Vendredi 3 avril 2015
« Celui qui s’attache à l’obscurité a peur de la vague.
Le tourbillon de l’eau l’effraie.
Et s’il veut partager notre voyage,
Il doit s’aventurer bien au-delà du sable rassurant du rivage.»
Le tourbillon de l’eau l’effraie.
Et s’il veut partager notre voyage,
Il doit s’aventurer bien au-delà du sable rassurant du rivage.»
Hafez
Hafez de son vrai nom Khouajeh Chams ad-Din Mohammad Hafez-e Chirazi est un poète, philosophe et un mystique persan né autour des années 1310-1337 à Chiraz (Iran).
Ces vers ont été mis en exergue par Delphine Minoui dans son livre «Je vous écris de Téhéran».
L’Iran se trouve au premier plan de l’actualité en raison des négociations sur le nucléaire et parce qu’il détient une grande part de la solution des conflits au moyen orient.
Hier, il semble qu’un accord cadre sur le nucléaire ait été trouvé à Lausanne.
L’Iran est un immense pays qui plonge ses racines dans l’antique Perse, l’adversaire des cités grecques, d’Alexandre le Grand puis de l’Empire romain et enfin de l’empire byzantin.
Delphine Minoui nous parle des iraniens qui étouffent sous la dictature des mollahs mais aussi d’un peuple fier d’avoir retrouvé son indépendance après la vassalisation aux Etats-Unis que caractérisait le régime du Shah.
Elle était l’invitée de l’émission « Un jour dans le monde » du 16 mars 2015 pour présenter son livre : http://www.franceinter.fr/emission-un-jour-dans-le-monde-je-vous-ecris-de-teheran. Je l’ai trouvée passionnante.
Née en 1974 à Paris, de mère française et de père iranien, Delphine Minoui est une journaliste franco-iranienne correspondante du Figaro et d’autres médias français d’abord à Téhéran, puis à Beyrouth et aujourd’hui au Caire. Elle a été lauréate du prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Iran et en Irak.
Elle explique qu’elle n’est née à son passé persan que lorsque son grand-père iranien, grand diplomate sous le Shah d’Iran est venu se faire soigner et mourir à Paris en 1997. Son livre est une lettre posthume à son grand père.
Elle raconte : qu’après avoir dû quitter précipitamment l’Iran lors des manifestations qui avaient fait suite à l’élection controversée d’Ahmadinejad en 2009 qu’elle suivait en tant que journaliste elle a d’abord posé sa plume longtemps :
«Avant de me remémorer ces vers de Hafez qu’un jour tu m’offris en cadeau.
Celui qui s’attache à l’obscurité a peur de la vague.
Le tourbillon de l’eau l’effraie.
Et s’il veut partager notre voyage,
Il doit s’aventurer bien au-delà du sable rassurant du rivage.
C’était à Paris, un matin de novembre 1997. Je ne le savais pas encore mais, de ce poème, j’allais faire ma profession de foi. Ce jour-là, tu venais d’arriver d’Iran pour une opération du cœur. Une intervention bénigne, avaient dit les médecins. J’avais 23 ans. Tu en avais au moins trois fois plus et je te croyais immortel. A cause de la distance, sans doute, qui nous avait toujours séparés. Lors de tes rares passages en France, tu avais cette manie de t’exprimer en poèmes que tu omettais de traduire. Toi qui avais représenté l’Iran à l’Unesco à la fin des années 1950, tu connaissais Hafez sur le bout du doigt. Tu disais que l’illustre poète du XIVe siècle avait réponse à tout, que ses écrits valaient mieux que n’importe quelle boule de cristal. Qu’il suffisait d’en piocher un au hasard pour entrevoir son avenir proche. Il y avait quelque chose de magique à t’écouter réciter ce que je percevais comme du charabia. Ce jour-là, sur ton lit d’hôpital, tu avais pris la peine de t’expliquer. Tu avais manifesté ce désir inattendu de m’initier à ta langue natale. Un étonnant caprice. Comme un besoin vital. Personne, à la maison, ne s’était jamais soucié de m’enseigner mes origines. De droite à gauche, ton stylo s’était mis à danser, en habillant les consonnes de minuscules accents colorés. A chaque ligne, une petite traduction française talonnait ta calligraphie. Ce poème, mon premier cours de persan. Un de tes derniers soupirs.
[…]
Ta disparition soudaine me prit de court. De toi, je connaissais si peu. Et de ton pays, encore moins. Enfant, je t’envoyais des lettres comme on toise l’inconnu. Je les agrémentais toujours de dessins colorés aux personnages invariables. Papa. Maman. Ma sœur, Nasrine, et moi-même. Un petit échantillon de ta famille dispersée à travers la planète sous forme de chroniques miniatures rédigées en français. Mes premiers reportages… On dit que l’écriture libère. A l’époque, j’y voyais un jeu de cache-cache avec ton ombre. Ou plutôt un intriguant puzzle, dont je cherchais obstinément les pièces manquantes.
Tant d’années sont passées depuis ta mort. Quelle troublante sensation que de reprendre aujourd’hui la plume en sachant tout de toi. De te dédier cette longue lettre alors que tu n’es plus là. Petite, quand je t’écrivais depuis Paris de mes mains potelées, je t’imaginais en train de feuilleter mes missives, assis sur ta jolie terrasse téhéranaise où j’avais passé l’été de mes 4 ans. Car l’Iran de ma mémoire de gamine, c’était ça et rien d’autre: une terrasse ornée de forsythias, des glaces à l’eau de rose, une piscine gonflable pour patauger, et les mélopées du persan en fond sonore. Papa nous y avait envoyées toutes les trois pour les vacances. C’était en août 1978. En plein milieu du jardin, maman se dorait sa peau de Française, le visage encadré de feuilles d’aluminium pour capter le reflet des UV, au grand désespoir de grand-mère qui la traitait de grille-pain. En Orient, la blancheur est sacrée.»
Extrait de la quatrième de couverture : « Delphine Minoui raconte ses années iraniennes, de 1997 à 2009. Au fil de cette missive où passé et présent s’entrechoquent, la journaliste franco-iranienne porte un regard neuf et subtil sur son pays d’origine, à la fois rêvé et redouté, tiraillé entre ouverture et repli sur lui-même. Avec elle, on s’infiltre dans les soirées interdites de Téhéran, on pénètre dans l’intimité des mollahs et des miliciens bassidjis, on plonge dans le labyrinthe des services de sécurité, on suit les espoirs et les déceptions du peuple, aux côtés de sa grand-mère Mamani, son amie Niloufar ou la jeune étudiante Sepideh.
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La société iranienne dans laquelle se fond l’histoire personnelle de la reporter n’a jamais été décrite avec tant de beauté et d’émotion.».
Vous trouverez une interview sur le site de ce journal suisse : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/860b90fc-c805-11e4-959d-74804f4bcbe7/Lettre_%C3%A0_Babai_mon_grand-p%C3%A8re
Une interview de France24 où elle parle de son livre et de son expérience iranienne vous montrera cette femme qui irradie l’intelligence et le courage :
Elle tenait aussi un blog qu’elle a appelé Chroniques orientales : http://blog.lefigaro.fr/iran/ mais la dernière publication date de juillet 2014