Comme tout le monde, j’aimais Poulidor et j’aurais voulu qu’il gagne le tour de France.
Mais dire qu’il est l’éternel second est évidemment une fake news.
Son palmarès est remarquable puisqu’il peut se prévaloir de 189 victoires, dont Milan-San Remo (1961), la Flèche wallonne (1963), Paris-Nice (1972, 1973), le Critérium du Dauphiné (1966, 1969), le Tour d’Espagne (1964) etc.
Evidemment, la réputation d’éternel second est liée à la course la plus prestigieuse du cyclisme : le tour de France.
Et dans cette course il y eut comme une malédiction, un « chat noir ».
Il participa à 14 tours de France, le premier en 1962 à 26 ans et le dernier à 40 ans en 1976. Dans le premier et le dernier tour de France auquel il a participé, il a terminé troisième.
Il est d’ailleurs le recordman de podium sur le Tour de France puisqu’il termina 8 fois sur le podium dont 3 fois deuxième mais jamais premier.
Et même plus que cela, il ne porta jamais le maillot jaune, bien qu’il remporta 7 étapes.
Le moment le plus emblématique fut la course épaule contre épaule dans la montée du Puy de Dôme en 1964.
<Libération> rapporte cet affrontement avec ces mots :
« Ce jour-là, sur des pentes à 10%, le cyclisme est presque devenu un sport de contact, de combat. Épaule contre épaule, sans échanger le moindre regard, les deux hommes vont au bout de leurs limites. A la pédale et au mental, Poulidor finit par lâcher son adversaire, qu’il laisse à 42 secondes au sommet. Insuffisant pour le dépouiller de sa tunique jaune. Au final, Poulidor termine deuxième du Tour, à 55 secondes d’Anquetil. »
Ce qu’on dit rarement c’est que Poulidor ne gagna pas cette étape.
Il faut aller lire l’article de <La Montagne> pour savoir qu’il ne finit que troisième devancé par Jimenez et Bahomontés.
L’article de la Montagne est très complet et rapporte que ce Tour 1964 ne fut pas perdu lors de cette ascension mais dans les étapes précédentes :
« Sur les premières semaines, il aurait pu (dû?) s’emparer du maillot jaune. En effet, que de temps perdu dans les étapes précédentes ! D’abord, il y a cette arrivée rocambolesque à Monaco (9e étape) où le Creusois déboule en tête sur le vélodrome de la Principauté mais descend de son vélo un tour de piste trop tôt, ce qui permet à… Anquetil de lui passer devant et de remporter l’étape, empochant ainsi la bonification d’une minute promise au vainqueur…
Puis il y a ce contre-la-montre entre Peyrehorade et Bayonne (17e étape), épreuve sur laquelle Anquetil excelle d’ordinaire, où Poulidor alors en tête est victime d’une crevaison. Arrive ensuite un incroyable concours de circonstances : le mécano se précipite avec un vélo de rechange mais trébuche et tombe dans un fossé, se blessant à la cheville. Le coureur est ainsi obligé de descendre pour aller chercher sa nouvelle monture, mais suite à la chute de celle-ci, le guidon est faussé, obligeant Poulidor à s’arrêter à nouveau quelques mètres plus tard pour tout remettre en ordre. »
Mais ce que je trouve remarquable c’est ce que Poulidor raconte dans un article publié par le journal suisse « Le Temps » :
«Plus j’étais malchanceux, plus le public m’appréciait, plus je gagnais du fric. Il m’est d’ailleurs arrivé de penser que gagner ne servait à rien.»
Il répétait souvent, à la fin de sa vie:
«Si j’avais gagné le Tour, on ne parlerait plus de moi aujourd’hui.»
Il raconte dans un autre article que sa popularité était telle que pour avoir sa participation, les organisateurs de critérium lui versaient des primes plus importantes qu’à Anquetil qui gagnait davantage de courses. Ce dernier en était d’ailleurs fort marri.
Poulidor apparaissait comme le perdant, mais un perdant magnifique qui était allé au bout de lui-même.
Des esprits chagrins, croyant de la supériorité du vainqueur, ont d’ailleurs, en s’appuyant sur la popularité de Poulidor, reproché aux Français de préférer les perdants. Ils entendaient pointer ainsi du doigt, selon eux, une tare de la France dans la compétition mondiale.
Le Huffington Post a consacré un article à ce sujet : « Pourquoi on adore les perdants comme Raymond Poulidor »
Pour ma part, lors d’un des mots du jour sur le football, avant la coupe du monde 2018, je m’étais offusqué de l’injonction de notre jeune président qui fait probablement partie de ces esprits chagrins.
Ce fut le dernier de la série, publiée le 26 juin 2018 et je racontais la chose suivante :
« Et puis pour finir vraiment, je voudrais revenir à la visite d’Emmanuel Macron à l’équipe de France de football à Clairefontaine. Pendant cette visite il a eu ce jugement :
«Une compétition est réussie quand elle est gagnée»
Montrant bien que pour lui ce sont les gagnants que l’on doit admirer et honorer.
C’est une philosophie de vie, c’est une morale.
Une morale que je ne partage pas.
Et le football encore m’aide à l’expliquer.
L’équipe de France de 1982 a perdu à Séville contre l’Allemagne. Je crois que tous ceux qui aiment le foot gardent beaucoup d’affection pour cette équipe de perdants.
Et l’équipe de 1986 qui avait battu le champion du monde sortant italien en 1/8ème finale. En ¼ de finale elle a rencontré l’équipe de Brésil de Socratés que j’ai déjà évoqué lors du mot du jour de vendredi. Certains historiens du football disent que ce fut le plus beau match de l’Histoire du football, tous disent que ce fut l’un des plus beaux. Et ce fut l’Argentine qui gagna la coupe du monde, l’Argentine de Maradona qui se qualifia grâce à la tricherie de ce dernier marquant un but avec la main contre l’Angleterre.
L’équipe de France de Platini et l’équipe du Brésil de Socratés furent des équipes de perdants, mais des perdants magnifiques.
Heureusement, M Macron que le monde de nos souvenirs et de nos célébrations n’est pas qu’un monde de gagnants. Il serait beaucoup moins beau, avec moins d’émotion, d’intelligence, de saveur, plus uniforme, plus triste. »
Et je crois que le témoignage de Poulidor nous apporte cette sagesse qu’il n’y a pas que la victoire qui est belle.
C’est un monde assez affreux que celui dans lequel on n’honore que le vainqueur.
Dans un monde où le premier rafle tout.
C’est un monde assez proche de celui dans lequel nous vivons.
Mais les français aiment Poulidor, c’est peut-être cela leur particularité et leur grandeur.
« Il m’est arrivé de penser que gagner ne servait à rien »
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