Et voici donc que des gens a priori « normaux » viennent à créer une émeute et se bagarrent dans des intermarchés, parce que ces derniers ont décidé de faire une <promotion sur le Nutella>.
La promotion était importante, il s’agissait d’une réduction de 70 %, ce qui mettait le pot de 950 grammes à 1,41 euro au lieu de 4,70 euros.
Certains affirment que parmi eux il y avait des professionnels de la restauration qui voulaient acquérir cette pâte à peu de frais.
Immédiatement les réseaux sociaux se sont déchainés pour se moquer de « ces abrutis » ou « cassoc » qui se battaient pour du Nutella.
Assez vite Jean-Luc Mélenchon s’est insurgé contre ces réactions de moqueries contre « des personnes très modestes » qui voulaient profiter d’une bonne affaire. « Quand l’émeute montre la misère, l’idiot regarde le #Nutella », a-t-il dit, dénonçant ainsi la misère dans laquelle vivaient ces personnes.
Une employée d’un Intermarché de ma ville natale, Forbach, a décrit à l’AFP :
« Les gens se sont rués dessus, ils ont tout bousculé, ils en ont cassé. C’était l’orgie ! »
Ceci me fait aussi penser à <La fermeture du Virgin Megastore de Lyon> en 2013 qui avait conduit à des soldes énormes et des comportements indignes de la part de certains acheteurs. Des vendeurs qui allaient perdre leur travail étaient confrontés à des personnes ayant perdu tout savoir vivre dans leur recherche de produits à prix bas.
Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert rejoint l’explication de Jean-Luc Melenchon. Il a déclaré dimanche 28 janvier sur BFMTV :
« Ce sont des gens qui vivent de peu, ce sont des gens qui se ruent sur une pâte à tartiner qu’ils ne peuvent pas offrir à leurs enfants »
Le Parisien ne dit pas autre chose
«Samedi, à l’Intermarché Beauvais-nord (Oise), sous un ciel sans couleur, le calme est revenu. Mais les scènes de cohue, provoquées par une promotion à -70% sur le Nutella, font honte aux habitants. Chacun s’interroge : comment un pot de 950 grammes à 4,70€, soldé 1,41€ du 25 au 27 janvier, a pu créer une telle bousculade au sein des rayons ? « Bêtise », « cinglés », « sauvages ». Les insultes pleuvent. Mais, très vite, certains chuchotent un autre mot « précarité ». Comme si cette guerre pour 3€ n’était que la photographie d’une détresse sociale, que l’on préfère ignorer.»
Pierre Rondeau, Professeur d’économie développe une analyse plus nuancée : ce n’est pas la misère qui pousse à de tels comportements, mais la peur d’y entrer . Son article a été publié par Slate :
« Ce ne sont donc pas les inégalités ou la grande précarité qui expliquent les heurts violents, la destruction de la solidarité et la fragilisation de la cohésion sociale, puisque ces causes semblent disparaître depuis une trentaine d’années. Le problème est plus complexe: c’est le sentiment d’insécurité économique, la peur du déclassement et la croissance de la méfiance collective qui semblent expliquer ces comportements.
Nous en venons à nous jeter sur les promotions pas forcément parce que nous sommes pauvres mais parce que nous avons le sentiment que cela pourrait nous arriver. Le sociologue Eric Maurin expliquait déjà ce phénomène dans son livre « La peur du déclassement », en 2009:
[…] Et certains en viennent alors à se battre pour du Nutella … »
Un autre angle d’analyse rapporte le propos d’un employé d’un Intermarché à Revigny-sur-Ornain (Meuse) :
« A – 70%, c’est un pousse-au-crime et on casse l’échelle de valeur. Le client se dit que si le pot de Nutella peut être vendu à – 70%, c’est que le reste de l’année, on marge énormément, alors qu’il est vendu à marge zéro toute l’année… ».
D’ailleurs l’administration et <Le journal Libération posent la question si le rabais de 70% était légal> :
En droit français, la vente à perte (c’est-à-dire le fait de vendre un produit à un prix moins cher que celui auquel on l’a obtenu) est interdite Soit Intermarché achète son Nutella pour un prix inférieur ou égal à 1,41 euro… ce qui implique que le supermarché se fait une belle marge de 233% en vendant les pots de 950 g à 4,70 euros en temps normal. Soit Intermarché achète son Nutella à Ferrero pour un prix supérieur à 1,41 euro et il aurait alors pratiqué de la vente à perte avec sa promotion
L’article cependant nuance, il existe des exceptions qui autorisent la vente à perte. Dans le cas qui nous occupe, ce serait possible si cette vente correspond à des soldes, ce qui est permis pour des produits alimentaires
Un autre point de vue s’exprime par « des dentistes et des médecins » qui rappellent à juste titre que désormais les autorités publiques sont convaincus de la nocivité de la trop grande consommation de sucre et s’étonnent qu’on tolère de tels agissements :
« De quoi aurait l’air la campagne anti-tabac actuellement menée si demain des bureaux de tabac pouvaient faire une réduction de 70% sur un simple coup de tête? », s’interroge l’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD) dans un communiqué.
Les futurs dentistes ou chirurgiens interpellent le groupe Intermarché, à l’origine de cette opération, ainsi que les autorités, pour « entamer une réflexion sur la taxation des produits sucrés », après l’instauration d’une taxe soda sous la présidence de Nicolas Sarkozy »
Les goûts et couleurs ne se discutent pas. Ma fille Natacha affirme que le Nutella a très bon goût.
Peut-être, mais ce n’est certainement pas bon pour la santé
Cet article nous apprend que la composition du Nutella diffère d’un pays à l’autre, Ferrero tenant compte des préférences exprimées en fonction des régions et des législations en vigueur concernant le chocolat. En France, le Nutella est d’abord composé de sucres (>50 %) puis d’huile végétale, c’est-à-dire d’huile de palme (17 %). Viennent ensuite les noisettes (13 %), le cacao maigre (7,4 %), le lait écrémé en poudre (6,6 %), puis le lactosérum en poudre.
Enfin, on retrouve dans le Nutella des émulsifiants : des lécithines de soja et de la vanilline.
Bref, surtout du sucre, beaucoup de gras, un peu de noisettes et encore moins de cacao.
J’ai trouvé cette illustration qui essaye de représenter la composition du Nutella de manière encore plus explicite.
Enfin plus récemment il est apparu qu’en outre le Nutella contenait du phtalate DEHP qui est une substance chimique qui permet d’augmenter la flexibilité des matières plastiques. Les phtalates sont des perturbateurs hormonaux qui provoquent des dérèglements induisant notamment la stérilité chez l’homme. Il est estimé que, dans les pays industrialisés, un homme produit deux fois moins de spermatozoïdes que n’en produisait son grand père au même âge. Les phtalates sont également soupçonnés d’être cancérigènes. En 2008, après avoir fait une étude sur le développement de testicules in vitro, l’INSERM a affirmé que les phtalates étaient « délétères pour la mise en place du potentiel reproducteur masculin dans l’espèce humaine ».
La Croix nous apprend qu’avec 26% de la consommation mondiale La France est championne du monde de la consommation de Nutella>. Je ne suis pas certain que nous devons nous enorgueillir de ce titre.
Pour ma part je crois, même si les arguments développés ci-avant peuvent présenter quelques intérêts, le problème que cela pose est avant tout notre enfermement dans le consumérisme.
Le consumérisme est très présent dans les mille premiers mots du jour.
Et le mot du jour du 4 avril 2017 s’efforçait d’en faire une synthèse. Mais le mot qui est allé le plus loin dans la dénonciation de cette pulsion incontrôlée est certainement la phrase du philosophe allemande Peter Sloterdijke :
«La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »
Nul besoin de nous enchainer pour que nous perdions notre liberté. Il suffit que la publicité et le comportement des autres nous fassent croire que c’est par notre consommation que nous sommes reconnus par nos pairs. Il y a même des messages subliminaux qui veulent nous faire croire que la consommation rend heureux.
Le mot du jour du 14 avril 2014 citait Annie Arnaux : «Je suis de plus en plus sûr que la docilité des consommateurs est sans limite.». Car bien entendu, le Nutella n’est pas indispensable à notre alimentation. Il n’est même pas bon pour la santé. Ce n’est donc pas un besoin vital qui pousse les gens à vouloir l’acheter. Ce sont d’autres mécanismes qui sont à l’œuvre : l’image du plaisir, le prestige de la marque, une publicité alléchante, une once de luxe par rapport à d’autres pâtes à tartiner moins prestigieuses (et probablement pas meilleurs pour la santé) et notre formidable addiction au sucre que des décennies de pratiques des professionnels de l’alimentaire ont su développer.
Au fait, Intermarché vient de récidiver avec des promotions sur les couches culottes pampers qui semblent aussi avoir déclenché des désordres.
<1009>
le point de vue des dentistes ! c’est à dire ceux là même qui pratiquent des tarifs exorbitants interdisant l’accès aux soins au plus gd nombre…..ouais, ouais, je crois que je vais me contenter de la réaction de JLM
Ce qui est drole c’est que au même moment, le Monde nous explique que « le plaisir peut être l’ennemi du bonheur » et que les addictions nous nuisent et nous rendent dependant et malheureux..
L’addiction ,on commence a le savoir, n’est pas réservée qu’aux drogués,on peut tous être addict a quelque chose. Ça va de la routine a l’ecran que l’on consulte vingt fois par jour, sans être plus heureux pour autant. On peut donc aussi se trouver dependant du nutella au point de se battre pour l’avoir a vil prix. C’est moins explicable pour les couches culottes.(encore que)
La seule explication est encore celle du formatage a la consommation et a la recherche acharnée du prix le plus bas possible, sans egards pour la logique ni pour le bon sens le plus elementaire.
Quand un producteur de fruit explique que le kilo de cerise lui revient a » tant » combien de consommateur comprennent ce qu’il veut dire? Les cerises ça poussent tout seul sur l’arbre, et les cueillir c’est plutot agreable , non ? Et au supermarché on les paie toujours bien trop cher.
Au risque d’apparaitre terre à terre, il me semble qu’il faut reprendre cette information à la lumière des filtres si bien décrits dans un précédent mot du jour: quand JL Mélenchon affirme « quand l’émeute montre la misère », quand on invoque un univers à la Zola « sur une pâte à tartiner qu’ils ne peuvent pas offrir à leurs enfants », j’ai l’impression que certains ont toujours besoins de faire appel aux grandes idées pour servir leur cause et qu’on oublie deux réactions très simples: il y a beaucoup de français qui aiment le Nutella (et Alain sait à quoi je fais référence) comme Natacha, parce que c’est bon (même si c’est plein de gras et de sucre) et sans que cela n’attire que les « pauvres » (terme bien condescendant), 3,29€ d’économie par pot x 6 pots = 19,74€ pour un produit qui se garde, c’est quand même une réelle économie rapportée au niveau du SMIC et du salaire moyen en France. Et des petites économies mises bout à bout permettent à beaucoup de « mieux vivre » et d’avoir accès à d’autres biens sans que cela se traduise par un enfermement dans le consumérisme.
Cela engendre aussi des réactions assez primitives… toujours très prisées des médias et de certains politiques qui en font leur fonds de commerce.
Il y a peut-être une autre explication.
Professionnellement, j’ai eu à connaître et même pratiquer occasionnellement des ventes aux enchères immobilières. J’ai été très étonné de voir le curieux effet d’entraînement qui se développe parfois au point que certaines personnes se battent jusqu’à l’irrationnel en faisant monter les prix très au delà de la valeur réelle du bien pour avoir le dernier mot et être déclaré attributaire.
Le contexte, l’effet de rareté, l’idée qu’on peut faire une bonne affaire leur a fait perdre la notion du raisonnable et de la réalité