Vendredi 3 avril 2020

« Nous sommes devenus des cibles. »
Virginie, infirmière libérale de Marseille

Essayer de comprendre le monde…

En voir la beauté, la solidarité.

Et je ne me lasserai pas de dire que c’est de l’entraide dont nous avons besoin. Que les gens vraiment intelligents le savent et le pratiquent.

Mais essayer de comprendre et regarder le monde c’est aussi voir le mal qui s’y trouve !

Mal, fruit de la bêtise, de l’égoïsme, de la peur parfois.

Notre période singulière de cette pandémie que personne n’attendait, sauf Bill Gates et la CIA, montre de merveilleux élans de solidarité et de soutien.

Laurent Garcia, cadre de santé en Ehpad a raconté ce jeudi matin sur France Inter, l’accompagnement des ainés dans un EHPAD de Bagnolet : <Tous les jours, c’est entre rires et larmes>. Témoignage poignant, lumineux et dramatique.

J’ai lu cet été deux livres dont je n’ai pas encore parlé lors d’un mot du jour.

Le premier est « Crépuscule » de Juan Branco dont je ne sais quoi dire et penser.

Et le second : « Le mal qui vient » de Pierre-Henri Castel dont je n’avais pas envie de parler

Dans ce livre, Pierre-Henri Castel pose comme hypothèse que la société humaine ne parvient à surmonter le défi climatique et il imagine le comportement des humains dans ce contexte d’une connaissance inéluctable du désastre.

Pendant longtemps les hommes se seraient tournés vers la Foi et la Religion, certains sont encore dans cette démarche.

Edgar Morin pense que cela pourra entraîner un sursaut du plus grand nombre qui à travers l’intelligence collective sauront affronter cette épreuve par la solidarité.

Pierre-Henri Castel examine cette situation en se centrant sur ceux qui par esprit de jouissance, voudront se livrer à ce qu’il appelle une « ivresse extatique de la destruction » : « plus la fin sera certaine, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal ».

Bien sûr cette pandémie n’a rien à voir avec l’hypothèse du livre de Pierre-Henri Castel, mais nous sommes dans une crise très particulière qui touche toute la société. Et dans ce contexte le type de mal qu’évoque ce philosophe, se révèle.

Nous avons dans nos rangs d’homo sapiens, des nuisibles.

Je trouve totalement inapproprié que l’on utilise ce terme de nuisible que pour des rongeurs, des insectes et d’autres parasites, alors qu’il s’applique parfaitement à certains humains.

Il y a des riches parmi ces nuisibles, mais ils ne sont pas tous riches. La pauvreté n’immunise pas contre ce fléau.

Cette semaine, à Bron, en banlieue lyonnaise :

« Devant le Leader Price, il fallait faire la queue avant d’entrer. Un homme âgé d’une trentaine d’années n’avait visiblement pas l’intention d’attendre et tenta de doubler tout le monde en malmenant un senior, tentant de le convaincre de lui céder sa place. Mais un client est intervenu et a provoqué la fuite du trentenaire. »

Moins de 10 minutes plus tard, deux voitures sont arrivées en trombe sur le parking du supermarché et huit individus en sont sortis. Il s’agissait du trentenaire qui était allé chercher du renfort, se riant au passage des consignes liées au confinement.

Armés de batte de baseball, ils s’en sont pris à la vitrine du Leader Price avant de repartir. Le client qui s’était interposé et qui était vraisemblablement recherché par le groupe a échappé au pire puisqu’il était à l’intérieur du magasin. »

Et, en ces temps où nous avons tant besoin des soignants, aide soignantes, infirmier(e)s, médecins, des nuisibles les agressent pour leur voler des masques ou d’autres ustensiles, leur demande de déménager parce qu’ils pourraient être contagieux ou pratiquent d’autres insultes à l’esprit ou à la morale.

<L’Obs a fait témoigner une infirmière>, Virginie, infirmière libérale de Marseille âgée de 37 ans, passée par le service réanimation de la Timone et qui raconte les difficultés auxquelles est confrontée sa profession depuis le début de la crise sanitaire :

« Bien sûr, il y a les applaudissements chaque soir à 20 heures. Les discours sur les « héros en blouse blanche ». Tout ça réchauffe le cœur.
Et puis, il y a aussi la réalité du terrain, souvent affligeante. La tension dans l’air qu’on ressent.
L’agressivité chez certains patients.
La peur de se faire agresser pour quelques masques, des gants ou le gel hydroalcoolique qui ne nous quittent plus. »

Elle raconte son quotidien, son sentiment de solitude devant le mal.

« Chaque jour, j’ai la boule au ventre. Je me dis que j’ai plus de risques de me faire voler mon matériel que d’attraper ce virus. Deux de mes collègues se sont fait voler leur caducée. Je ne comprends pas : les gens pensent que cela leur servira de laissez-passer. Mais chaque caducée porte un nom. Mon associée s’est fait fracturer son véhicule. On lui a dérobé trois masques et du matériel médical. Moi, la semaine dernière, je n’ai reçu qu’un carton de gants sur les deux que j’avais commandés. Le bordereau de livraison indique pourtant deux cartons. L’un d’eux a donc disparu. A-t-il été égaré, volé ? Moi, j’ai un besoin impératif de ces gants pour faire les toilettes.

Au départ, je pensais que c’était un phénomène propre à Marseille. Mais en me baladant sur les forums d’infirmiers, j’ai constaté que c’était partout la même chose. C’est terrible à dire mais nous sommes devenus des cibles pour certains. Du coup, j’ai retiré le caducée de mon pare-brise. Je l’ai pourtant toujours affiché avec fierté. Maintenant, on nous conseille de l’enlever.

Quand je me rends chez un patient, je laisse aussi ouverte la boîte à gants de ma voiture, je retire la plage arrière pour bien montrer que je ne transporte rien dans mon coffre. Lors de ma tournée, je ne porte plus ma surblouse pour ne pas attirer l’attention. Les forces de l’ordre, sortis des grands axes, on ne les voit pas. On a parfois l’impression d’être seule dans la ville. Il est facile de nous attaquer, de nous prendre nos voitures. On nous parle de solidarité avec le personnel soignant mais je crains que personne ne vienne nous défendre si cela se produit. »

Et elle explique que les infirmières libérales sont plus exposées et moins pris en considération que les médecins.

« Sur mon arrondissement, 85 % des médecins sont en télétravail. Nous sommes donc les seuls à nous déplacer chez les patients. Nous et les aides à domicile. Quand il y a une suspicion de Covid-19, ou qu’il s’agit d’administrer des soins à des malades souffrant du virus, c’est souvent nous qui sommes appelées. Pourtant, quand on se présente chez les pharmaciens pour récupérer des masques, on a l’impression de faire l’aumône. « Je n’ai que ça », m’a répondu un jour un pharmacien en me tendant une boîte de masques périmés. En vérité, certains préfèrent les réserver aux médecins, dont la plupart télétravaillent, plutôt que de les donner aux infirmières libérales. Peut-être parce que nous, contrairement à eux, nous ne prescrivons pas de médicaments. Ils pensent à leurs chiffres d’affaires quand tout sera rentré dans l’ordre. »

Ces infirmières se heurtent en premier au scandale de la pénurie des masques.

« La semaine dernière, nous nous sommes partagés quinze masques avec les deux autres infirmières de notre cabinet. Qu’est-ce qu’ils croient ? Que nous sommes immunisées ? Moi, quand je rentre chez moi tous les soirs, je me déshabille dans le jardin et je jette tous mes affaires dans un sac par peur de contaminer ma famille. »

Pierre Desproges avait inventé les « Chroniques de la haine ordinaire ». Je trouve cette expression appropriée pour les descriptions qui suivent :

« L’attitude des gens à notre égard a elle aussi beaucoup changé.
J’en viens même à douter qu’il s’agisse des mêmes patients que j’avais trois mois plus tôt. On ramasse toutes les peurs, on devient leur femme à tout faire. Un jour, un médecin m’a demandé de me rendre en urgence chez une personne. En vérité, celle-ci voulait seulement des informations sur le coronavirus.
Certains patients voulaient que j’aille leur acheter des bananes, le journal ou bien faire leurs courses.

Et quand je leur demande pourquoi ils n’appellent pas leurs enfants pour le faire, ils me répondent : « Mais vous plaisantez, je ne veux pas qu’ils prennent le risque de se faire contaminer ». »

 Un jour, je suis intervenue pour un soin chez un patient. J’ai été reçu dans le couloir. Sa femme ne voulait pas que j’entre dans le reste de l’appartement. Elle avait même disposé des feuilles de papier journal partout sur le sol. Elle m’a interdit de toucher à quoi que ce soit, me suivait avec une lingette. Je comprends les peurs, mais là j’ai vraiment eu l’impression d’être une pestiférée.
Des collègues ont retrouvé des mots sur leur voiture : des voisins qui leur demandaient de déménager, leur disaient qu’ils portaient la poisse.
Moralement, c’est très dur. Je suis déçue par les gens.
Chaque soir, je rentre chez moi en pleurs. On dit que les crises révèlent certains caractères. Eh bien ce que je vois m’attriste au plus haut point. »

C’est aussi cela la crise que nous vivons en ce moment.

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2 réflexions au sujet de « Vendredi 3 avril 2020 »

  • 3 avril 2020 à 8 h 32 min
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    Ces témoignages sont affligeants et il faut combattre ces situations mais attention de ne pas laisser croire que toute la société est dépravée, il n’y a aucune raison que le covid 19 ait un effet bénéfique sur l’imbécilité crasse qui existe dans une partie de la population heureusement minoritaire

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  • 3 avril 2020 à 18 h 35 min
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    Heureux optimiste qui pense que la bêtise qui s’etalle est très minoritaires. Moi aussi je voudrais le croire. Malheureusement les cons ne sont pas tous confinés.sur FB ce jour quelqu’un s’étonne de la présence de plusieurs jeunes et moins jeunes place des tapis. Par beau temps les jeunes font du skate sur la fontaine, sans considération pour la distanciation, et de plus âgés taillent la bavette au soleil,sans beaucoup de distance entre eux. Cette personne a reçu une volée de bois vert, (C’est une litote )traitee de collabo style occupation.on parle de police soviétique, fasciste, etc….
    Alors qu’il s’agissait juste de parler du respect des règles de sauvegarde que nous devons respecter. C’est pourquoi je crains que le contingent des imbéciles soit plus important que nous le voudrions..

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