de bon football» et implorant «Une belle action, pour l’amour de Dieu !» puisse acquérir quelque légitimité.

Nous avons aussi évoqué des tricheries qui ont émaillé l’histoire de ce sport et surtout les dérives du business football.

Pourtant globalement, le ton était plutôt bienveillant.

Mais il existe des personnes qui détestent ce sport, et je pense qu’il faut leur donner la parole aussi.

Il y a d’abord ceux comme le chanteur Renaud qui s’en prennent aux spectateurs et surtout aux hooligans. Il le fait dans sa chanson « Miss Maggie » qui avant d’être une chanson anti Margaret Thatcher est d’abord une chanson féministe et une des strophes est celle-ci

« Femme je t’aime parce que
lorsque le sport devient la guerre
y a pas de gonzesse ou si peu
dans les hordes de supporters
Ces fanatiques, fous-furieux
abreuvés de haine et de bière
déifiant les crétins en bleu,
insultant les salauds en vert
Y a pas de gonzesse hooligan,
imbécile et meurtrière
y’en a pas même en Grande-Bretagne
à part bien sûr madame Thatcher »

Et puis il y a Umberto Eco qui dans son recueil de nouvelles : « Comment voyager avec un saumon » a écrit dans le chapitre ayant pour titre « Comment ne pas parler de foot »

« Je n’ai rien contre le foot.   Je ne vais pas au stade pour les mêmes raisons qui font que je n’irais jamais dormir la nuit dans les passages souterrains de la Gare Centrale de Milan (ou me balader à Central Park à New York après six heures du soir), mais il m’arrive de regarder un beau match à la télé, avec intérêt et plaisir car je reconnais et apprécie tous les mérites de ce noble jeu.   Je ne hais pas le foot.   Je hais les passionnés de foot.

Comprenez-moi bien.   Je nourris envers les tifosi un sentiment identique à celui des partisans de la Ligue Lombarde envers les immigrés extra-communautaires : « Je ne suis pas raciste, à condition qu’ils restent chez eux. »   Par chez eux, j’entends leur lieu de réunion en semaine (bar, famille, club) et les stades le dimanche où je me fiche de ce qu’il peut arriver, où ce n’est pas plus mal si les hooligans déboulent, car la lecture de ces faits divers me divertit, et puisque ce sont des jeux du cirque, autant que le sang coule.

Je n’aime pas le tifoso parce qu’il a une caractéristique étrange : il ne comprend pas pourquoi vous ne l’êtes pas, et s’obstine à vous parler comme si vous l’étiez.  «

Mais Pierre Desproges dans ses chroniques de la haine ordinaire a exprimé un rejet plus global sur le football, dans sa chronique du 16 juin 1986 :

« Voici bientôt quatre longues semaines que les gens normaux,  je j’entends les gens issus de la norme, avec deux bras et deux jambes pour signifier qu’ils existent, subissent à longueur d’antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur gazon l’honneur minuscule d’être champions la balle au pied. »

A ce stade il faut peut-être préciser qu’une glande sudoripare est une glande située sous la peau qui sécrète la sueur.

Rappelons qu’en 1986, il y avait aussi une coupe du monde et elle se déroulait au Mexique. Pierre Desproges continue :

« Voilà bien la différence entre le singe et le footballeur. Le premier a trop de mains ou pas assez de pieds pour s’abaisser à jouer au football.

Le football. Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ?

Quelle harmonie, quelle élégance l’esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron, en ahanant des râles vulgaires de bœufs éteints.

Quel bâtard en rut de quel corniaud branlé oserait manifester publiquement sa libido en s’enlaçant frénétiquement comme ils le font par paquets de huit, à grands coups de pattes grasses et mouillées, en ululant des gutturalités simiesques à choquer un rocker d’usine?

Quelle brute glacée, quel monstre décérébré de quel ordre noir oserait rire sur des cadavres comme nous le vîmes en vérité, certain soir du Heysel où vos idoles, calamiteux goalistes extatiques, ont exulté de joie folle au milieu de quarante morts piétinés, tout ça parce que la baballe était dans les bois?

Je vous hais, footballeurs. Vous ne m’avez fait vibrer qu’une fois : le jour où j’ai appris que vous aviez attrapé la chiasse mexicaine en suçant des frites aztèques. J’eusse aimé que les amibes vous coupassent les pattes jusqu’à la fin du tournoi. Mais Dieu n’a pas voulu. Ça ne m’a pas surpris de sa part. Il est des vôtres. Il est comme vous. Il est partout, tout le temps, quoi qu’on fasse et où qu’on se planque, on ne peut y échapper.

Quand j’étais petit garçon, je me suis cru longtemps anormal parce que je vous repoussais déjà. Je refusais systématiquement de jouer au foot, à l’école ou dans la rue. On me disait : « Ah, la fille! » ou bien : « Tiens, il est malade », tellement l’idée d’anormalité est solidement solidaire de la non-footballité.

Je vous emmerde. Je n’ai jamais été malade. »

Chroniques de la haine ordinaire / Éditions du Seuil, Points, Warner / 16/06/1986

On peut, on a le droit de ne pas aimer le football. Et on doit même pouvoir le dire.

Et celles et ceux qui l’aiment doivent pouvoir l’entendre.

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2 réflexions au sujet de « Lundi 25 juin 2018 »

  • 25 juin 2018 à 8 h 46 min
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    Entre les aficionados et les détracteurs forcenés, il y a-t-il une place pour les gens plutôt indifférents comme moi?
    PS: je précise quand même, peu mobilisé par le foot et ses débordements mais bien intéressé par la série de mots du jour qu’il a suscité

    Répondre
    • 25 juin 2018 à 10 h 52 min
      Permalink

      Il me semble qu’Umberto Eco est aussi un indifférent. Il reproche simplement aux tifosis de ne pas vouloir comprendre qu’on peut être indifférent.

      Répondre

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