«Alors, tant mieux si Céline Alvarez a obtenu, avec des moyens considérables, de bons résultats. »
Thierry Venot interrogé par Jean-Paul Brighelli dans le Point
Certains se sont étonnés de mon dernier mot du jour et surtout de l’expression : « tourner autour du pot ». Dans l’esprit de beaucoup cette expression signifie soit le refus de décider soit de s’engager. Mais dans mon esprit, il ne s’agissait pas de cette faiblesse ou de la fuite que révèle une telle interprétation. Car je suis convaincu qu’il faut savoir décider et que le plus souvent une mauvaise décision vaut mieux que l’absence de décision.
Pour ma part tourner autour du pot signifie qu’on regarde quelque chose, par exemple « un pot » sous des angles différents et que par ce fait on ne voit pas la même chose.
Prenons le libéralisme économique. Si on regarde sous l’angle de l’égalité et la justice, on constate que ce système génère une augmentation exponentielle de l’inégalité parce qu’il donne une prime démentielle à ceux qui sont en tête du peloton pour prendre la métaphore cycliste. Ce système apparaît sous cet angle comme mauvais.
Mais si on prend le filtre de la production de richesse, de la créativité, de l’inventivité, Fernand Braudel évoquait « la dynamique du capitalisme » aucun autre système créé par les humains ne lui est comparable que ce soit les régimes théocratiques d’hier ou d’aujourd’hui ou ces autres régimes de la religion terrestre du communisme.
Ces deux points de vue sont exacts, même s’ils ne révèlent pas la même chose.
Et le mot du jour d’aujourd’hui va donner un autre exemple. J’avais entendu Céline Alvarez en septembre et elle m’avait subjugué, j’avais parlé d’une femme lumineuse de celles qui suivent leur passion et croient en ce qu’elles font. Annie en avait parlé avec un voisin qui après de nombreux expériences professionnelles est devenu instituteur et qui a marqué son intérêt pour Céline Alvarez mais a souligné des conditions matérielles de l’expérimentation particulièrement favorables.
Alors j’ai tenté de tourner « autour de ce pot » et je suis tombé sur un article de Jean-Paul Brighelli publié sur le site du Point au titre provocateur <Céline Alvarez une imposture ?>
Notez le point d’interrogation !
Jean-Paul Brighelli est un enseignant, un pédagogue respecté dans le monde de l’éducation.
Il rappelle d’abord les prémices de l’expérience de Céline Alvarez : « qui a fait des études de linguistique et qui s’y connaît en communication, n’a passé le concours d’instituteur que pour expérimenter sa foi pédagogique. »
Et puis il donne des précisions sur les conditions de l’expérimentation : «Elle a mystérieusement obtenu d’emblée auprès du ministère Chatel un poste et des conditions de travail idéales – 24 élèves de maternelle, pas un de plus, et une auxiliaire (Atsem) présente en permanence dans sa classe. Et trois ans durant, notre révolutionnaire a été au plus près de ses élèves, disposant d’un matériel coûteux qui lui arrivait dès qu’elle en formulait la demande. Les suppressions de poste et de budget des années 2009-2012 ne la concernaient pas. »
Puis il nous apprend aussi que Céline Alvarez est soutenu par : « l’Institut Montaigne, think tank, comme on dit désormais en français, d’un libéralisme pur et dur, qui a contribué financièrement à l’expérience via l’association Agir pour l’école, dont le fondateur, en 2010, fut Claude Bébéar, fondateur aussi de l’Institut Montaigne. »
La critique essentielle de Jean-Paul Brighelli est que l’expérience est coûteuse mais je crois comprendre aussi qu’il pense qu’une telle expérience demande une telle implication de l’enseignante qu’elle peut l’accomplir pendant 3 ans mais peut-être pas lors de toute une vie d’enseignant.
Il manifeste aussi des réticences sur l’apport des neurosciences que met en avant Céline Alvarez en parlant « des acquis douteux des « sciences cognitives » – d’où l’appui inconditionnel de Stanislas Dehaene, gourou des neurosciences – dont l’évaluation reste à faire, et qui suscitent enfin un regard critique sans indulgence, tant elles nourrissent de faux prophètes en leur sein. »
Enfin, Jean-Paul Brighelli fait appel à deux enseignants qui pratiquent et qui ont écrit des ouvrages pédagogiques :
Muriel Strupiechonski, […] qui a écrit, selon lui, l’un des meilleurs manuels aujourd’hui disponibles d’orthographe-grammaire-rédaction pour le niveau CE1. Elle explique :
« Céline Alvarez nous fait part des performances accomplies dans sa classe pendant trois ans. Elles sont assurément séduisantes et on ne peut que se féliciter de voir l’engouement que son livre provoque dans les médias, puisqu’un de ses chapitres décrit l’apprentissage alphabétique de la lecture et son efficacité. Heureuse nouvelle si le crédit qu’a acquis Alvarez provoque enfin une prise de conscience générale sur cette question si importante et aboutit à autoriser dans toutes les écoles l’emploi de la méthode alphabétique, ainsi que l’apprentissage simultané de la numération et des opérations !
Car les journaux prêtent aussi à ses élèves la maîtrise des 4 opérations. Qu’on nous permette toutefois de douter : sur la jaquette de son livre Les Lois naturelles de l’enfant. La révolution de l’éducation, on ne trouve nulle trace de l’apprentissage des 4 opérations – et l’écriture, jugée trop difficile, y est dissociée de la lecture, alors que leur apprentissage concomitant est essentiel pour une acquisition efficace. »
Et elle ajoute :
« Il y a des années que des enseignants luttent contre les aberrations pédagogiques qui leur sont imposées, faisant appel à leur simple bon sens ou à l’observation tout empirique des résultats de leurs élèves, rejoignant souvent la « recherche » sur laquelle Céline Alvarez dit s’appuyer. Nous avons rassemblé les expériences les plus concluantes d’un grand nombre d’instituteurs – de vrais enseignants, pas des vedettes médiatiques, mais des praticiens qui œuvrent au jour le jour. Et par le travail, la répétition, la patience et le sourire, on obtient d’excellents résultats – sans passer forcément par les neurosciences ou des méthodes imaginées il y a un siècle pour l’apprentissage des enfants à retard mental. »
L’autre enseignant est Thierry Venot auteur d’une méthode réelle d’apprentissage :
« L’école ne fournit plus les outils nécessaires à l’autonomie intellectuelle des jeunes. Je ne pense pas que l’avalanche obscurantiste qui, actuellement, nous submerge dans de nombreux domaines soit le fruit du hasard. Alors, tant mieux si Céline Alvarez a obtenu, avec des moyens considérables, de bons résultats. Ce que je sais, c’est qu’avec les moyens réels de l’Éducation nationale, et avec de bonnes pratiques, on obtient d’excellents résultats avec tous les enfants – sans prétendre faire jaillir d’eux je ne sais quelle étincelle mystique, mais en gravant dans leur mémoire et dans leur pratique les réflexes et les savoirs –, et il n’y a pas d’autre méthode qui tienne ! »
On sent l’irritation chez Brighelli et ses deux interlocuteurs. A mon sens ils sont probablement excessifs et manquent de bienveillance.
Je ne crois pas que cela invalide les pistes explorées et la recherche de Céline Alvarez, mais offre des nuances et montre qu’il n’y a pas de miracles mais de la complexité qu’il faut approcher et tenter de maîtriser.
Pour ma part je n’enlèverai rien à ce que disait Céline Alvarez « L’enfant apprend en étant actif et non passif, quand il est aimé et non jugé » et qui me parait l’essence de l’acte pédagogique.
Enquête après enquête, on constate que l’éducation nationale française décline et si elle continue à être en capacité de produire une élite de qualité au sens des normes internationales, elle n’arrive plus à enseigner au plus grand nombre et à l’amener à un niveau compatible avec les exigences de notre temps.
Céline Alvarez s’appuyant sur des méthodes anciennes (Montessori) mais aussi des recherches récentes explore des pistes, elle n’y arrivera certainement pas seule.
Pour que vous puissiez vous faire votre propre jugement, je mets en pièces jointes le mot du jour consacré à Céline Alvarez et l’article de Jean-Paul Brighelli.