J’ai été étonné lorsque, lors d’une émission de radio, un des intervenants a évoqué ce sujet d’un accord de notre ministre de l’intérieur avec le ministre algérien des affaires religieuses.
J’ai fait des recherches internet, peu de grands médias français en ont parlé.
Le Figaro a donné la parole à Jeannette Bougrab «On nous casse les oreilles avec l’islam de France et on fait venir des imams d’Algérie !»
LCI aussi en fait mention en évoquant un propos de Manuel Valls : « De quoi parle Manuel Valls ? »
Sur ce site nous pouvons lire :
« Une dépêche de l’agence officielle de presse algérienne reprend en effet cette citation du ministre annonçant : « Nous avons choisi 150 imams, parmi les meilleurs qui ont exprimé le vœu d’aller à l’étranger pour diriger les prières durant le mois sacré de Ramadhan. » Parmi ces 150 imams, la France en recevra 100 « vu la forte concentration de la communauté algérienne qui y est établie et les 50 autres seront répartis à travers plusieurs pays, comme l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique et le Canada »
[…] Djelloul Seddiki, directeur de l’institut Al-Ghazâli de la grande mosquée de Paris, chargé d’accueillir les imams étrangers [a expliqué] : « Ces imams « viennent pour 29 jours. Nous les accueillons, leur réservons une nuit d’hôtel et nous occupons des affectations en amont. Ils n’ont pas de formation en arrivant car ils vont simplement réciter les 60 chapitres du Coran en arabe, ils n’ont pas besoin de savoir parler français. »
Le directeur fait ainsi une distinction avec d’autres imams, venant eux aussi d’Algérie – mais pour quatre ans cette-fois – dans le cadre d’un accord passé à l’époque avec Bernard Cazeneuve. « Ceux-là, nous les accueillons à l’institut pendant 3 semaines car ils doivent savoir parler français et prendre des cours sur les institutions françaises, la laïcité… Ils passent également un diplôme universitaire par la suite dans le cadre d’un accord avec l’université Paris1 La Sorbonne »
Et cet accord, passé entre la France et l’Algérie à l’occasion du Ramadan, est loin d’être nouveau, ou même isolé. Déjà en 2011, par exemple, le Conseil français du culte musulman (CFCM) annonçait la venue de 180 imams marocains : « C’est devenu une tradition. Chaque année, le Maroc nous envoie en renfort des imams pour assurer la lecture du Coran et les prêches durant le mois sacré du Ramadan où les fidèles sont plus nombreux à se rendre sur les lieux du culte musulman » expliquait alors Mohamed Moussaoui, le président. […]
Toujours dans l’agence de presse algérienne, on peut lire que ces imams ont été « sélectionnés pour la maîtrise des règles de la psalmodie et les aptitudes à diffuser un discours religieux ‘modéré et éclairé’, à être les « ambassadeurs de la paix » et à faire valoir la véritable image de l’Islam dans le monde. »
Djelloul Seddiki explique par ailleurs qu’ils ont été choisis aussi sur le critère de leur savoir-faire : « Ils ont été choisi pour leur belle voix », nous dit-il, « pour faire plaisir aux fidèles ». »
J’ai aussi trouvé le site Atlantico qui a donné la parole à Alexandre del Valle qui est un géopolitologue et essayiste franco-italien et qui soutient plutôt cette initiative. « Un des pôles les plus modérés de l’Islam de France est depuis longtemps l’Islam algérien de la Grande Mosquée de Paris. »
Il précise que :
« La Mosquée de Paris avant cela était marocaine mais est depuis des décennies algérienne. Les imams de la Mosquée de Paris sont souvent nommés par l’Algérie, elle est co-financée par l’Algérie. Il est vrai, et on le constate, que ce n’est pas parce qu’un Islam est français qu’il est modéré. Il y a des salafistes, Français de troisième génération qui ne sont pas particulièrement financés par l’Arabie Saoudite, et inversement, des immigrés algériens qui sont parmi les plus modérés qu’on ait en France. Il n’y a donc pas de règles : ce n’est pas parce qu’on est Français qu’on est modéré et parce qu’on est étranger qu’on est radical. Aujourd’hui le plus grand lieu représentant d’un Islam tolérant et correct (même s’il y a des choses à critiquer), c’est la Mosquée de Paris et le réseau qu’elle dirige en France. »
Gérard Collomb parie sur la promotion d’un islam de «modération » et du « juste milieu» en France. Ce sont ses mots.
Plusieurs sites algériens parlent de cet accord.
Si les grands médias français, mis à part le Figaro n’en parle pas, en revanche les sites d’extrême droite comme résistance républicaine ou français de souche en parle abondamment pour dénoncer cette ingérence étrangère.
La réalité c’est qu’il n’y a pas suffisamment d’imams en France et qu’il faut donc faire appel à une main d’œuvre étrangère ou des voix étrangères.
Peu de publicité est faite sur ce sujet, le gouvernement a probablement peur d’aggraver les tensions.
Gérard Collomb a-t-il raison de parier sur la modération des imams algériens ?
Alexandre del Valle sur le site Atlantico nuance son propos optimiste à la fin de son entretien :
« C’est souhaitable. Mais les faits sont relativement différents. Autant je vous ai dit que la Mosquée de Paris est un pôle relativement modéré, en revanche en Algérie, la situation est différente. Les athées sont persécutés, on s’en prend à ceux qui ne fêtent pas le Ramadan, des lois sont venues renforcer la ségrégation des chrétiens, la conversion à une autre religion que l’Islam est interdite… Si l’Algérie était un havre de tolérance républicaine, cela se saurait. Cette volonté de l’Islam de Cordoue est peut-être la volonté de quelque personnes, mais dans les faits, même si l’Algérie combat l’islamisme politique et le terrorisme (et ce depuis la guerre civile), elle a connu un durcissement des conditions de vie des musulmans non-pratiquants, des autres croyants, des apostats.
Je pense donc que malheureusement, dans ces propos [du ministre algérien], il y a une part de double-jeu qui m’ennuie. »
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Je ne m’étendrai pas ici sur l’accueil en France d’imam venus d’Algérie, si ce n’est pour dire que je ne trouve pas cela anormal dans le cadre des relations spécifiques que nous entretenons avec ce pays et qui ne concerne d’ailleurs pas que le domaine religieux (cf: par exemple les accords particuliers en matière d’immigration mais également en matière de modalités d’acquisition de la nationalité française des ressortissants algériens ). Enfin l’accueil de religieux étrangers autres que musulmans ne paraît pas soulever en général ce genre de question, même s’il est bien évident par ailleurs que des considérations de realpolitik bien comprise entrent en considération, ce qui ne saurait surprendre sans pour autant dispenser d’un examen critique des attitudes et pratiques internationales de nos gouvernements souvent en décalage pour ne pas dire en contradiction avec les déclarations officielles et postures de nos gouvernants.
Ainsi en est-il des discours sur la laïcité, principe instrumentalisé par certains pour stigmatiser en particulier la religion musulmane. Or dans ce domaine plus qu’en aucun autre, la symbolique est importante . Personnellement et dans le contexte que nous connaissons, le fait que plusieurs de nos gouvernants arborent ostensiblement un signe religieux comme récemment le porte-parole du gouvernement et le ministre de l’intérieur, comme le Président François HOLLANDE en son temps. Même si cela se veut être l’expression d’un hommage national à des victimes d’attentats et de crimes dont la source antisémite ne fait aucun doute, il n’en demeure pas moins que cet hommage est rendu au nom de l’Etat par ses représentants . Le fait que cet hommage soit rendu dans une synagogue n’oblige pas les représentants officiels de l’Etat et de nos autres institutions publiques à se couvrir de la kippa, d’ailleurs se croient-ils pour autant obligés d’arborer même discrètement un crucifix lorsqu’ils assistent à un office religieux dans une église ?
A tout le moins le caractère laïque de l’Etat et de la société française exigent-il de nos représentants qu’ils s’abstiennent d’apposer tout signe religieux extérieur ostentatoire. La symbolique républicaine est ici fondamentale, et impose en premier lieu l’expression physique de la plus stricte neutralité religieuse .
Je rappellerai ici que lorsque le Pape Jean-Paul a posé son pied sur le tarmac de l’aéroport d’Orly le 30 mai1980, le protocole républicain imposait alors au nom de la séparation de l’Eglise et de l’Etat , qu’il soit accueilli en premier lieu, non par le Chef de l’Etat mais par le chef du gouvernement, ce qui fut le cas puisque c’est le Premier Ministre Raymond BARRE qui vint à sa rencontre, règle protocolaire que le journalistes télévisés ne manquèrent alors pas de souligner.
Rappelons également que lors des obsèques de François MITTERRAND à Jarnac en 1996, Michel CHARASSE ( ancien Ministre du Budget), alors conseiller général et sénateur du Puy-de-Dôme n’assista pas à l’office religieux célébré dans l’église et demeura sur le parvis exprimant en cela sa qualité d’ élu républicain et d’ancien ministre d’un Etat laïque.
Mais il est vrai que pour la majorité de nos médias « mainstream » et nombre de nos représentants c’est la « communication » qui prévaut et non la référence à une symbolique qui exprime pourtant un principe essentiel à notre vivre ensemble .
Il y a quand même un petit problème avec cette histoire d’imams algériens, ils portent des règles et une société qui sur un certain nombre de points sont totalement incompatibles avec les valeurs de la république : le droit de changer de religion : l’apostasie, le droit de ne pas pratiquer et d’autres choses qui rendent aujourd’hui la plus grande part des sociétés dans lesquelles l’islam est religion d’État assez détestable à mes yeux. Ceci n’a évidemment rien à voir avec le respect que j’éprouve pour les musulmans qui croient et qui pratiquent leur religion de manière spirituelle et ouverte.