Lundi, le 09/11/2015

Lundi, le 09/11/2015
« La tendance à effacer le sacré, à l’éliminer entièrement, prépare le retour subreptice du sacré, sous une forme non pas transcendante mais immanente, sous la forme de la violence et du savoir de la violence. »
René Girard
La violence et le sacré
éd. Hachette, coll. Pluriel, 2004 (ISBN 2-01-278897-1), p. 480
René Girard était un géant de la pensée, né en Avignon le jour de Noël 1923.
Il était français.
Mais les élites françaises notamment universitaires ne l’ont pas reconnu, pas accepté.
Et c’est aux Etats-Unis qu’il a pu déployer son intelligence, son savoir et ses fulgurances.
Après mes 20 ans, je suis entré avec passion dans la lecture des ouvrages de René Girard.
Je ne dis pas que j’ai tout compris, tout saisi, mais j’ai été ébloui par cette pensée qui plonge au plus profond de l’homme, des sociétés, du désir et de la violence.
Je reviendrai sans doute sur cette explication du monde qui débute par le désir mimétique, car nous ne désirons pas un objet en raison de sa valeur, de sa rareté ou de son intérêt intrinsèque mais parce qu’un autre le désire.
Le désir n’est pas une relation binaire entre moi et un objet désiré, mais une relation triangulaire où se trouve l’autre celui qui entraîne mon désir mimétique.
Ce désir mimétique engendre évidemment la violence.
Violence que veut apprivoiser le sacré dans une société par des mythes, des rites, des sacrifices et enfin l’invention du concept de bouc émissaire.
J’ai choisi, comme mot du jour, cette phrase de Girard dans « la violence et le sacré » qui semble annonciatrice des violences d’aujourd’hui. C’est une phrase qui se situe dans la conclusion, à l’avant dernière page de l’édition que je possède.
Car nous autres européens et particulièrement français avons voulu chasser la religion et le sacré, particulièrement de la sphère publique.
C’est pour nous, je continue à parler au présent et je me demande si cela est judicieux, quelque chose qui appartient au passé, à des mœurs un peu archaïques qui s’adressent à des gens qui n’ont pas voulu embrasser la modernité et la philosophie de la raison.
Alors que répondre quand Girard prétend que la tendance à effacer le sacré prépare son retour sous la forme de la violence ?
Mais pour ce premier mot du jour consacré à Girard je voudrai revenir à ce fait : La France a engendré un des plus grands penseurs du XXème siècle, mais ses élites universitaires l’ont simplement ignoré.
Il a enrichi plusieurs universitaires américaines, pour finir à Stanford, où enseigne aussi Michel Serres.
Et que représente Stanford ?
Dans le classement des universités qui prend pour critère le nombre de prix Nobel obtenus par ses enseignants et chercheurs l’université californienne de Stanford est première. Pour la suite du podium on trouve l’université de Columbia de New York et en troisième Berkeley aussi Californienne à San Francisco.
Wikipedia nous apprend que l’université de Stanford, est une université américaine privée, située au cœur de la Silicon Valley au sud de San Francisco, séparée de Paolo Alto par une avenue. Paolo Alto qui est considérée comme le berceau de la Silicon Valley.
C’est dans ce lieu de l’hyper modernité qu’a œuvré et est mort le 4 novembre 2015, ce penseur des sciences humaines, de la réflexion sur l’origine du sacré, de la violence archaïque.
La France n’a pas eu cette intelligence. Très tardivement, comme la réparation d’un remord, l’Académie Française l’a accueilli en 2005, alors qu’il avait 82 ans. Il faut être juste, l’Académie française lui avait délivré son prix  en 1972 pour «La Violence et le Sacré».
C’est pourquoi dans son discours de réception René Girard a eu cette réflexion : «Je peux dire sans exagération que, pendant un demi-siècle, la seule institution française qui m’ait persuadé que je n’étais pas oublié en France, dans mon propre pays, en tant que chercheur et en tant que penseur, c’est l’Académie française.» Il fut élu au trente-septième fauteuil, dont le second titulaire fut Bossuet.
Cette attitude des élites françaises à l’égard de René Girard n’est-elle pas révélatrice d’un mal plus grand ?
Ne sont-elles pas simplement incapables de sortir de leur univers de clones ? Où on n’accepte que celles et ceux qui pensent comme les autres de la même caste, dans un moule rassurant mais aussi castrateur ?
Si cette hypothèse est exacte et s’il y a bien fuite des cerveaux elle pourrait avoir une cause bien plus profonde que celle si souvent évoquée du matraquage fiscal.
Pour prolonger cette réflexion je vous propose cet excellent article de Slate : http://www.slate.fr/story/109455/rene-girard-mort-violence-sacre
Et aussi un court extrait d’une interview de René Girard. <Présentation du désir mimétique>
Et puis si vous voulez faire comme ce que je vais faire dans les jours prochains, voici la page vers toutes émissions de France Culture consacrées à René Girard : http://www.franceculture.fr/2015-11-05-mort-de-l-anthropologue-et-philosophe-rene-girard-nouveau-darwin-des-sciences-humaines