Vendredi 11 mars 2022

« Pourvu qu’ils tiennent !»
Caricature de Jean-Louis Forain pendant la grande guerre, en évoquant l’arrière

Nous sommes débordés d’informations, mais nous savons finalement assez peu sur cette guerre en Ukraine, contrairement à ce que laisse croire les chaines d’informations en continu.

Nous ne connaissons pas le nombre de morts ni du côté russe, ni du côté ukrainien.

En réalité, nous ne connaissons pas les vrais buts de guerre de Poutine.

C’est pour beaucoup, une guerre de communication.

Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, au-delà de son courage qui est grand, se révèle un remarquable communicant.

Ces derniers jours, il s’est énervé contre les occidentaux qui ne mettent pas en place une zone de sécurité de l’espace aérien ukrainien.

Mais pour ce faire, il faudrait que l’OTAN attaque les avions russes pour les empêcher de survoler l’Ukraine. Une telle intervention signifierait entrer en guerre contre la Russie. Les pays de l’OTAN en guerre contre la Russie, c’est factuellement la troisième guerre mondiale. Et pour la première fois de l’Histoire une guerre dans laquelle, des deux côtés, les belligérants ont la bombe atomique.

Ce n’est pas raisonnable, il faut tout faire pour empêcher cette escalade. On ne sait jamais comment finissent les guerres, surtout entre puissances nucléaires.

Les ukrainiens se battent donc seuls avec des armes.

Ce que certains ont décrit par cette formule terrible :

« Les européens veulent se battre pour la liberté… jusqu’au dernier ukrainien »

Il n’est pas exact que les occidentaux ne font rien : ils accueillent les réfugiés, ils livrent des armes et ils pratiquent des sanctions économiques.

Mais ces sanctions économiques sont aussi dévastatrices pour nos économies.

Nous le constatons déjà en allant faire le plein d’essence.

Ce renchérissement de l’énergie va se répercuter sur tous nos achats.

Nous ne voulons pas donner notre sang pour l’Ukraine, mais voulons nous donner notre confort pour certains et plus que cela pour tous ces gens modestes qui ont du mal à boucler les fins de mois et qui en plus ont besoin de leurs voitures au quotidien pour travailler, se nourrir et vivre ?

Allons-nous tenir ?

Le club des vieux centristes du « Nouvel Esprit Public » de Philippe Meyer a bien sûr consacré sa dernière émission à l’Ukraine.

Comme souvent j’ai particulièrement apprécié l’intervention de Jean-Louis Bourlanges.

Il a émis cette crainte : allons nous tenir en référant à un caricaturiste historique : Jean Louis Forain (1852-1931) :

« Quand je songe à ces sanctions, il me revient à l’esprit une caricature de Forain, parue pendant la guerre de 1914-1918. On y voyait deux soldats discutant dans une tranchée : « Pourvu qu’ils tiennent !
– Qui ça ?
– L’arrière. »

Je crois qu’on en est là. Tout un peuple est promis à des souffrances inouïes, dont nous n’avons encore à peu près rien vu. Les jours qui viennent vont sans doute être terribles. Même si le degré d’horreur n’atteint pas ce qu’on a pu voir à Grozny ou à Alep, si l’on se base sur les précédentes opérations de même nature menées par l’armée russe, on a tout lieu de croire que ce sera absolument terrifiant. «


Ce dessin de Jean-Louis Forain est paru le 9 janvier 1915, dans le journal L’Opinion. A l’époque, cette caricature provoque une polémique énorme et donne lieu à une chanson ” Ohé m’sieur Forain “, composée par Aristide Bruant et créée par une des plus grandes vedettes de l’époque, le comique troupier Polin. Dans cette caricature, Forain montre les difficultés rencontrées par les civils et les soldats pendant la Première Guerre mondiale, et renverse la vision traditionnelle qui met généralement les mots ” Pourvu qu’ils tiennent ” dans la bouche des civils.

Et Jean-Louis Bourlanges continue à analyser notre situation ambigüe et fragile :

« Pour des raisons très solides, nous n’intervenons pas dans cette guerre : rien ne serait plus dangereux que de transformer ce conflit en troisième guerre mondiale.
Ces raisons sont fortes, mais bien peu sympathiques.
Nous nous retrouvons un peu dans la situation du film Fort Alamo. Nous savons qu’à quelques milliers de kilomètres de nous vont mourir des gens qui défendent leur patrie, ainsi que la liberté et les valeurs des Européens. Ce « pourvu qu’ils tiennent  ! » n’a rien d’évident. Je suis moi aussi réconforté sur la façon dont les sanctions ont été décidées, à savoir par l’unité profonde, et entièrement nouvelle. Notamment la conversion de nos amis allemands, sous l’impulsion du nouveau chancelier, à une logique de confrontation dont il assume pleinement les conséquences. C’est très nouveau.  »

Son inquiétude est palpable dans les mots mais aussi dans le ton utilisé :

« Mais au-delà ce tout cela, je suis très préoccupé. D’abord parce qu’il me parait hors de question que ces sanctions fassent dévier M. Poutine de son objectif final. Sa capacité stratégique a été́ mise au défi, il ne peut que surenchérir.
Il a les moyens militaires de le faire, il a l’assurance que les forces occidentales n’entreront pas en guerre, il ne va donc pas se priver. Donc, au moins à court terme, il va réaliser son projet. Nous sommes nécessairement dans le long terme. Comment le rapport de forces évoluera-t ‘il ? D’abord, nous sommes nous aussi très vulnérables. Sur le blé, sur les engrais, sur une quantité de matières premières rares …
Nous sommes donc exposés à une situation où il va nous falloir encaisser, faire des sacrifices. D’autre part, je ne sens pas encore que la conscience européenne et occidentale soit engagée sur un effort de longue haleine et de sacrifices. »

Et il finit son intervention par cette analyse qui me semble très lucide.

« Nous sommes un peu dans la situation décrite dans le testament de Richelieu : quand il s’agit de se mobiliser les Français sont tout feu tout flamme, et par la suite, ça se gâte … Les Allemands sont peut-être plus conscients et engagés sur la durée que nous le sommes, mais cela reste à démontrer.
Face à Poutine, nous avons trois désavantages.
D’abord une faiblesse idéologique : en France, environ une moitié de la population s’est montrée sensible à Poutine. Or être sensible à Poutine, c’est être sensible à ce qu’il y a de pire en nous : le culte du chef, de la violence, le nationalisme le plus étriqué, etc.
D’autre part, nous sommes en pleine incertitude quant à l’universalité de nos valeurs, on le voit avec des phénomènes comme le wokisme.
Ensuite, sur le plan stratégique : qu’attendons-nous exactement des sanctions ? Que pouvons-nous en obtenir ? Et à quel moment s’arrêtent-elles ? Nous n’en avons pas la moindre idée. Pour le moment, il semble que M. Poutine veut toute l’Ukraine ; on ne voit pas comment une solution intermédiaire pourrait émerger. Et même si elle émergeait, on ne voit pas comment elle pourrait à la fois satisfaire Poutine et être acceptable par M. Zelensky et par les Ukrainiens. Enfin, une incertitude de la volonté : tiendrons-nous dans la durée ?
Nous avons changé de monde, mais nous n’en sommes qu’au début. Il va nous falloir accomplir une révolution intellectuelle et surtout morale, accepter les logiques de contraintes, de mobilisation et d’efforts, si nous voulons rester dignes de ce que nous prétendons être.

Il est plus nécessaire que jamais de garder à l’esprit la phrase de Thucydide :
« Il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans vaillance ».

Et la vaillance n’est pas une valeur instantanée, mais à long terme.

Le plus dur est devant nous. »

Je redonne le lien vers l’émission : <Le Nouvel esprit public du 6 mars 2022>

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