Jeudi 20 Août 2015

Jeudi 20 Août 2015
« L’art difficile de ne presque rien faire »
Denis Grozdanovitch
Qu’as-tu fait de tes vacances ? Question rituelle.
Car il faut faire ! Être actif.
Qu’est-ce que tu as fait de tes vacances cela signifie qu’on a fait quelque chose qu’on les a fait fructifier dans le sens où on s’est bien activé, qu’on a vu plein de choses
L’oisiveté est la mère de tous les vices, prétendent le pasteur, le moraliste et l’économiste.
Normalement les vacances ont été créées pour se reposer. Mais la morale du travail, de l’efficacité, a rattrapé les loisirs qui doivent être productifs, efficaces, racontables.
 Plusieurs invités participaient à cette émission, dont Denis Grozdanovitch, écrivain, qui a écrit un livre : « L’art difficile de ne presque rien faire », que j’ai choisi pour ce mot du jour d’après le silence d’un mois.
Une autre invité Mona Chollet, journaliste et essayiste, a introduit l’émission par ces propos :
« L’oisiveté demande un luxe de temps phénoménal. C’est un temps qu’on cesse de mesurer, de compter, c’est un temps de plus en plus rare, tant est grand l’injonction d’être productif et rentable. On ne sait plus que travailler, tout devient travail. On est pris dans cette malédiction de l’efficacité, de la rentabilité de la productivité. Faire quelque chose de concret, de palpable. Pour ne pas avoir l’impression de perdre son temps. Cela nous marque profondément et on a beaucoup de mal à s’en extraire. »
Cyril Morana, professeur de philosophie, invité aussi, vient de rédiger la postface de la réédition d’un ouvrage du philosophe latin Sénèque :« éloge de l’oisiveté »
« Pour Sénèque oisiveté n’est pas la paresse c’est plutôt une retraite méditative. Sénèque est un stoïcien C’est un moment de mise à l’écart devant l’agitation de la cité, pour prendre le temps de réfléchir. Réfléchir à la beauté du monde. Faire le bilan du temps qui vient de s’écouler de notre existence et peut-être se dire qu’on a perdu beaucoup de temps
On voit donc que l’oisiveté pour Sénèque n’est pas une paresse mais bien un temps très fécond. C’est un temps qui précède une action qui deviendra enfin pertinente, une action mûrie dans la réflexion. »
Pour revenir à l’auteur du mot du jour : » Denis Grozdanovitch », il était un ancien champion de France junior de tennis destiné à une brillante carrière mais qui n’a pas persévéré.
Il explique que ce qu’il aimait dans le tennis, c’était de jouer, de s’amuser.
Il s’est vite rendu compte que ce n’était pas ce qui était demandé : « On nous demandait d’être comme disent les américains des killers ».
A Roland Garros, aucun tennisman ne s’amuse plus, ce sont des robots qui en plus souffrent.
Les loisirs sont insidieusement influencés par la morale du travail.
Mais il a élargi son propos à la sphère économique.
Il faut dire qu’il est un adepte de la décroissance qui se réfère à Jacques Ellul et plus récemment Serge Latouche et son livre  » décoloniser l’imaginaire »
Mais il a surtout cité un extrait d’un livre de Bertrand Russell «éloge de l’oisiveté »
Bertrand Russell (1872 -1970) est un mathématicien, logicien, philosophe, homme politique et moraliste britannique. Russell est considéré comme l’un des plus importants philosophes et mathématiciens du XXe siècle. Son œuvre, qui comprend également des romans et des nouvelles, fut couronnée par le prix Nobel de littérature en 1950. Il était à l’origine communiste mais il avait rencontré Lénine et a dit « j’ai immédiatement vu que cet homme était un fanatique et je pense que les choses vont tourner très mal.»
Voilà cet extrait :
« Supposons qu’à un moment donné, un certain nombre de gens fabriquent des épingles
Ils fabriquent autant d’épingles qu’il en faut pour le monde entier, en travaillant huit heures par jour
Quelqu’un met au point une invention qui permet au même nombre de personnes de faire deux fois plus d’épingles qu’auparavant.
Mais le monde n’a pas besoin de plus d’épingles. Les épingles sont déjà si bon marché qu’on n’en achètera guère davantage même si elles coûtent moins cher.
Dans un monde raisonnable tous les travailleurs de cette usine commenceraient à travailler quatre heures par jour au lieu de huit heures. Et tout irait comme avant.
Mais dans le monde réel on craindrait que cela ne démoralise les travailleurs. Les gens continue donc à travailler huit heures par jour.
On fabrique donc trop d’épingles. Des entreprises font faillite. La moitié des ouvriers se trouve au chômage. Au bout du compte, la somme du temps de loisirs global est le même dans les deux cas
Mais dans le second cas la moitié des individus est condamnée à l’oisiveté totale. Quant à l’autre moitié, elle continue à trop travailler.
Finalement le loisir inévitable devient cause de misère pour tout le monde, plutôt que d’être une source de bonheur universel.
Peut-on imaginer plus absurde ? ».
Voici à nouveau  le lien vers cette émission instructive qui fait réfléchir : http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-d-ete-peut-on-encore-ne-rien-faire-2015-07-31.