Lundi 21 février 2022

« PatKop la violoniste aux pieds nus. »
Un objet musical non identifié nommé Patricia Kopatchinskaja

Ce dimanche, Annie et moi, accompagnés de nos amis Joyce et Patrick, sommes allés à l’Auditorium pour écouter un concert d’œuvres d’Igor Stravinsky dirigés par le chef hongrois Ivan Fischer à la tête de l’orchestre qu’il a créé en 1983  et dont il est le Directeur musical depuis : « L’Orchestre du Festival de Budapest ».

Pour Ivan Fischer, il s’agissait d’un retour à Lyon, puisqu’il a été le directeur musical de l’Opéra de Lyon de 2001 à 2003.

Ivan Fischer avait aussi fait parler de lui parce qu’il s’est fait « vacciner en plein concert le 25 août 2021 » :

« Le geste, symbolique, a eu lieu lors d’un concert gratuit en plein air devant quelques milliers de personne à Budapest. Sur les vidéos on peut voir Iván Fischer diriger du bras droit pendant qu’un médecin lui administre une troisième dose de vaccin dans l’autre bras, à travers un trou ménagé exprès dans sa chemise. […] Le site du festival de Budapest explique qu’à travers cette mise-en-scène Iván Fischer « souhaite donner l’exemple et attirer l’attention du public sur l’importance de la lutte contre l’épidémie ». La Hongrie a en effet particulièrement souffert au printemps, affichant début mai « la pire mortalité du monde » d’après le journal Le Monde. Depuis, la situation sanitaire s’est améliorée mais reste délicate. »

C’est surtout un très grand chef et nous avions hâte de l’entendre dans ce concert dans lequel la seconde partie était consacrée au « Sacre du Printemps ».

Avant cela, il y avait une première partie dans laquelle après une autre œuvre orchestrale, « le concerto pour violon et orchestre » de Stravinski était au programme.

C’est une œuvre assez aride et difficile à jouer.

Avec Annie nous nous préparons toujours au concert en écoutant plusieurs fois les œuvres au programme.

Nous avions un peu de mal avec cette œuvre.

J’avais déjà entendu parler de la violoniste soliste : Patricia Kopatchinskaja, mais je ne l’avais jamais vu en concert, ni entendu par l’écoute d’un disque ou de la radio. J’avais lu des avis très contrastés. Par exemple, cet avis du journal canadien « La Presse »

« Des critiques et des mélomanes l’abhorrent, d’autres l’adorent. On lui reproche de trop grandes libertés avec la partition, trop d’exubérance dans le jeu, trop de singularité dans l’articulation ou les timbres, trop de feu dans les coups d’archet. On l’admire exactement pour les mêmes raisons. »

Donc nous voilà au concert. La première œuvre, «  Jeux de carte » me semblait un peu poussive, je n’entrais pas bien dans le concert, était ce de mon fait ou de celui du chef et de l’orchestre ?

Puis vint le concerto et la violoniste née à Chisinau en Moldavie en 1977, entra en scène.

Déjà sa tenue était singulière par rapport à toutes les autres solistes qu’il nous a été donné de voir à l’Auditorium.

Elle portait une robe que je qualifierai de folklorique, mais je ne sais pas de quelle région.

Et elle était pieds nus. On raconte qu’un jour elle avait oublié ses chaussures en montant sur scène. Et que ce jour là, elle avait ressenti les vibrations de l’orchestre comme jamais. Depuis elle réitère souvent cet oubli.

Alors, elle lève l’archet et prend à bras le corps cette œuvre rude et difficile et entraîne l’enthousiasme des musiciens et des auditeurs tout au long de son interprétation.

Elle saisit l’œuvre et fait partager sa vision avec une force et un dynamisme incroyable.

D’ailleurs vous pouvez avoir la perception de cette interprétation, puisqu’il existe sur internet une vidéo de ce concerto avec elle à <Francfort avec l’orchestre de la radio de cette ville dirigé Andrés Orozco-Estrada>

Époustouflant et unique !

Et alors les bis !

Elle a joué successivement avec deux membres de l’orchestre des danses populaires du compositeur hongrois Bartok et puis une œuvre qu’elle a décrit comme présentant le chaos de la globalisation dans laquelle elle joue du violon tout en chantant ou plutôt en lançant des cris et des grognements dans un acte théâtral aussi déroutant que prenant.

Après cela, l’orchestre du Festival de Budapest et Ivan Fischer, galvanisé par ce qu’il venait de vivre nous ont offert un Sacre du Printemps de toute beauté.

Et après ce déchainement de rythme et de violence et plusieurs rappels, l’orchestre s’est levé, a laissé ses instruments et sous la direction d’Ivan Fischer a chanté, a capella, l’ « Ave Maria de Stravinsky  » dans un moment extatique avec une qualité chorale incroyable.

Un concert qui fait du bien et dont on sort plein d’énergie et de joie.

Alors, j’ai voulu en savoir un peu plus sur « la violoniste aux pieds nus » qu’on appelle PatKop, pour éviter d’écorcher son patronyme compliqué : Kopatchinskaja

Alors j’ai écouté cette interprétation du <Concerto de Beethoven> avec Philippe Herreweghe, avec lequel elle l’a enregistré d’ailleurs. Et c’est vrai qu’elle prend quelque liberté avec la partition. Elle joue parfois d’autres notes que Beethoven a écrite. C’est choquant, mais c’est très convaincant.

Elle dit dans l’article du journal canadien précité :

« Bien sûr, affirme-t-elle d’emblée, je m’en tiens aux partitions écrites, mais je recherche d’abord l’esprit de l’œuvre… qui ne se trouve pas dans les pages. Je crois qu’il faut libérer l’esprit d’une œuvre, il faut le sortir de sa partition, qui peut devenir une prison. […]
 Il faut laisser cet esprit nous chevaucher, le laisser nous parler comme un guide qui se dévoile à notre époque, le laisser communiquer avec le public et les musiciens, et ainsi modeler notre façon de jouer l’œuvre ici et maintenant. »

Et elle dit encore :

« Si vous êtes scientifique et que vous vous intéressez à ce qui est connu, vous devenez professeur. Lorsque l’inconnu, le risque ou même la controverse ne vous font pas peur, vous devenez alors chercheur, ce qui s’apparente à un créateur en art. Ce qui m’intéresse se trouve de l’autre côté de la frontière, car je sais ce qui se trouve à l’intérieur. »

Bref, jouer une pièce de la même manière pendant des décennies ne présente pas grand intérêt pour elle.

Dans ce contexte, elle accepte les critiques :

« Il est bien de recevoir de bonnes et de mauvaises critiques, cela signifie que ceux qui ne nous aiment pas nous ont écoutés avec une certaine attention, qu’on les a touchés malgré tout. Quoi qu’ils pensent, les interprétations lisses et standardisées ne m’intéressent absolument pas. »

On trouve assez facilement des critiques défavorables sur le net, mais elles ne m’intéressent pas après le concert de ce dimanche.

Je pense qu’étant donné sa liberté d’interprétation, il semble possible qu’elle puisse « s’égarer » parfois.

Mais quand c’est réussi comme ce dimanche à Lyon, quelle plénitude.

<Le Monde> écrit :

« Loin de se limiter à des décharges strictement musicales, l’interprète galvanisante a décidé, très tôt, de ne renoncer à aucun des sens de son corps dans la recherche optimale de l’expression artistique. « J’ai besoin de tout ressentir avec ma peau », résume la violoniste qui a pris l’habitude de se produire pieds nus et de s’exposer telle quelle sur scène. […] « Plus j’avance en âge et plus je m’éloigne de tout ce qui m’a été appris, confie la musicienne de 44 ans. Les Japonais pensent qu’on change de personnalité une fois qu’on a atteint la moitié de sa vie, comme un serpent qui se débarrasse de sa peau, mais en tant qu’artiste qui se régénère, vous ne savez jamais où vous êtes vraiment vous-même.»

Elle a résumé lors d’un entretien accordé au Financial Times sa vision de liberté :

« Les gens accordent beaucoup d’importance à la perfection et aux surfaces bien lisses. Ils veulent voir un beau gâteau sur scène, prêt à être dégusté. Je n’apporte pas de gâteau. J’apporte les ingrédients et je les cuisine sur place. On doit prendre le risque que ça ne se passera pas bien – on a besoin des erreurs car elles nous font réfléchir et trouver de nouvelles façons de faire. »

Sur ce site consacré à la Moldavie elle raconte un peu l’Histoire de sa vie :

« Nous avons quitté la Moldavie avec mes parents dès l’ouverture des frontières en 1990. Je suis arrivée à Vienne, où j’ai passé une dizaine d’années. Je suis ensuite venue à Berne, car j’avais obtenu une bourse pour y étudier. J’ai toujours rêvé de baser ma vie dans une grande capitale, mais je suis tombée amoureuse à Berne, et j’y suis restée. Et comme je voyage sans cesse, Berne est le lieu idéal pour décompresser, recharger mes batteries.
[Que pouvez-vous dire de la Moldavie ?]
C’est intéressant de venir de nulle part, non ? ([…]
Plus prosaïquement, la Moldavie a connu tour à tour la domination des Roumains et des Russes, et les deux n’étaient pas mieux l’un que l’autre. Aujourd’hui, c’est un pays parmi les plus pauvres d’Europe : 80% des actifs travaillent à l’étranger. J’y retourne avec Terre des hommes , pour donner des concerts, organiser des concours pour jeunes violonistes. Dans ma famille, chaque génération a une fois tout perdu et s’est retrouvée avec une valise pour seul bien. J’en tire cette leçon : « Live now ! » « Vivez maintenant ! »

Elle a désormais la triple nationalité moldave, autrichienne et suisse.

« Le Figaro » parle en juin 2021 d’elle comme d’« un objet musical non identifié » et ajoute :

« Mais c’est surtout par sa profonde originalité musicale qu’elle frappe. Celle qui aime se comparer à un enfant qui invente constamment de nouveaux jeux avec les mêmes jouets, assimile la musique classique à un laboratoire et son parcours d’interprète à celui d’Alice au pays des merveilles.
En vraie funambule, elle pousse la musique dans ses ultimes retranchements expressifs »

Elle dispose bien sûr d’un site : https://www.patriciakopatchinskaja.com/

Et pour finir, je vous propose d’écouter ces 5 minutes magiques dans lesquelles avec d’autres musiciens et particulièrement le chef Teodor Currentzis, elle chante et joue en interprétant <John Dowland> compositeur anglais mort en 1626.

<1654>

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