Jacques Testart, né en 1939, est un biologiste français célèbre puisqu’il fût celui que Le MONDE appelle le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982 et auquel on a donné le nom d’Amandine.
Il vient de publier un livre avec Agnès Rousseaux aux Editions du Seuil : « Au Péril de l’humain : les promesses suicidaires des transhumanistes »
Ce livre est présenté ainsi sur le site des Editions du Seuil :
« Fabriquer un être humain supérieur, artificiel, voire immortel, dont les imperfections seraient réparées et les capacités améliorées. Telle est l’ambition du mouvement transhumaniste, qui prévoit le dépassement de l’humanité grâce à la technique et l’avènement prochain d’un « homme augmenté » façonné par les biotechnologies, les nanosciences, la génétique. Avec le risque de voir se développer une sous-humanité de plus en plus dépendante de technologies qui modèleront son corps et son cerveau, ses perceptions et ses relations aux autres. Non pas l’« homme nouveau » des révolutionnaires, mais l’homme-machine du capitalisme. »
Le MONDE a publié le 8 avril un entretien avec cet homme de science qui avoue sa méfiance à l’égard du libéralisme, on peut lire par exemple cet article de 2007 qu’il a rédigé : L’eugénisme au service du libéralisme, par Jacques Testart
Dans son nouvel ouvrage il s’attaque au transhumanisme et à ce qu’il appelle : « Les promesses suicidaires ».
Dans l’entretien avec du MONDE, il parle de sa première expérience dans laquelle il a été confronté aux dérives de la technoscience :
« . A la fac de biologie cellulaire où je suivais des cours, un prof qui s’appelait Charles Thibault m’avait à la bonne. Il m’a proposé de venir travailler sous contrat dans son labo de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), à Jouy-en-Josas (Yvelines). J’y suis entré en 1964, j’étais ravi ! […]
L’idée était de trouver un moyen de multiplier rapidement les vaches de haute qualité laitière. J’ai mis au point une méthode pour extraire des embryons de l’utérus de vaches « donneuses », puis pour les transplanter dans celui de « receveuses » – autrement dit de mères porteuses. Et en 1972, au moment où sont nés les premiers veaux issus de ces techniques, je me suis aperçu que c’était complètement idiot : la surproduction de lait européen provoquait la ruine des éleveurs, et on me payait pour augmenter la production laitière ! Je suis allé voir le directeur de l’INRA pour lui dire que j’étais scandalisé par ce qu’on m’avait fait faire. […].Plus encore qu’être en colère, j’avais honte. Pour les paysans. Et pour la science, qui s’écrivait pour moi avec un grand S. La science, cela se rapprochait de la philosophie, c’était une compréhension du monde. En fait, ce que j’aurais voulu faire, c’est le travail de Jane Goodall, observer les grands singes… C’est magnifique, ça ! Mais faire faire des petits à des vaches pour avoir plus de lait ? C’était de la technique, pas de la science. »
Il revient aussi sur la naissance d’Amandine ainsi que son conflit avec le Professeur gynécologue René Frydman avec lequel il a réussi cette avancée scientifique majeure. Cet évènement s’est déroulé à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP), à Clamart (Hauts-de-Seine). L’équipe était dirigée par le chef de service Émile Papiernik, le professeur René Frydman en est le responsable clinique et le biologiste Jacques Testart le responsable scientifique. Jacques Testart raconte cette expérience et les leçons qu’il en a tiré ainsi :
« [J’ai eu] la chance de rencontrer Emile Papiernik, le patron du service de gynécologie de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart, qui montait un laboratoire de recherche sur la stérilité. Il m’a proposé de venir travailler avec lui. Cela me permettait de fuir la recherche productiviste ! On était en 1977, et personne ne parlait alors de fécondation in vitro.
Et l’année suivante, en Grande-Bretagne, on annonce la naissance de Louise Brown, le premier « bébé-éprouvette »…
Et les gynécologues de Béclère, René Frydman au premier chef, me demandent de mettre au point la fécondation in vitro (FIV) chez l’humain, en m’appuyant sur mes connaissances en reproduction animale. J’ai dit oui tout de suite ! Utiliser la FIV pour pallier certaines stérilités, cela me semblait une belle mission. Dans ces années-là, j’ai publié comme jamais dans ma vie, jusqu’à deux articles par mois !
Mais déjà, il commençait à y avoir des tensions entre Frydman et moi. Il essayait de s’approprier le laboratoire comme si j’étais son technicien, ce que je ne supportais pas du tout. Et puis, il y a eu la grossesse d’Amandine. Et l’accouchement, je ne l’ai pas vécu. Je l’ai appris à 3 heures du matin par un coup de fil de Frydman, qui m’annonce que le bébé est sorti, que ça s’est très bien passé et qu’on a une conférence de presse à midi ! C’est comme ça que j’ai appris la naissance d’Amandine.
[…] Le battage médiatique qui a suivi la naissance d’Amandine nous a transformés – abusivement – en héros. On en rigolait ensemble, on allait dans des congrès à l’autre bout du monde… C’était assez confortable, bien sûr – sortir de la masse, c’est quelque chose qui fait plaisir à tout le monde. Mais en même temps, je trouvais que ce n’était pas mérité. Entre Frydman et moi, les choses ont continué de se dégrader au fil des ans. Nous avions monté un vrai laboratoire hospitalier, avec du bon matériel, mais nous étions de moins en moins souvent d’accord. Frydman voulait qu’on congèle les ovules, moi j’étais contre car, à l’époque, cela créait des anomalies chromosomiques… Nous avions beaucoup d’autres sources de conflits. Jusqu’à ce que j’apprenne, en 1990, que j’étais viré de l’hôpital Béclère. »
Malgré leurs divergences ils se sont retrouvés récemment dans les colonnes du Monde en cosignant une tribune avec une quarantaine de personnalités contre la gestation pour autrui (GPA).
Dans l’article du MONDE il raconte que très rapidement après la naissance d’Amandine il a commencé à s’inquiéter des retombées de la procréation médicalement assistée (PMA).
« J’ai été effaré du bruit qu’a fait cette naissance, je trouvais ça très exagéré. A la même époque, il y avait des recherches sur des souris ou des mouches beaucoup plus importantes ! Nous avions fait du beau boulot, cela nous avait demandé beaucoup de dévouement et un peu de jugeote, d’accord. Mais au niveau de la science, cet événement ne valait rien, d’autant que Robert Edwards l’avait fait quatre ans avant nous avec Louise Brown. Je me suis donc mis à cogiter. Et j’ai compris que l’événement, c’était de pouvoir voir ce futur bébé neuf mois avant sa naissance. De pouvoir voir à l’intérieur de l’œuf et d’intervenir au stade le plus précoce, avec la possibilité de modifier ou de trier les enfants à naître. J’ai écrit L’Œuf transparent (Flammarion, « Champs », 1986) pour raconter cela. Pour dire que ce que nous venions de réussir ouvrait la voie à un nouvel eugénisme, consensuel et démocratique.
[Après] les vaches laitières à l’INRA […] je me suis fait avoir deux fois de suite. J’avais travaillé pour des femmes dont les trompes étaient bouchées de manière irréversible, j’avais fait de la plomberie, et je n’avais pas réfléchi aux perspectives que cela ouvrait : faire naître des enfants qui non seulement n’ont pas certaines maladies graves, mais qui sont éventuellement choisis parmi plusieurs embryons pour certaines qualités.
Je me suis alors mis à lire des ouvrages sur l’eugénisme. Pas l’eugénisme bête et méchant du nazisme, mais un eugénisme « intelligent » à la Francis Galton, tel qu’il fut promu durant le premier tiers du XXe siècle en Scandinavie et aux Etats-Unis, avec la stérilisation massive d’individus considérés comme déviants… Cela faisait un peu froid dans le dos. Mes craintes n’étaient pas très partagées, beaucoup considéraient comme impossible de réaliser un diagnostic génétique sur un embryon de quelques cellules, mais l’avenir se chargea vite de leur donner tort : le diagnostic préimplantatoire fut mis au point par les Britanniques en 1990, et fut accepté par la première loi française de bioéthique dès 1994 ! »
Tout en dénonçant les dérives qu’il constatait, il a continué à aider des couples à avoir l’enfant qu’ils ne parvenaient pas à faire tout seuls, mais pas contribuer à faire autre chose que des bébés du hasard.
Et pour lui Le transhumanisme, c’est le nouveau nom de l’eugénisme :
« C’est l’amélioration de l’espèce par d’autres moyens que la génétique. C’est la perspective de fabriquer de nouveaux humains plus intelligents qui vont vivre trois siècles, quand les autres deviendront des sous-hommes. Et cette perspective, qui créera une humanité à deux vitesses, est en passe d’être acceptée par la société. »
Jacques Testart est devenu un lanceur d’alerte qui nous interpelle.
Je n’ai cité que des extraits de l’article du Monde qui devrait être lu entièrement : <LIEN>
Il a rédigé aussi une tribune dans <Le Parisien du 8 avril 2018>
<1052>
La société à plusieurs existe déjà depuis longtemps, la différence pour le transhumanisme consiste à créer une humanité à plusieurs vitesses en manipulant les racines mêmes de la vie. Il y a effectivement de quoi s’inquiéter sur l’avenir de nos valeurs mais je pense que la vie est un équilibre global et que le moment où l’homme sera capable de s’attaquer à cet équilibre n’est pas prêt d’arriver. Pour le moment, on ne fait que manipuler des pièces du puzzle.