Mercredi 8 Juillet 2015

Mercredi 8 Juillet 2015
« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »
Philippe Séguin
Discours du 5 mai 1992 de Philippe Séguin sur la ratification du traité de Maastricht
On nous dit que la démocratie l’a emporté en Grèce parce que les Grecs ont voté Non à l’Austérité. Très bien ! Cela étant on ne sait pas très bien à quoi ils ont dit Oui.
Daniel Cohn Bendit a proposé que Merkel fasse la même chose en Allemagne et demande si les allemands veulent continuer à aider la Grèce. Selon lui la réponse serait Non à 80%.
Peut-être exagère t’il sur le score, mais je ne pense pas qu’il se trompe sur le résultat. En tout cas, ce serait démocratique aussi. Si les allemands votent NON et les Grecs votent NON, comment on continue ?
C’est quoi la démocratie ?
Mon ami Fabien qui défend beaucoup la position grecque, opinion sur laquelle je ne le soutiens qu’à moitié m’a donné un conseil que j’approuve totalement, relire les discours de Philippe Seguin à l’occasion du traité de Maastricht.
Rappelons que c’est en 1992 que les français approuvèrent par référendum le traité de Maastricht. Les principales personnalités politiques françaises : Mitterrand, Rocard, Chirac, Balladur était pour le Oui. Un homme à Droite avait alors pris l’étendard du Non : Philippe Seguin. Il montra en cette occasion et en d’autres sa stature d’Homme d’Etat.
Hélas, sauf au moment de cette discussion sur le traité de Maastricht, il ne s’imposa jamais comme le leader de son Parti, il ne s’opposa pas à Chirac et ce ne fut pas lui qui porta les couleurs de la Droite après la retraite de Jacques Chirac. Il mourut d’ailleurs, le 7 janvier 2010, alors que le successeur de Jacques Chirac ne se trouvait qu’à mi-mandat.
Philippe Meyer eut cette description de cet homme de qualité : «Et chaque fois que vous vous rapprochez du rubicond et qu’on espère que vous allez enfin le franchir, vous sortez votre canne à pêche»
Mais le 5 mai 1992, Philippe Séguin, prononça un discours remarquable à l’Assemblée nationale française, dans lequel il mettait en garde contre les dangers d’une ratification du nouveau traité européen.
Sa relecture vaut le détour, Fabien a raison. A l’époque j’avais voté OUI, les arguments de Seguin surtout à l’aune de ce qui se passe aujourd’hui sont pourtant très forts.
Avec d’abord cette vérité : il y a démocratie quand il existe un sentiment suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !
Philippe Seguin disait il y a 23 ans entre autre :
«[…] Bref, quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.  […]
Mais jusqu’où est-il permis d’imposer au peuple, sous couvert de technicité, des choix politiques majeurs qui relèvent de lui et de lui seul ? Jusqu’où la dissimulation peut-elle être l’instrument d’une politique ?[…]
De Gaulle disait : « La démocratie pour moi se confond exactement avec la souveraineté nationale. » On ne saurait mieux souligner que pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité ! Et la nation c’est précisément ce par quoi ce sentiment existe. Or la nation cela ne s’invente ni ne se décrète pas plus que la souveraineté !
 […] Pour qu’il y ait une citoyenneté européenne, il faudrait qu’il y ait une nation européenne. Alors oui, il est possible d’enfermer les habitants des pays de la Communauté dans un corset de normes juridiques, de leur imposer des procédures, des règles, des interdits, de créer si on le veut de nouvelles catégories d’assujettis. Mais on ne peut créer par un traité une nouvelle citoyenneté. […] Mais qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes ! […]
On nous dit que la monnaie unique est la clé de l’emploi. On nous annonce triomphalement qu’elle créera des millions d’emplois nouveaux, jusqu’à cinq millions, selon M. Delors, trois ou quatre, selon le Président de la République. Mais que vaut ce genre de prédiction, alors que, depuis des années, le chômage augmente en même temps que s’accélère la construction de l’Europe technocratique ? Par quel miracle la monnaie unique pourrait-elle renverser cette tendance ? Oublierait-on que certaines simulations sur les effets de l’union monétaire sont particulièrement inquiétantes pour la France puisqu’elles font craindre encore plus de chômage dans les années à venir ? […]
Dès lors, le processus de l’union économique et monétaire mérite trois commentaires.
En premier lieu, il renouvelle le choix d’une politique qu’on pourrait qualifier de “monétarienne”, qui est synonyme de taux d’intérêt réels élevés, donc de frein à l’investissement et à l’emploi et d’austérité salariale. […]
Maastricht, c’est ensuite la suppression de toute politique alternative, puisque la création d’un système européen de banque centrale, indépendant des gouvernements mais sous influence du Mark, revient en quelque sorte à donner une valeur constitutionnelle à cette politique de change et à ses conséquences monétaires.
Quant à ceux qui voudraient croire qu’une politique budgétaire autonome demeurerait possible, je les renvoie au texte du traité, qui prévoit le respect de normes budgétaires tellement contraignantes qu’elles imposeront à un gouvernement confronté à une récession d’augmenter les taux d’imposition pour compenser la baisse des recettes fiscales et maintenir à tout prix le déficit budgétaire à moins de 3% du PIB.
Enfin, et je souhaite insister sur ce point, la normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse “convergence” des économies.[…]
Or, si l’on veut, comme l’affirme le traité, imposer une monnaie unique à tous les pays membres, un effort colossal devra être consenti pour réduire les écarts actuels, qui sont immenses, un effort colossal sans commune mesure avec ce que nous réclame présentement Jacques Delors pour doter ses fonds de cohésion.[…]
Dans tous les cas, la monnaie unique, c’est l’Europe à plusieurs vitesses : à trois vitesses si on la fait à six puisqu’il y aurait alors une Europe du Nord, une Europe du Sud et une Europe de l’Est. A deux vitesses si on la fait à douze puisqu’on continuerait à exclure les pays de l’Est. Et, dans tous les cas, la monnaie unique, c’est une nouvelle division entre les nantis que nous sommes et les autres, c’est-à-dire les pays de l’Europe centrale et orientale.
Il y a quelque chose de pourri dans un pays où le rentier est plus célébré que l’entrepreneur, où la détention du patrimoine est mieux récompensée que le service rendu à la collectivité.
Ce que cache la politique des comptes nationaux, ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond, c’est bien le renoncement à effectuer des choix politiques clairs dont les arbitrages budgétaires ne sont que la traduction. […]
Encore faut-il que, chez les hommes d’Etat, le visionnaire l’emporte encore un peu sur le gestionnaire, l’idéal sur le cynisme et la hauteur de vue sur l’étroitesse d’esprit. Car pour donner l’exemple aux autres, il convient d’être soi-même exemplaire. Il faut, pour que la France soit à la hauteur de sa mission, qu’elle soit, chez elle, fidèle à ses propres valeurs.
Et la France n’est pas la France quand elle n’est plus capable, comme aujourd’hui, de partager équitablement les profits entre le travail, le capital et la rente, quand elle conserve une fiscalité à la fois injuste et inefficace, quand elle se résigne à voir régresser la solidarité et la promotion sociale, quand elle laisse se déliter ce qu’autrefois on appelait fièrement le creuset français et qui était au cœur du projet républicain.»
Il y aurait tant de choses à souligner dans cet extrait que j’ai tiré du discours mais ce constat : «ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond» est d’une clairvoyance rare.
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