Nous sommes donc à nouveau confinés.
Et que peut-on, le lendemain, raconter ?
Nous sommes dans notre gîte à songer….
Comme le lièvre dont La Fontaine parlait
Un Lièvre en son gîte songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
« Les gens de naturel peureux
Sont, disait-il, bien malheureux.
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite ;
Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle ?
Je crois même qu’en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi. »
Ainsi raisonnait notre Lièvre,
Et cependant faisait le guet.
Il était douteux, inquiet :
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le mélancolique animal,
En rêvant à cette matière,
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
Pour s’enfuir devers sa tanière.
Il s’en alla passer sur le bord d’un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
« Oh! dit-il, j’en fais faire autant
Qu’on m’en fait faire ! Ma présence
Effraie aussi les gens ! je mets l’alarme au camp !
Et d’où me vient cette vaillance ?
Comment ? Des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un foudre de guerre !
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. »
Le Lièvre et les Grenouilles
Jean de La Fontaine
Dans une autre fable, La Fontaine parlait de confinement.
Certain Ours montagnard, ours à demi léché,
Confiné par le Sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon, vivait seul et caché.
Il fût devenu fou : la raison d’ordinaire
N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés.
Il est bon de parler, et meilleur de se taire ;
Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés.
Nul animal n’avait affaire
Dans les lieux que l’Ours habitait ;
Si bien que tout Ours qu’il était,
Il vint à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain Vieillard
S’ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,
Il l’était de Pomone encore.
Ces deux emplois sont beaux ; mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu, si ce n’est dans mon livre :
De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets, notre homme, un beau matin,
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
L’Ours, porté d’un même dessein,
Venait de quitter sa montagne.
Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.
L’Homme eut peur : mais comment esquiver ; et que faire ?
Se tirer en Gascon d’une semblable affaire
Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur.
L’Ours, très mauvais complimenteur,
Lui dit : « Viens-t’en me voir. » L’autre reprit : « Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d’honneur que d’y prendre un champêtre repas,
J’ai des fruits, j’ai du lait : ce n’est peut-être pas
De nos seigneurs les Ours le manger ordinaire ;
Mais j’offre ce que j’ai. » L’Ours l’accepte et d’aller.
Les voilà bons amis avant que d’arriver ;
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble :
Et bien qu’on soit, à ce qu’il semble,
Beaucoup mieux seul qu’avec des sots,
Comme l’Ours en un jour ne disait pas deux mots,
L’Homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L’Ours allait à la chasse, apportait du gibier ;
Faisait son principal métier
D’être bon émoucheur ; écartait du visage
De son ami dormant ce parasite ailé,
Que nous avons mouche appelé.
Un jour que le Vieillard dormait d’un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l’Ours au désespoir ; il eut beau la chasser.
« Je t’attraperai bien, dit-il, et voici comme. »
Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec raideur,
Casse la tête à l’Homme en écrasant la mouche ;
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Raide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi.
L’ours et l’amateur des jardins
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Pendant le confinement de la première vague Fabrice Luchini avait enregistré et diffusé sur Instagram des fables de la Fontaines.
Un internaute a compilé ces enregistrements dans une vidéo que vous trouverez <ICI>
La première fable de cette série est l’ours et l’amateur des jardins.
Il cite le début du lièvre et des grenouilles vers la 16ème minute.
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