Mercredi 7 février 2018

« Réflexions sur la démocratie libérale »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Quand je suis né en 1958 : L’Espagne, le Portugal, la Grèce n’étaient pas des démocraties.

La Russie soviétique, bien qu’en pleine déstalinisation 2 ans après le rapport Khrouchtchev, restait un État totalitaire sans liberté, où les camps du goulag continuaient à être très actifs et ou des opposants pouvaient être enfermés dans des asiles psychiatriques dans lesquels ils étaient soumis à des tortures psychologiques. Car dans cet État, il n’y avait pas d’opposants mais uniquement des dissidents qui en contestant le régime pouvaient être considérés comme des fous.

Et que dire de la Chine ?

En 1958, Mao allait lancer ce qu’il a appelé le « grand bond en avant », un programme économique désastreux qui allait provoquer environ 45 millions de morts et ouvrir une crise de régime. Et c’est ainsi qu’allant toujours plus loin dans la terreur et la tyrannie Mao allait lancer la révolution culturelle en 1966.

Dire que la Chine n’est pas une démocratie constitue une litote.

Un des premiers mots du jour avait été consacré au premier article surréaliste de la constitution de la Chine.

« La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l’alliance entre ouvriers et paysans. Le système socialiste est le système fondamental de la République populaire de Chine. Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste. »

Mais mis à part la Chine, aujourd’hui tous ces pays sont devenus des démocraties après plusieurs étapes jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991.

C’est alors que le politologue américain Francis Fukuyama publie, en 1992, « The End of History and the Last Man », donc « La Fin de l’histoire et le Dernier Homme ». Dans cet essai, il affirme que la fin de la Guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme (concept de démocratie libérale) sur les autres idéologies politiques. Pour lui, si des troubles pouvaient surgir de la dislocation du bloc de l’Est, la suprématie absolue et définitive de l’idéal de la démocratie libérale était certaine. Il était donc certain que la démocratie libérale s’imposerait effectivement dans tous les pays du monde.

Et la Chine ?

La Chine s’étant lancé dans l’économie de marché, il était inéluctable qu’elle évolue par étape vers la démocratie libérale.

En 2018, 26 ans après l’essai de Francis Fukuyama où en sommes-nous ?:

1° La chine n’a pas fait le moindre pas vers la démocratie libérale. Son système économique florissant, de plus en plus innovant, c’est en Chine qu’a été réussi le premier clonage de primate, évoqué lors d’un mot du jour récent, semble mener de manière inéluctable l’Empire du milieu vers la place de premier du classement économique du PIB mais sans passer par la case démocratie libérale.

Bien au contraire, j’ai évoqué à deux reprises ce système que le gouvernement appelle « Le Crédit social » et qui constitue un système national de réputation des citoyens. Chaque citoyen se voit attribuer une note, dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur statut économique et social.. Le système repose sur un outil de surveillance de masse et utilise les technologies d’analyse du big data. Il est également utilisé pour noter les entreprises opérant sur le marché chinois. Ce que cela dit c’est que la République Populaire de Chine, prend exactement le sens inverse de la démocratie libérale et réalise pleinement le cauchemar de Big brother imaginé par George Orwell.

Un certain nombre d’États dont on pouvait penser qu’ils allaient évoluer vers la démocratie libérale ont inventé un nouveau concept : « la démocrature »

La démocrature est un néologisme qui associé le mot « démocratie » et le mot « dictature ». Il semble être apparu à travers le nom d’un ouvrage de Max Liniger-Goumaz, économiste et sociologue suisse: La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée   publié en 1992. Notons que la Chine avait déjà associé ces deux mots dans sa constitution cité en début d’article : « État socialiste de dictature démocratique »

Viktor Orban, le chef de l’exécutif hongrois, dont le régime est un exemple de démocrature avait utilisé un autre terme : « La démocratie illibérale ». <Un mot du jour de mars 2015> avait été consacré à ce concept et à Viktor Orban.

Cet article débutait ainsi :

« La Hongrie est depuis 4 ans gouvernée par un Premier ministre, Viktor Orbán, et son parti le Fidesz. […] Le 26 juillet 2014 lors de l’université d’été de son parti il a inventé ce concept d’un Etat« illibéral » qu’on peut aussi traduire par « non libéral ». Viktor Orban n’a pas dit ce qu’il entend par « Etat non libéral («illiberális») », mais il a cité ses modèles :  la Russie, la Chine et la Turquie. »

Ce mot est plus juste que démocrature, il dit clairement que ce régime entend être démocrate, c’est-à-dire continuer à convoquer des élections pour que le Peuple désigne ou semble désigner ses gouvernants.

Mais pour le reste, il n’est pas libéral. Ce qui signifie que les contre pouvoirs sont neutralisés (Cour constitutionnelle, Justice, Journaux) et que l’opposition ne trouve pas de place pour s’exprimer et n’est tout simplement pas respectée.

La démocratie libérale constitue un régime agréable à vivre, parce la liberté de penser est assurée, que des contre pouvoirs empêchent le pouvoir exécutif et l’administration d’agir sans contrôle contemporain et que l’opposition, c’est-à-dire les représentants de la minorité qui a été battue aux élections sont respectés et trouvent leur place dans l’organisation du pouvoir.

Les conséquences :

En Turquie <Reporter sans Frontière> explique ce que cela signifie :

« Avec 72 professionnels des médias actuellement emprisonnés, dont au moins 42 journalistes et 4 collaborateurs le sont en lien avec leur activité professionnelle, la Turquie est la plus grande prison du monde pour les journalistes. »

La Turquie qui était une démocratie dont on avait salué la dynamique et la remarquable évolution, notamment en permettant à l’opposition représentée par Erdogan d’arriver au pouvoir en 2003 contre le parti des kémalistes.

En Russie, Le régime de Poutine interdit de manière fallacieuse aux principaux opposants de se présenter aux élections contre lui, ne laissant que des faire-valoir se présenter. C’est aussi en Russie que des journalistes faisant trop d’investigations sont assassinés. Ainsi de Anna Politkovskaïa auquel j’ai consacré un mot du jour : « Qu’ai-je fait ?…J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.»

Poutine, Erdogan, Orban sont rejoints maintenant par le gouvernement polonais qui prend le même chemin.

L’économie pour la Chine, l’ordre pour les autres constituent en interne un ferment d’adhésion fort et même dans certaines fractions de nos démocraties qui restent libérales quelque chose comme une envie de régime fort…

Et même nos gouvernements, notamment pour « lutter contre le terrorisme » commence à attaquer la liberté de penser et à mettre des « coins » dans la séparation des pouvoirs.

C’est ce qui a fait dire à François Sureau devant le Conseil Constitutionnel

« La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique »

C’est très inquiétant.

Les peuples de l’Union européenne semblent toujours en démocratie libérale, mais une démocratie dévitalisée

Quand j’évoque l’Union européenne, le paragraphe précédent limite tout de suite ce propos pour en écarter les régimes hongrois et polonais et même tchèques qui prennent aussi une voie problématique.

Nous sommes face à un dilemme dans l’économie de la mondialisation, chacun des États européens ne pèsent plus grand-chose, seule l’Union européenne peut jouer un rôle déterminant devant la puissance des Etats-Unis, de la Chine et des GAFA.

Mais l’Union européenne n’est pas une démocratie.

C’est Philippe Séguin dans son discours du 5 mai 1992 sur la ratification du traité de Maastricht qui l’a dit de la manière la plus tranchée :

« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »

Nous votons dans la circonscription nationale mais les décisions structurantes ont été prises auparavant non par « L’Europe » mais par les exécutifs nationaux dans le cadre de négociation européenne, et ont été figés dans des traités.

Dès lors, le vote national ne peut plus guère avoir de conséquences et la population semblent se résoudre qu’une même politique économique se poursuivent malgré les alternances.

Quelquefois, les technocrates européens se trahissent et dévoilent cette réalité :

  • «Ne vous inquiétez pas, en Europe nous avons le système qui permet de ne pas tenir compte des élections.» a dit un fonctionnaire européen à Raphael Glucksmann <mot du jour du 25 mars 2015>
  • « Doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électorales ? » avait questionné Manuel Barroso et dans son esprit la manière de poser la question manifestement conduisait vers une réponse négative. Notre politique économique ne doit pas tenir compte des élections <mot du jour du 5 mars 2013>
  • «Je voudrais également savoir comment la France prévoit de se conformer à ses obligations de politique budgétaire en 2015, conformément au pacte de stabilité et de croissance. » a exigé Jyrki Katainen, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires du gouvernement désigné suite à des élections en France <mot du jour du 27 octobre 2014 >

Croire que cette situation n’abime pas la démocratie libérale me semble particulièrement naïf.

Les conséquences sont simples : une augmentation de l’abstention et une montée des partis extrémistes.

Et nous arrivons à la quatrième menace contre la démocratie libérale qui devait triompher selon Fukuyama : les GAFA et les entreprises numériques.

Je vous renvoie vers tous ces mots du jour :

18 mai 2016 : « Une course à mort est engagée entre la technologie et la politique. » Peter Thiel un des fondateurs de Paypal, cité par Marc Dugain et Christophe Labbé dans leur livre « L’Homme nu »

10 mai 2016 « Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique, et l’affronter en tant que tel. » Evgeny Morozov

2 mars 2016 « Le pouvoir des GAFA c’est d’être la porte d’entrée du monde vers vous, « individu » et la porte d’entrée de l’individu sur le monde » Olivier Babeau

Et bien sur ce que Yuval Nopah Harari dit sur ce sujet : <Sapiens>

Et pour finir, cette analyse du sociologue Zygmunt Bauman :

3 mars 2016 : « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.».

Cette zone de confort qui nous interdit de plus en plus le débat, beaucoup n’écoutent plus que celles et ceux avec qui ils sont d’accord.

Les matins de France Culture sont allés à Chicago, un an après la victoire de Trump. Une femme politique américaine, adversaire de Trump, faisait ce constat :

« Nous n’avons plus rien de commun avec ce peuple qui vote Trump, nous ne nous parlons plus, nous ne nous écoutons plus, nous ne regardons pas les mêmes sources d’information, quand l’un parle l’autre croit qu’il s’agit de fake news »

Ma certitude que la démocratie libérale s’imposerait forcément sur la planète a beaucoup régressé.

Ma compréhension et ma connaissance des éléments qui mettent en danger la démocratie libérale ont progressé.

Mais mon souhait de continuer à vivre dans une démocratie libérale reste intact.

<1013>


Une réflexion au sujet de « Mercredi 7 février 2018 »

  • 7 février 2018 à 10 h 17 min
    Permalink

    Merci encore Alain
    Moi je me dis que les inégalités sociales qui se creusent encore et encore ( entre une classe sociale qui décide de tout au G20, G8 … et une qui galère et subit oui oui. ce n’est pas que caricatural) font le lit de tous les extrémismes. Impossible que la minorité accepte dans ce contexte la loi de la majorité. De plus en plus difficile en effet de parler avec les électeurs de Trump et eux avec des électeurs d’hilary même si le comble est que Trump ne sert pas leurs intérêts….
    Mimipinson

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *