J’avais consacré le mot du jour du 1er février aux émeutes qui avaient été provoquées par des promotions de 70% sur le Nutella.
Ces évènements ont été largement commentés.
Certains pour s’étonner qu’on fasse autant de bruits autour de cette expression du consumérisme exacerbé parce qu’il touche des classes très modestes, alors qu’on fait moins de cas quand il se passe à peu près la même chose pour acquérir le dernier iphone, le type de consommateur n’étant pas le même.
Mais c’est à nouveau Michel Serres qui a éclairé pour moi, de la manière la plus intelligente, ces évènements. Il l’a fait au cours d’une émission sur LCI animé par Pujadas : Débat Finkielkraut-Serres avec Pujadas
Et il a expliqué que ce n’était pas nouveau et que l’émeute était connue depuis bien longtemps comme une technique de vente particulièrement performante. Et pour le prouver il a fait appel à un des 20 romans de la série des Rougon-Macquart d’Emile Zola : « Au bonheur des dames »
« Au bonheur des dames » est un livre publié en 1883. Ce titre fait référence à un grand magasin parisien qu’Émile Zola a imaginé dans son livre en s’inspirant du célèbre magasin parisien « Au Bon Marché », situé 24 rue de Sèvres dans le 7ème arrondissement et qui avait été fondé en 1838 par Aristide Boucicaut.
Et c’est en se référant aux techniques de vente d’Aristide Boucicaut que Zola décrit son personnage de fiction : Le directeur du magasin « Au bonheur des dames » : Octave Mouret.
Au Bonheur des Dames Zola page 298 / 544 :
« La grande puissance était surtout la publicité. Mouret en arrivait à dépenser par an trois cent mille francs de catalogues, d’annonces et d’affiches. Pour sa mise en vente des nouveautés d’été, il avait lancé deux cent mille catalogues, dont cinquante mille à l’étranger, traduits dans toutes les langues. Maintenant, il les faisait illustrer de gravures, il les accompagnait même d’échantillons, collés sur les feuilles. C’était un débordement d’étalages, le Bonheur des Dames sautait aux yeux du monde entier, envahissait les murailles, les journaux, jusqu’aux rideaux des théâtres. Il professait que la femme est sans force contre la réclame, qu’elle finit fatalement par aller au bruit.
Du reste, il lui tendait des pièges plus savants, il l’analysait en grand moraliste. Ainsi, il avait découvert qu’elle ne résistait pas au bon marché, qu’elle achetait sans besoin, quand elle croyait conclure une affaire avantageuse ; et, sur cette observation, il basait son système des diminutions de prix, il baissait progressivement les articles non vendus, préférant les vendre à perte, fidèle au principe du renouvellement rapide des marchandises. Puis, il avait pénétré plus avant encore dans le cœur de la femme, il venait d’imaginer « les rendus », un chef d’œuvre de séduction jésuitique. « Prenez toujours, madame : vous nous rendrez l’article, s’il cesse de vous plaire. »
Et la femme, qui résistait, trouvait là une dernière excuse, la possibilité de revenir sur une folie : elle prenait, la conscience en règle. Maintenant, les rendus et la baisse des prix entraient dans le fonctionnement classique du nouveau commerce.
Mais où Mouret se révélait comme un maître sans rival, c’était dans l’aménagement intérieur des magasins. Il posait en loi que pas un coin du Bonheur des Dames ne devait rester désert ; partout, il exigeait du bruit, de la foule, de la vie ; car la vie, disait-il, attire la vie, enfant e et pullule. De cette loi, il tirait toutes sortes d’applications.
D’abord, on devait s’écraser pour entrer, il fallait que, de la rue, on crût à une émeute ; et il obtenait cet écrasement, en mettant sous la porte les soldes, des casiers et des corbeilles débordant d’articles à vil prix ; si bien que le menu peuple s’amassait, barrait le seuil, faisait penser que les magasins craquaient de monde, lorsque souvent ils n’étaient qu’à demi pleins.
Ensuite, le long des galeries, il avait l’art de dissimuler les rayons qui chômaient, par exemple les châles en été et les indiennes en hiver ; il les entourait de rayons vivants, les noyait dans du vacarme.
Lui seul avait encore imaginé de placer au deuxième étage les comptoirs des tapis et des meubles, des comptoirs où les clientes étaient plus rares, et dont la présence au rez-de-chaussée aurait creusé des trous vides et froids. S’il en avait découvert le moyen, il aurait fait passer la rue au travers de sa maison. »
Dès cette époque, il était clair que l’émeute constituait une technique permettant d’attirer les clients et de vendre davantage.
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L’envie de capter une bonne affaire à son profit personnel est un puissant levier qui ne laisse pratiquement personne indifférent.
André Comte Sponville précise que le capitalisme est fondé sur l’égoïsme, c’est pour cela qu’il est si puissant et qu’il s’est imposé partout