Lundi 5 février 2018

« Augmenter nos connaissances, diminuer nos certitudes, accepter la complexité »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Mais finalement, au bout du bout, à quoi servent tous ces efforts pour trouver et écrire des mots du jour ?

Vous pourriez me poser cette question, mais Alain que retiens-tu de tout cela ? Qu’est-ce que tu as appris ? Compris ?

Quelle quête poursuis-tu ?

La quête est ambitieuse, je l’ai expliquée à plusieurs reprises : « Essayer de comprendre le monde ». Sur la page d’accueil de ce blog, une phrase est mise en exergue : «Comprendre le monde, c’est déjà le transformer !»

Cette phrase est celle de Guillaume Erner qui l’a prononcée pour le premier matin de France Culture qu’il a animé.

Je l’avais repris dans le mot du jour du 9 septembre 2015. Guillaume Erner avait ajouté :

«[Il faut lutter contre ceux] qui ont intérêt à la mésintelligence du monde.
C’est contre eux qu’il faut se réveiller pour interrompre le sommeil de l’intellect.
Tous les verbes qui nous arrachent à la nuit de la pensée : comprendre, expliquer, réfléchir sont des verbes militants.»

Comment faire concrètement ?

Quels sont les piliers de cette ambition ?

Rachid Benzine qui en même temps a été champion de France de kickboxing et qui est un intellectuel formé à l’école des sciences humaines, après avoir fait des études d’économie et de sciences politiques puis des études d’histoire et de philosophie peut donner des clefs.

Il est musulman il avait accédé à la notoriété en lançant avec le père Christian Delorme, le dialogue islamo-catholique aux Minguettes, dans la banlieue de Lyon, qui a donné lieu à un livre : Nous avons tant de choses à nous dire, paru en 1998.  »

En octobre 2016, il avait écrit un roman épistolaire <Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?>, dans lequel un père échange des lettres avec sa fille partie faire le djihad en Irak. Dans une des lettres, il écrit :

« Notre mission en tant qu’humains n’est pas de trouver des réponses, mais de chercher. Les musulmans sont appelés à être d’humbles chercheurs, et pas des ânes qui ânonneraient sans cesse des histoires abracadabrantes. Tu le sais bien, ma petite Nour :  Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Ces certitudes qui vous mènent aujourd’hui tout droit en enfer. »

J’en avais tiré un mot du jour : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

C’est en partant de là que probablement il existe un chemin :

  • Augmenter nos connaissances ;
  • Diminuer nos certitudes ;
  • Et finalement, accepter la complexité.

Pendant tout ce butinage quelles sont les connaissances qui ont augmenté ?

Certainement la compréhension de l’extraordinaire intelligence de la nature et du vivant.

Quand on se plonge dans le livre de Peter Wohlleben sur la vie secrète des arbres, on ne peut plus regarder les forêts de la même manière, on ne peut plus apprécier l’intervention des humains dans la forêt avec les mêmes critères.

Quand on écoute ou lit Franz de Waal on ne peut plus voir les animaux avec les yeux de l’humain qui fait à l’image de Dieu est maître de la nature. Il faut alors se rendre compte que la frontière entre l’homme et l’animal devient de plus en plus ténue, que ce qui permet de différencier l’un de l’autre devient de plus en plus faible.

La connaissance de l’asservissement et de la violence que les hommes ont par le passé et continuent encore trop à exercer à l’égard des femmes dans toutes les civilisations, tous les milieux sociaux a aussi énormément progressé grâce à mes lectures, recherches et aussi réflexions personnelles dans l’expérience de la vie.

Ma connaissance s’est aussi développée sur l’abus et la perversité de l’utilisation incontrôlée, irrationnelle, déshumanisante de la gouvernance par les nombres.

Ma compréhension qu’une des choses fondamentales qui est en train de se dérouler devant nos yeux est une remise en cause des avantages des classes moyennes et populaires occidentales qui étaient le fruit de l’hégémonie et disons-le de la prédation qu’exerçaient les pays occidentaux sur le reste du monde.

Et les certitudes qui ont diminué ?

La certitude qu’il existe des valeurs universelles que l’ensemble des humains partage : la liberté de penser, la démocratie, la valeur de la vie humaine et la prise en compte de l’individu. J’ai compris que ces valeurs universelles étaient issues de notre monde occidental.

Le mot du 17 juin 2015 donnait la parole à Jean-Louis Beffa qui expliquait :

«On a cru que les valeurs de type occidental, celles qui viennent de la révolution française, des vertus chrétiennes et des lumières avaient une valeur mondiale. on disait les droits de l’homme c’est [universel]. Je ne le crois pas. Je crois que le monde asiatique, en particulier, a des valeurs confucéennes qui sont des valeurs complétement différentes.»

Dans ma vision d’homme de gauche, beaucoup de certitudes issues de cette pensée ont été balayées :

  • Les conditions sociales expliquent une partie du fonctionnement de la société et des individus, mais pas tout. Il y a aussi les mythes, les religions, les affects, les cultures familiales qui ont une importance considérable dans l’explication des phénomènes sociaux.
  • La Loi ne peut pas tout, ne peut pas régler tous les problèmes, interdire tout ce que l’on rejette et par sa seule promulgation faire évoluer les mentalités et la société. »

La certitude aussi que le progrès technique entraîne forcément une amélioration de l’égalité des humains et de leur bien-être est mise à mal.

Accepter la complexité ?

La complexité est le grand mot d’Edgar Morin.

L’acceptation de la complexité doit aussi conduire à accepter qu’on ne peut pas tout comprendre tout maîtriser. L’Univers est infini, sommes-nous pauvres humains capable d’appréhender l’infini ?

De façon plus prosaïque, la complexité peut simplement se détecter dans le gouvernement des humains et le cadre légal de la société.

La GPA, gestation pour autrui, elle est interdite en France, mais pas aux Etats-Unis, ni au Canada, ni en Grande Bretagne.

Dès lors des parents français utilisent cette méthode pour avoir des enfants à l’étranger et ils reviennent en France.

Ces enfants n’existent pas, ils sont hors la Loi.

Si on les légalise, en réalité on accepte le principe de la GPA. Principe de la GPA qui va dans notre monde cupide aboutir forcément à ce que des femmes pauvres louent leur ventre à des riches pour que ces derniers puissent assouvir leur désir d’enfant.

Mais peut-on laisser ces enfants qui ne sont pas responsables de cette situation, ne pas accéder pleinement à la citoyenneté et aux droits sociaux ?

Celui qui dit que la réponse est simple, n’a rien compris à la question.

J’essaierai dans les prochains mots du jour de continuer sur des sujets particuliers à développer selon ces trois axes ce que toutes ces réflexions et lectures ont pu m’apporter.

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2 réflexions au sujet de « Lundi 5 février 2018 »

  • 5 février 2018 à 9 h 47 min
    Permalink

    Je crois que cette curiosité de la diversité du monde n’est pas incompatible avec un choix de vie gouverné par la sérénité et une forme de joie intérieure, je pense même que c’est le contraire
    Voila ce qu’il est possible de répondre à celui qui s’interroge sur l’intérêt de la démarche.

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  • 5 février 2018 à 17 h 45 min
    Permalink

    J’avais disserté dans un précédant commentaire sur la vacuité de la valeur des chiffres. Pour moi, ce commentaire ne remettait nullement en cause l’intérêt des chiffres dans nos vies. Les chiffres nous permettent d’appréhender le monde de manière rationnelle, objective et logique. C’est devenu, avec l’avènement du traitement automatique de l’information (ou informatique), un élément essentiel de notre perception du monde, aujourd’hui grandement numérisé.

    Si je m’étais amusé, en particulier du nombre 1000, c’était pour noter le côté très humain des chiffres dits ronds. Les chiffres ronds sont, de mon point de vue, des signes de communion. Et, je dois avouer que, comme Régis Debray (“Les communions humaines”), je pense fondamentalement que nous avons besoin de communier. L’être humain, n’étant pas une machine, il donne du sens aux chiffres, en particulier aux multiples de 10. Du fait de nos 10 doigts, l’homme a créé les dates anniversaires en base 10. Ces dates existent par et pour nous. Comme les célébrations, elles sont des moments de recul, de prise de hauteur, de partage et d’humanité. Et donc, même si le chiffre 1000 m’apparait vain en soi, il m’apparait tout autant essentiel de le célébrer. Mes commentaires sur la vacuité numérique du chiffre 1000 n’ont d’ailleurs existés que du fait de la présence même de ce chiffre, d’où son importance à mes yeux. L’utilité de certains nombres vient simplement de la construction intellectuelle qu’on leur associe, et c’est bien ainsi.

    Au sujet du sens des choses, je vous conseille la pièce “Les chaises” d’Eugène Ionesco (la mise en scène de Luc Bondy présentée dans les années 2010 avait été pour moi d’une force incroyable). Pour ceux qui ne connaitraient pas cette pièce absurde, en résumé, deux vieux âgés attendent un public qui n’arrive pas vraiment, pour une conférence qui n’en est pas une. Mais, la conférence existe dans l’esprit de ces vieux, et c’est certainement là l’essentiel. La réalité de cette pièce est celle que les comédiens créent devant nous. Certains voient dans cette pièce un moment terrible, j’y voie un moment d’espoir. Nous pouvons construire et partager.

    Comme les dates anniversaires et les histoires racontées, l’intérêt premier et primordial des mots d’Alain, est à mes yeux d’exister. Ils nous nourrissent. La société actuelle a tendance à uniformiser, automatiser, standardiser, bref à déshumaniser la vie. La connaissance, la philosophie, la politique sont délaissés, car trop complexes. Alors que c’est bien du sens de la vie dont on parle ici. Les mots d’Alain donnent du sens à la vie, qui en possède d’autant plus, qu’on lui en donne. Comprendre le monde, comprendre sans fin, donne du sens au monde. Merci de ces échanges.

    Alors, Hasta Siempre, vive la curiosité et le partage

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