Jessye Norman est décédée le 30 septembre, je lui ai consacré le mot du jour 2 octobre 2019.
Le magazine de musique « Diapason » de Novembre a publié un beau dossier à l’«adieu à Jessye Norman »
Ce dossier retrace son parcours et parle aussi de sa foi religieuse.
Mais ce que je voudrais partager aujourd’hui c’est le témoignage que le grand metteur en scène Bob Wilson a donné au Los Angeles Times et que Diapason a reproduit.
Robert Wilson est metteur en scène et plasticien. Il a suivi des études de peinture et d’architecture.
Il a souvent mis en scène des spectacles de Jessye Norman.
Par exemple, en 1982 «GREAT DAY IN THE MORNING» et en 2001, il avait mis en scène, au Théâtre du Châtelet, un spectacle consacré au « Voyage d’hiver » de Schubert.
Et voilà ce que narre Bob Wilson :
« Au moment des attentats du 11 septembre, nous donnions Le Voyage d’Hiver au Châtelet. Le lendemain du drame, Jessye m’appelle pour me dire qu’elle avait pleuré toute la nuit et n’aurait pas la force de chanter. Je lui ai répondu « Mais Jessye, c’est justement pour cela que tu dois chanter. Nous avons besoin d’entendre ta voix ».
Elle l’a fait.
Et bien sûr, à un moment, l’émotion l’a submergée , elle s’est arrêtée, demeurant immobile.
Elle ne chantait plus, ne bougeait plus, restait juste debout. Je ne connais personne d’autre qui aurait pu faire ça.
Ce qu’elle projetait, silencieuse et face à nous, était si intense que l’assistance a fondu en larmes.
Cela dura dix minutes. Dix minutes ! Son silence était plus puissant encore que son chant.»
Et il raconte une autre anecdote.
« Dès notre rencontre, au début des années 1970, j’ai été fasciné par elle. Elle a toujours compris son propre génie d’actrice […]. Il se nourrrisait de son exigence morale profonde, de sa révolte devant toute forme d’inégalité. Je me souviens avoir passé une nuit entière avec elle dans un commissariat, car elle avait vu des policiers arrêter dans la rue un homme noir qu’elle ne connaissait pas, mais voulait être certaine qu’il ne serait victime d’aucune discrimination ou mauvais traitement !
Elle l’a attendu jusqu’au matin. »
Jessye Norman, telle qu’en elle-même immense, sensible et généreuse.
Mais on ne peut finir un mot du jour sur Jessye Norman, sans un moment de chant.
Je n’ai pas trouvé d’extrait du spectacle du Voyage d’Hiver. Elle n’a d’ailleurs pas enregistré ce cycle de Schubert.
Mais écoutez donc ce bijou de moins de 2 minutes : « Zueignung » de Richard Strauss.
En voici les paroles et la traduction
Zueignung |
Dédicace |
Ja, du weißt es, teure Seele, |
Oui tu le sais précieuse amie, |
Hielt ich nicht, der Freiheit Zecher, |
Un jour assoiffé de liberté, |
Und beschworst darin die Bösen, |
Tu as conjuré le mal, |
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Il y a presque toujours une corrélation entre la sensibilité, voire la fragilité, d’un artiste et le niveau de son talent