Mardi 3 octobre 2017

«Il n’y a que deux espèces qui font de la politique : les hommes et les chimpanzés !»
Pascal Picq

Il y a quelques temps déjà, le paléoanthropologue Pascal Picq avait été l’invité de la matinale de France Inter du 5 mai 2017. Quand je l’ai entendu je me suis tout suite dit qu’il y avait là vraiment matière à un mot du jour parce qu’on apprend beaucoup de choses, parce que c’est drôle et parce que nous nous comprenons mieux quand Pascal Picq décrit nos cousins les singes et regarde les hommes à travers ce qu’il a appris des singes.

Il avait été invité, entre les deux tours des présidentielles, pour présenter le livre qu’il venait de publier : « Qui va prendre le pouvoir ?: Les Grands singes, les hommes politiques ou les robots ? »

Le journaliste le présentait comme un scientifique qui jette des ponts entre les singes et les hommes et particulièrement les hommes politiques. Le paléoanthropologue portait alors un regard scientifique sur la campagne présidentielle et sur le monde politique en général. Il expliquait simplement : « Quand on a pas accès aux discours, avec de réels éléments de discussions, ce qui va dominer, c’est le comportement ».

« Il faut regarder les comportements.
[…] On a beaucoup de discussion sur l’absence de débat sur les programmes.[…] A partir du moment on n’a pas vraiment accès aux discours, aux enjeux [et aux idées], ce qui va dominer c’est le comportement. On connait beaucoup de choses sur les mimiques, les attitudes etc. »

Il décrypte le débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, en insistant sur les postures plutôt que sur les discours.

« Ce sont des éléments que l’on partage avec les grands singes.
Il n’y a vraiment que deux espèces qui font de la politique : les hommes et les chimpanzés.
[…] Si un chimpanzé était devant notre télévision et [regardait] le débat il ne comprendrait pas le discours, c’est une évidence, mais il comprendrait ces comportements.
C’est pourquoi, on est capable de détecter chez différentes espèces, notamment chez les chimpanzés différents types de leadership, comme chez nous. Il y a des dominants, des tyrans, des magnanimes, ceux qui sont prêts aux compromis. Et ces personnalités ne s’expriment pas par des programmes et des idées mais par leurs attitudes. »

Il parle dans son livre, à propos des singes, des luttes pour la conquête du pouvoir, des intrigues, de la violence, la place accordée aux femelles, les privilèges. Les chimpanzés acceptent que les puissants aient des privilèges.

« « Dans toutes les sociétés humaines, c’est le cas, cela a été parfaitement décrit par Claude Levi-Strauss, mais c’est vrai aussi dans la société des chimpanzés. Quand on accepte un leader, on consent à ce qu’il ait quelques privilèges.
Mais tant que le leader remplit le contrat, qu’il agit pour le bien du groupe, qu’il a un comportement suffisamment magnanime. A partir du moment où ce contrat tacite n’est pas respecté, on va [remettre en question son leadership].

[Chez les chimpanzés], il y a des coups d’état, des changements de coalition, ce qui est plus doux. On a des exemples que je décris. […] Je ne cherche pas à savoir quels sont les singes qui sont les proches de l’homme. Ce qui m’intéresse ce sont les comportements généraux qui nous unissent par nos évolutions communes. J’évoque un chimpanzé qui s’appelait « Mac » qui avait été décrit par la grande Jane Goodall. Il y avait deux groupes de chimpanzés dominants dont ne faisait pas partie Mac. Il y avait des alternances constantes parce que les deux groupes étaient très équilibrés. Il est très futé et il s’aperçoit que lorsque les chercheurs font le plein de leurs voitures avec des jerry cans en acier, cela fait du bruit et les chimpanzés ont peur. Et qu’a fait Mac, qui n’est pas soutenu par un clan ni d’un côté ni de l’autre ? Il arrive avec deux bidons dans le dos [qu’il a dérobé] et il menace les leaders de chaque camp. […] et d’un seul coup il prend les deux bidons et s’en sert comme de monstrueuses castagnettes et cela fait peur à tout le monde. Et c’est comme ça qu’il va prendre le pouvoir sur les deux clans. En plus il va rester longtemps parce que cela arrange tout le monde, il va arriver à faire l’objet d’un compromis intéressant qui réconcilie les deux groupes. […]
Bon cherchez l’allusion où vous voulez, mais vous voyez c’est assez universel. »

Petit aparté, j’avais évoqué cette grande scientifique de 83 ans qui a tant appris aux humains sur le comportement de leurs cousins chimpanzés. J’avais partagé une vidéo <un geste de tendresse> dans laquelle on voyait un chimpanzé « Wounda » qui avait été recueilli dans un état proche de la mort et avait été longuement soigné dans l’institut de Jane Goodal, être réintroduit dans la forêt. On voit alors Wounda revenir vers Jane Goodal ; pour l’enlacer longuement avant de repartir vers son milieu naturel. Geste d’une empathie extraordinaire où la barrière qui sépare l’homme de son cousin se réduit à presque rien.

Pour revenir au dialogue entre Patrick Cohen qui était encore sur France Inter à ce moment et Pascal Picq, le journaliste a résumé ce passage par cette formule : « Les primaires observés à travers les primates ». Puis il a interrogé le primatologue sur la campagne présidentielle qui en était au lendemain du débat d’entre deux tours, au moment de l’entretien :

Les grands enjeux n’ont pas été discutés. Je ne suis pas anthropologue, je vous l’accorde, mais je m’intéresse à notre société je fais partie de l’observatoire de l’ubérisation de la société. Et à part Benoit Hamon qui a abordé le sujet de l’allocation universelle autour du travail et de la taxation des robots, aujourd’hui le monde est en train de changer à l’échelle mondiale avec les vagues du numérique et ces questions n’ont pas du tout été abordées. Cela m’a complétement consterné. L’erreur de Monsieur Hamon c’est d’avoir présenté l’allocation universelle et la taxation des robots comme une assistance. […] Cette question de l’allocation universelle devra être abordée dans le cadre d’un nouveau projet de société que nous attendons à l’échelle mondiale. […] Ce monde a changé en 5 ans, le temps d’un quinquennat avec quasiment les mêmes candidats d’un quinquennat à l’autre, à part M Hamon et M Macron, avec quasiment les mêmes idées.

Je vais être un peu brutal, on essaie de répondre aux enjeux de société, du travail, de la redistribution des richesses avec des éléments de réponse à gauche et à droite qui datent […] de la deuxième révolution industrielle, alors que nous sommes déjà dans la quatrième avec des bouleversements qui sont connus dans le monde du travail, de la répartition des richesses. »

Et quand Patrick Cohen lui demande sa vision du monde de demain de la postmodernité, le paléoanthropologue répond :

« Aujourd’hui tous les éléments de nos vies ont été largement modifiés. Et d’ailleurs ne nous ont pas été imposés. Quand vous utilisez votre smartphone et que vous décidez d’utiliser telle ou telle application pour vous déplacer, pour consommer, pour vous loger, pour chercher des informations, vous modifiez l’espace digital darwinien […] vous modifiez le marché ou l’activité [des domaines dans lesquels vous intervenez de manière numérique]. C’est un système parfaitement darwinien […].

[…] Comment cela fonctionne t’il ?

Les gens qui ont créé twitter, c’était des garçons et des filles qui ont fait un hackaton […] et qui se sont dit : j’aimerais avoir une messagerie courte pour échanger avec mes amis. Premièrement ça ne coute rien, ce que Jeremy Rifkin appelle le cout marginal zéro, on se réunit on est ensemble, on s’amuse bien. Si l’application n’est pas sélectionnée ce n’est pas grave on a passé un bon moment ensemble. Mais si elle est sélectionnée, ça peut complétement changer le monde.

Vous pensez que ces dizaines de jeunes gens allaient imaginer les printemps arabes, les logiciels big data qui jugent de nos émotions sur la valeur de la city et de la spéculation […] qui allait imaginer que ce serait la première campagne d’Obama où grâce à des algorithmes on allait pouvoir déterminer les personnes indécises pour pouvoir les appeler et les convaincre de voter Obama, ou les fake news [Et j’ajouterai pour ma part que personne n’imaginait que le Président des Etats Unis, à savoir Trump, utiliserait ce petit outil pour informer le monde de ses décisions politiques ou de sa stratégie diplomatique].. Personne ne pouvait imaginer cela.

C’est pour cela qu’on est dans un changement de société énorme où des personnes partout dans le monde sont capables de créer des applications qui ne coutent pas grand-chose et qui peuvent modifier des marchés entiers et même menacer la stabilité économique des très grands groupes. Et ça nous en sommes les acteurs. Je ne suis pas en train de culpabiliser, de moraliser. Mais il faut bien être conscient que les enjeux de pouvoir sur l’économie, la politique, la culture et même les informations sont aux mains de tout le monde et deviennent imprévisibles. »


Et en conclusion, par son expérience avec les singes capucins et à par la conceptualisation du jeu de l’ultimatum, il explique le Brexit. [C’est à partir de 7 :30] dans cette partie de l’émission .

J’essaie de résumer. Le jeu de l’ultimatum est utilisé en économie expérimentale et se joue de la manière suivante : une première personne (joueur A) se voit attribuer une certaine somme d’argent, et doit décider quelle part elle garde pour elle et quelle part elle attribue à une seconde personne (joueur B). La seconde personne doit alors décider si elle accepte ou refuse l’offre. Si elle la refuse, aucun des deux individus ne reçoit d’argent.

Pascal Picq explique que les singes capucins comprennent très vite et entrent dans la logique de la coopération profitable au plus grand nombre.

Les technocrates qui trouvent stupide la réaction des britanniques qui ont voté pour le Brexit, parce qu’ils ont profité de fonds structurels et qu’ils vont perdre au Brexit, ne comprennent pas ce que comprennent les singes capucins. Selon Pascal Picq ceux qui ont voté pour le Brexit ont le sentiment, exact, que dans la répartition du jeu de l’ultimatum où il fallait partager 100, ils ont peut être reçu 20, mais d’autres ont reçu 80. C’est la réalité des classes moyennes dont les revenus stagnent alors que ceux des plus riches explosent. Dans ces conditions ils préfèrent jouer la politique du pire, personne n’y trouve avantage.

C’est encore un problème de collaboration intelligente que les singes capucins pourraient enseigner aux hommes du capitalisme contemporain. Pascal Picq développait aussi ces idées dans un article ancien du journal des Echos : «Il faut accorder plus de place à la collaboration et au partage»

Car indiscutablement nous avons des comportements qui peuvent être expliqués par l’observation des singes. Et Pascal Picq de rappeler cette expérience déjà citée dans le mot du jour consacré à Franz de Waal, où des singes font la grève parce qu’ils estiment être victime d’une injustice : on leur donne des concombres, alors qu’à leurs voisins qui font le même travail on donne des raisins ou des bananes, récompenses plus valorisées par les singes.

Réflexion donc très féconde de ce paléoanthropologue qui dans une autre émission explique la différence entre Emmanuel Macron et Manuel Valls par ce langage simiesque : « Manuel Valls ne sait pas bien épouiller ». Les singes manifestent l’empathie et la volonté de collaboration en épouillant le congénère qu’il rencontre. Les hommes n’épouillent pas, mais il y a ceux qui comme Jacques Chirac et aussi, reconnaissons le, Emmanuel Macron savent aller vers les autres avec empathie ou au moins l’apparence qu’ils s’intéressent aux autres (ils savent épouiller) et ceux qui comme Manuel Valls se fâchent avec quasi tout le monde et passent leur temps à engueuler les autres.

Ce mot du jour est déjà fort long et je n’ai pas encore parlé des robots évoqués par Pascal Picq, mais vous trouverez cet article du monde où il s’exprime à ce propos : « La parade face à la robotisation est la créativité »


Et pour finir, parce qu’Annie m’a dit après le mot du jour d’hier, tu ne peux pas parler que de choses horribles, il faut aussi parler de belles choses, d’empathie, de ce qui nous pousse à la bienveillance.

Pour ce faire j’en reviens aux singes et au geste de tendresse de Wounda que vous retrouverez derrière ce lien.

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Une réflexion au sujet de « Mardi 3 octobre 2017 »

  • 3 octobre 2017 à 14 h 34 min
    Permalink

    On sait qu’un entretien de sélection se joue comme une pièce de théâtre. Le ton, la voix et les gestes importent autant, voire plus, que les mots.
    Il a en effet été démontré scientifiquement que les sens des mots prononcés ne représentent qu’une petite partie de ce qui est perçu et qu’on retient beaucoup mieux les images et la gestuelle que les mots.
    On peut le regretter, surtout pour un amateur du « mot du jour », mais c’est un fait.
    il faudra s’en souvenir lorsque les singes auront repris le pouvoir.

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