Mardi 17 février 2015

Mardi 17 février 2015
«Nos pratiques sont devenus inégalitaires.»
François Dubet
François Dubet, Sociologue, directeur d’études à l’EHESS et auteur de “La préférence pour l’inégalité” (Seuil), était l’invité de la matinale de France Inter  du vendredi du 6 février 2015.
J’ai retenu de ces propos l’analyse suivante :
«Pendant les 30 glorieuses les Etats occidentaux ont lutté contre les inégalités et par des transferts massifs sont parvenus à les réduire.
Depuis la révolution néo libérale, cette évolution a été stoppée et on a choisi l’inégalité.
La mondialisation en est certainement responsable pour une partie.
Mais ce que je crois c’est que le goût de l’égalité s’est cassé dans la société, nos pratiques sont devenus inégalitaires.
Les phénomènes de ségrégation urbaine se sont développés : on ne veut plus vivre avec des gens qui sont différents de nous. Alors on dénonce les ghettos, mais nous les augmentons chaque fois que nous prenons la décision de déménager.
Et l’école. Depuis 50 ans toutes les politiques françaises sont égalitaristes. Collège unique, des bourses, des aides, des diplômes nationaux.
On a voulu créer l’égalité [par le haut]. Mais les acteurs ont intérêt à l’inégalité.
Dès lors que je suis convaincu que l’avenir de mes enfants sera déterminé par le diplôme qu’ils auront à 18 ans et donc par voie de conséquence dépendront des diplômes relatifs qu’auront les autres enfants. Dès lors, même si je suis d’accord en principe avec l’égalité de tous, je suis très favorable à l’inégalité des miens.
L’appel du Président Hollande de créer de la mixité sociale dans l’Ecole ne sera pas simple.
Parce que nous avons un intérêt bien compris à fuir les établissements les plus difficiles et à chercher pour nos enfants les diplômes les plus rares et les plus sélectifs.
Beaucoup parle de la chute des classes moyennes à laquelle je crois très peu. Les vrais déclassés se sont les ouvriers non qualifiés.
Mais finalement on défend chacun à notre niveau la petite inégalité qui nous est bénéfique.
Depuis un mois et après les évènements de janvier il y a un climat d’égalitarisme qui s’est développé,
Mais avant cela, et ils sont toujours là, nous avions, les pigeons, les bonnets rouges, les notaires, les syndicats professionnels…
Ce qui s’est passé c’est un effondrement de la solidarité.
Pour que j’accepte de payer des impôts et des cotisations qui bénéficieront à d’autres, il faut que je m’en sente proche, parce que c’est la même nation, parce que nous sommes des travailleurs…Peu importe, ce sont les romans de la démocratie et de la nation, ce sont des romans, des fables mais on y croit.
Et quand cela se défait : “Pourquoi paierais-je pour des gens que je ne connais pas et qui ne le mérite pas ?”
Il y a des sondages très inquiétants, on explique de plus en plus le chômage et la pauvreté par la responsabilité des chômeurs et des pauvres, c’est leur faute. Il y a un renversement qui est en train de s’opérer.
Cette tendance s’est opérée en France elle s’est renversée encore beaucoup plus brutalement en Grande Bretagne et aux Etats Unis.»
Pour revenir à la France, son analyse est que « l’école Française est plus inégalitaire que la société, ce qui signifie qu’elle en rajoute à l’inégalité de la société.
Au Canada la société est plus inégalitaire, mais l’école est plus égalitaire qu’en France.
La première raison est qu’en France on fait l’école pour les élites, comme si dans chaque écolier un polytechnicien sommeille et les autres vont s’égrener comme un peloton cycliste en train de monter le tourmalet, c’est une tradition très difficile à remettre en cause.
Car, en fait, la priorité ce devraient être les élèves faibles, pas les élèves forts.
La seconde est que nous avons une confiance excessive dans les diplômes. La concurrence sur le diplôme devient alors trop forte et totalement inégalitaire. Si je crois que de la mention au Bac et la filière du bac dépend la totalité de la vie l’individu je me conduirai comme un sauvage pour que mes enfants l’obtiennent.
On raisonne ainsi toujours par le sommet.
Quand on veut lutter contre l’inégalité on dit qu’il faut que 10% des élèves de polytechnique soient issues des classes défavorisées, ce qui est bien, mais cela correspond à 40 élèves.
Mais le fait que 95 % des élèves des écoles technologiques soient issues de ces milieux ne pose jamais discussion. Or l’inégalité est beaucoup plus présente dans ce second aspect.
On regarde toujours vers le sommet, jamais vers la base.»
C’est un changement de paradigme absolu : La priorité ne serait pas une école pour former l’élite mais pour enseigner le plus grand nombre.
Vous doutez ? Cela va contre tous vos fondamentaux ?
Et si Dubet parvenait à instiller en vous le germe fécond du doute ?​