Lundi 20 avril 2015

Lundi 20 avril 2015
« Comme tu as de grandes oreilles, grand-mère !
C’est pour mieux t’entendre. »
Charles Perrault
Le petit chaperon rouge, dialogue avec le loup
Que dire sur la loi sur le renseignement actuellement en débat à l’assemblée nationale ?
Une chose est positive, cette loi est largement débattue sur l’espace médiatique.
Une chose est sûre, nous sommes menacés par des groupes hostiles dont un des moyens utilisés pour porter leur message, est de tuer des français comme vous et moi. Et si nous appartenons à la communauté juive la menace est encore augmentée.
Il faut donc que nous nous protégions.
Vous avez la parole de la défense de la loi Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère, Président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et rapporteur du projet de loi sur le renseignement > http://www.franceinter.fr/emission-le-79-jean-jacques-urvoas-la-menace-ne-vient-pas-des-services. Je crois qu’on peut résumer son propos par l’affirmation que  la loi va encadrer des pratiques qui existent déjà et donc apporter plus de transparence dans ce domaine délicat des écoutes des gens.
Je vais vous donner mon éclairage en 3 points :
D’abord par un propos venu du XVIIIème siècle où en Occident le combat pour la liberté n’était pas acquis : Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des États-Unis (1706-1790), l’a dit en une phrase : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. ». (Edgar Morin a cité ce mot dans cette traduction, j’ai lu des contestations qui rapportent que le propos exact en anglais serait  : « Those who would give up essential Liberty, to purchase a little temporary Safety, deserve neither Liberty nor Safety » et dont la traduction serait plutôt «Ceux qui donnerait une liberté essentielle, pour acheter un peu de sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité ». )
Quand on se replonge dans les faits historiques, qu’observe-t-on ? Les plus grands crimes, les plus atroces, les plus massifs, les plus grandes oppressions, menaces contre la liberté et la sécurité ont été commis par des Etats et les tyrans qui s’étaient emparés du pouvoir politique au sein de ces Etats. La médaille d’or ne peut être obtenu par des individus même Jack l’éventreur, ni par des groupes mafieux même Al Capone, ni par des groupes terroristes que ce soit la bande à Baader, les Brigades Rouges, Action Directe ou même les FARCs de Colombie pour des références qui nous parlent, mais aussi <La secte des assassins qui avait fait du meurtre un moyen normal pour défendre ses thèses>_pour un exemple plus ancien, plus durable dans son existence et dont les victimes furent plus nombreuses.
Est-il nécessaire de vous rappeler certains crimes d’Etat : l’Allemagne nazie, l’URSS Stalinienne, la Chine maoïste et encore actuelle, l’empire ottoman des jeunes turcs, le Cambodge de Pol pot, le Rwanda des extrémistes hutus, l’Ouganda d’Idi Amin Dada et aussi la France de Pétain etc…
Quand on a cette expérience, il n’y a qu’une réponse possible : le contrôle indépendant des agissements de l’Etat, les contres pouvoirs et les sanctions dissuasives contre ceux qui peuvent décider de telles mesures de surveillance.
A ce niveau, le compte n’y est pas. Ainsi le juge spécialiste du terrorisme Marc Trévidic déclare : “Ces pouvoirs exorbitants se feront sans contrôle judiciaire […]. Ne mentons pas aux Français en présentant ce projet comme une loi antiterroriste. Il ouvre la voie à la généralisation de méthodes intrusives, hors du contrôle des juges judiciaires, pourtant garants des libertés individuelles dans notre pays.”  >http://www.lexpress.fr/actualite/projet-de-loi-sur-le-renseignement-les-reserves-du-juge-antiterroriste-marc-trevidic_1662838.html
Jean-Jacques Urvoas répond : oui mais il y a contrôle par des juges administratifs. Mes études de Droits m’ont appris que le juge administratif, encore une particularité française, a su sanctionner avec fermeté et indépendance des actes des autorités administratives. Mais nous parlons ici d’autre chose : de décisions restreignant les libertés prises ou couvertes par le Ministre de l’Intérieur, le Premier Ministre ou le Président de la République et cela change tout.
Par ailleurs, dans un avis adopté à l’unanimité en Assemblée plénière jeudi 16 avril, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’alarme de la « surveillance de masse » permise par le projet de loi relatif au renseignement dont le vote final est prévu en urgence le 5 mai. Elle juge qu’en l’état, le projet est « susceptible de porter une atteinte grave à l’article 8 » de la Convention européenne des droits de l’homme qui affirme « le droit au respect de la vie privée et familiale ». Mediapart publie l’intégralité de cet avis  qui appelle le gouvernement et les parlementaires à « renforcer la garantie des libertés publiques et des droits fondamentaux ».
Parce qu’en effet cette loi prévoit des écoutes de manière beaucoup plus large que les seuls faits de terrorisme.
Les pratiques en France
D’abord un propos privé rapporté par Olivier Duhamel dans cette excellente émission d’Europe 1 <Mediapolis du 18 avril 2015> Bruno Lemaire a dit “J’ai été directeur du Cabinet d’un Premier Ministre. Je sais comment c’est. Je peux vous dire qu’avec cette loi, on écoute qui on veut, quand on veut, comme on veut”. Vous trouverez cette phrase aux alentours de la 8ème minute de l’enregistrement
Ensuite, je voudrais vous rappeler un exemple et un extrait vidéo qui dit tout de la France, du comportement politique et de la quasi absence de contre-pouvoirs en France.
François Mitterrand avait une vie privée compliquée, comme a priori tous nos Chefs d’Etat. Il avait une fille dont la mère n’était pas son épouse. Il pensait que ce fait ne devait pas être révélé aux français. Les journalistes de l’époque ont d’ailleurs respecté ce secret. Mais cela ne suffisait pas, le monarque républicain a ordonné qu’on mette sur écoute un assez grand nombre de personnes.
Il a donc utilisé les pouvoirs exorbitants de la République pour des motifs strictement personnels et privés.
Je suis fonctionnaire des Impôts, si je vais consulter le dossier fiscal d’un contribuable que je n’ai pas vocation à contrôler, je suis sanctionné. Si j’utilise les moyens exorbitants que me donne la Loi pour réaliser mon travail de contrôle pour des motifs privés, pour obtenir des avantages privés, dans le cadre par exemple d’un divorce ou d’un conflit privé, je suis révoqué. Et c’est normal.
François Mitterrand aurait dû faire l’objet d’une procédure de révocation. Il n’est pas possible d’accepter que le Président utilise les outils destinés à défendre la sécurité nationale ou de prévenir des crimes pour des motifs de convenance personnelle.
Il n’existait pas de procédure pour ce faire à l’époque, puisqu’à l’époque il ne pouvait être mis en cause qu’en cas de Haute Trahison.
Depuis la réforme constitutionnelle du 23 février 2007, la rédaction de l’article 68 de la Constitution dispose désormais : « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »
Enfin, malgré cet article pensez-vous vraiment qu’un Président français  qui agirait comme Mitterrand serait mis en cause ?
La vidéo que je vous annonçais est une archive de L’INA où des journalistes belges, parce qu’il n’y a pas de journaliste français qui ont osé !, posaient des questions sur les écoutes dont on sait aujourd’hui qu’ils ont bien eu lieu.
D’abord il nie “Il n’y a pas de système d’écoute, on n’écoute rien ici.”
Puis, il essaye de dénigrer les questions, en essayant de faire passer l’idée que ce sont des questions futiles et relevant du journalisme de basse intelligence.
Au bout d’une quatrième question, il perd patience et finit “notre conversation est terminé” <https://www.youtube.com/watch?v=8KRLlkNNWvs>
A tout prendre, je préfère encore les Etats-Unis où le président Clinton a dû répondre de manière humble et modeste à un Procureur qui l’accusait d’avoir menti sur une affaire sexuelle, parce que là-bas il y a des contre-pouvoirs et que là-bas, Clinton risquait vraiment d’être démis par la procédure d’impeachment.
Malgré ses excès, je défends Jean-Marc-Bourdin qui est un vrai journaliste qui pousse ses invités dans les vrais retranchements et notamment Jean-Jacques Urvoas. Il rappelle aussi que les écoutes prévues ne sont pas limitées aux seuls soupçons de terrorisme. Plusieurs échanges très savoureux mettent le député en grande difficulté : Bourdin : “Donc quand une manifestation s’annoncera, vous allez mettre tous les organisateurs sous écoute ?” Urvoas “Bien sûr que non !” Bourdin “Ah bon ?”.
Et pour le barrage de Sivens “Vous allez bien mettre les participants sur écoute ?” “Urvoas “mais non”. Bourdin “Ah bon ?” « http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/jean-jacques-urvoas-face-a-jean-jacques-bourdin-en-direct-498119.html
Il faut donc tout un autre cadre juridique et un vrai contrôle avec des sanctions, non seulement des autorités administratives mais aussi des plus hautes autorités politiques de l’Etat pour que ces restrictions à la Liberté puissent être acceptables et maîtrisées.