Mercredi 3 octobre 2018

«Si les arméniens et les juifs n’aimaient pas vraiment la vie, ils auraient tous deux disparu depuis bien longtemps.»
Charles Aznavour

Charles Aznavour vient de décéder ce 1er octobre 2018. Il a écrit plus de 1000 chansons, il a surtout écrit de bien beaux textes que j’ai déjà convoqués deux fois pour les mots du jour.

Une première fois pour exprimer ce que j’avais ressenti après avoir entendu, Polina Jerebtsova, auteur du « Journal de Polina, Une adolescente tchétchène » qui évoquait la guerre que la Russie a mené en Tchétchénie

La chanson avait pour titre « Les enfants de la guerre » qui débutait ainsi :

Les enfants de la guerre
Ne sont pas des enfants
Ils ont l’âge de pierre
Du fer et du sang
Sur les larmes de mères
Ils ont ouvert les yeux
Par des jours sans mystère
Et sur un monde en feu
Les enfants de la guerre
Ne sont pas des enfants
Ils ont connu la terre
À feu et à sang
Ils ont eu des chimères
Pour aiguiser leurs dents
Et pris des cimetières
Pour des jardins d’enfants

C’était le mot du jour du 24 septembre 2013

Et c’est bien sûr à Charles Aznavour, arménien, né en 1924, 9 ans après le début du génocide arménien que j’ai emprunté les mots pour évoquer cette faille de l’humanité le 8 avril 2015

J’expliquais que si les arméniens commémorent le génocide arménien le 24 avril, parce que le 24 avril 1915 correspond à l’arrestation de 300 intellectuels et notables arméniens à Constantinople et a été suivi par tout le mécanisme génocidaire, c’était le 8 avril 1915, à Zeitoun, ville de Cilicie au Nord l’Alep, que les exactions avaient commencé : <Massacres à Zeïtoun>

J’avais pris pour exergue un extrait de la chanson « ils sont tombés »

«Ils sont tombés pour entrer dans la nuit éternelle des temps, au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie.»

Mais je crois qu’on peut citer ce texte plus longuement :

«Ils sont tombés, sans trop savoir pourquoi
Hommes, femmes, et enfants qui ne voulaient que vivre
Avec des gestes lourds comme des hommes ivres
Mutilés, massacrés, les yeux ouverts d’effroi.
Ils sont tombés en invoquant leur Dieu
Au seuil de leur église ou au pas de leur porte
En troupeau de désert, titubant, en cohorte
Terrassés par la soif, la faim, le fer, le feu.
Nul n’éleva la voix dans un monde euphorique
Tandis que croupissait un peuple dans son sang
L’Europe découvrait le jazz et sa musique
Les plaintes des trompettes couvraient les cris d’enfants.

Ils sont tombés pudiquement, sans bruit,
Par milliers, par millions, sans que le monde bouge,
Devenant un instant, minuscules fleurs rouges
Recouverts par un vent de sable et puis d’oubli.
lls sont tombés, les yeux pleins de soleil,
Comme un oiseau qu’en vol une balle fracasse
Pour mourir n’importe où et sans laisser de traces,
Ignorés, oubliés dans leur dernier sommeil.
Ils sont tombés en croyant, ingénus,

Que leurs enfants pourraient continuer leur enfance,
Qu’un jour ils fouleraient des terres d’espérance
Dans des pays ouverts d’hommes aux mains tendues.
Moi je suis de ce peuple qui dort sans sépulture
Qui choisit de mourir sans abdiquer sa foi,
Qui n’a jamais baissé la tête sous l’injure,
Qui survit malgré tout et qui ne se plaint pas.
Ils sont tombés pour entrer dans la nuit
Éternelle des temps, au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge
Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie.»

Bien sûr Charles Aznavour a beaucoup agi pour la reconnaissance de ce génocide qui a touché le peuple de ses ancêtres et œuvré pour aider l’Arménie contemporaine.

Quand l’Arménie a été frappée par un séisme, il a organisé une collecte de fonds pour aider les sinistrés et écrit une autre chanson : « Pour toi Arménie ».

Mais ce que je trouve remarquable chez cet homme c’est qu’il ne s’est pas figé sur le seul malheur de son peuple.

Il s’est toujours senti proche de l’autre peuple ayant subi un grand génocide : le peuple juif.

Il a chanté « Yéroushalaim »

C’est sur ce site que j’ai appris que lors d’un voyage en Israël, il avait dit : « Si les arméniens et les juifs n’aimaient pas vraiment la vie , ils auraient tous deux disparu depuis bien longtemps  »

Et les tziganes, autre peuple victime de la monstruosité des nazis étaient également chers à son cœurs : « Les deux guitares »

Le journal « Têtu » rappelle aussi qu’en 1972 :

La France pénalise toujours l’homosexualité, qu’elle considère encore comme une maladie mentale. Cette même année pourtant, Charles Aznavour séduit le pays avec « Comme ils disent». Une chanson qui dépeint la vie d’un homme gay avec une intelligence, une bienveillance et une finesse qui manque encore à beaucoup aujourd’hui.

Il fut aussi soutien du féminisme « Le Droit Des Femmes »

C’étaient les bons combats, la sensibilité, la bienveillance et la profondeur des textes mis au service de ces causes.

Et que dire de cette chanson qui ne peut que toucher les filles et les fils qui doivent dire un dernier adieu à leur maman : « La Mamma »

Claude Askolovitch a consacré une remarquable <revue de presse le 2 octobre> à Aznavour :

« Et d’un monde enfoui, quand un petit arménien de Paris portait une petite bague avec la faucille et le marteau, et serait pendant la guerre le témoin de l’héroïsme des résistants métèques et communistes. Il l’a raconté dans l’Humanité.. 

« Ma mère partait avec la voiture d’enfant où des armes étaient dissimulées. Les armes servaient, on les remettait dans la voiture, maman rentrait à la maison. » Et à la maison, Charles apprenait à jouer aux échecs avec un poète communiste et arménien qui s’ennuyait, caché, il s’appelait Missak Manouchian et serait le premier des fusillés de l’affiche rouge…

C’était Charles Aznavour, un auteur-compositeur-interprète, avant tout un poète et qui faisait aussi du cinéma.

<1122>

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *