Mardi 5 avril 2016

Mardi 5 avril 2016
« Avec le recul, je pense que nous [les anti maastrichtiens de droite] nous sommes trompés, trompés de cible et d’argumentaire : nous combattions le « Super État » [Européen].
La construction européenne n’est qu’un affichage.
En réalité, elle est une déconstruction. Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec la politique. »
Philippe de Villiers : <Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu>
Avant de faire un commentaire, je cite cet extrait du livre de Philippe de Villiers :
« Les hasards de la vie m’ont conduit à croiser la route du sociologue Michel Crozier. Il était l’auteur de la formule « la société bloquée ». Un jour, au café Procope, il me lut un extrait du rapport de 1975 de la trilatérale intitulé : « the crisis of Democracy », qu’il avait coécrit avec l’Américain Samuel Huntington. Il s’alarmait des signes avant-coureurs d’une pression trop forte des gouvernés sur les gouvernants. Pour la première fois il anticipait l’émergence d’un nouvel âge raisonnable, « postnational et post démocratique ». Derrière ce rapport et dans l’esprit des concepteurs de la fusion des nations européennes, il y avait un objectif caché, un but ultime – pour l’heure, dissimulé –, c’était le dépassement des nations pour transformer le monde en un seul marché de consommateurs.
L’Europe unie n’était qu’une étape. C’était la première cuillerée huile de foie de morue. Il y en aurait une autre : le marché planétaire.
Avec le recul, je pense que nous autres, les « conscrits de Maastricht », nous nous sommes trompés, trompés de cible et d’argumentaire : nous combattions le « Super État ». Mais nos auditeurs, nos électeurs pensaient en eux-mêmes, en nous écoutant : « un super état, c’est un état super ! » Les Français y ont cru : on va être enfin gouverné et en aura bientôt un pays démultiplié, une France plus puissante, une industrie décuplée, l’Europe sera une addition, on va changer de dimension. Il ne faut pas rester recroquevillé, frileux. Nous allons prendre le large : « les États-Unis d’Europe seront bientôt les rivaux des États-Unis d’Amérique. » Nous allons devenir – non, la France – le cœur battant de la première puissance du monde. Pourquoi donc vouloir rester tout seul ? Le monde change, les atouts de la puissance aussi. Alors les électeurs ont voté pour Maastricht.
Et c’est là que la manœuvre intervient. Car ce n’est pas du tout ce qu’il y avait dans l’esprit même des penseurs de l’Europe de 1992. Profitant de la crédulité du peuple, et probablement aussi de la candeur des idiots utiles qui avaient des étoiles dans les yeux en voyant celle de la madone sur le drapeau de l’Europe, les stratèges de l’ombre travaillaient secrètement à tout autre chose : il ne voulait pas d’un super état, d’une super frontière, d’une super nation, d’une superpuissance. Ils le prétendaient pour tromper les peuples. Leur intention était toute autre.
Le secret bien gardé, c’est qu’il recherchait une gouvernance mondiale d’experts et de financiers, quand on aurait justement abattu toutes les frontières, abaissé les états, dissout les nations.
La construction européenne n’est qu’un affichage. En réalité, elle est une déconstruction. Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec la politique.
Ce dessein était soutenu par des penseurs radicaux comme Tony Negri, qui voulait « faire disparaître cette merde d’État-nation ». Allons plus loin : l’utopie Maastrichtienne recelait une tentative inouïe, inédite dans l’histoire des peuples européens, d’anéantissement du politique.
Il s’agissait tout simplement de vivre sans politique, sans gouvernement, sans constitution, sans démocratie et même sans géographie ni limites. On voulait dissoudre la notion de peuple, la notion de communauté nationale, la notion de territoire. C’est à ce moment-là qu’on se mit à parler d’un « espace sans frontières ». Ce magma en fusion de nations millénaires n’avait pas de visée politique, en ce sens qu’il ne cherchait pas à remplacer nos vieux pays par une nouvelle nation européenne en laquelle, ils seraient ainsi appelés à se fondre.
Derrière toute cette construction apolitique, il y avait bien l’idée de faire disparaître les nations. Mais il n’y avait aucunement l’idée d’en faire naître une nouvelle. »
Philippe de Villiers : Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu – pages 58 à 60
Bien sûr ces propos ont une tendance à se baser sur des thèses complotistes qu’il m’est difficile de soutenir.
Mais à l’heure d’aujourd’hui cette analyse sonne quand même très juste.
C’est un problème très grave qui se pose à nous : la dimension politique est au niveau national, Mais les décisions économiques sont au niveau européen qui n’est pas atteint par la démocratie. C’est bien sûr une grande erreur de dire que le pouvoir est entre les mains de la commission européenne formés de gens qui ne sont pas élus, parce que le pouvoir de décision est entre les mains de la collectivité des Etats qui composent l’Union. C’est le conseil de l’Union européenne qui décide. Ce conseil est la réunion des ministres des 28 États membres (par portefeuille), représentant les gouvernements.
Et lorsqu’il y a vraiment des questions stratégiques à débattre, c’est le Conseil européen qui est le sommet des chefs d’État et de gouvernement des États membres qui se réunit.
Ce sont donc les exécutifs des Etats, qui en conclave, décident. Et ces décideurs ont une vague notion de l’intérêt général de l’Union, ce qui les préoccupe est le territoire politique et démocratique, c’est à dire l’intérêt unique de leur Etat.
Cela n’a aucune raison de fonctionner.
Ils se mettent donc d’accord sur des règles dont la pertinence n’est pas évidente, charge à la commission de contrôler si les Etats qui ont décidés ces traités contraignants, les respectent sous peine de sanction.
Et à ce stade, on arrive bien à ce qui est décrit par Philippe de Villiers : une gouvernance d’experts et de financiers, un espace qui ne réunit qu’un marché de consommateurs.
C’est un dilemme : J’ai cru François Mitterrand quand il a dit : “La France est notre patrie, l’Europe notre avenir”
Oui la France est trop petite pour peser, c’est une petite province au milieu du monde des puissances, mais l’Europe ne prend pas la place qu’exige cette évolution et nous laisse au bord de la route.
Dans la crise grecque, la crise actuelle des dettes et la crise des réfugiés il n’y a pas de dimension politique, de simples discussions d’égoïsmes économiques et étatiques. Des experts pour qui la notion d’alternance ou d’alternative constituent des concepts archaïques.
Il mes suffit de rappeler quelques mots du jour anciens :
Mercredi 25 mars 2015 : «Ne vous inquiétez pas, en Europe nous avons le système qui permet de ne pas tenir compte des élections.» Propos d’un fonctionnaire européen rapporté par Raphaël Glucksmann
Mardi 05 mars 2013 : «Doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électorales ?» Manuel Barroso, précédent Président de la commission européenne. La réponse à cette question, posée comme cela est bien sûr : Non.
Et Philippe de Villiers donne d’autres exemples aux pages 156 et 157 de son livre :
Claude Cheysson, ministre des affaires étrangères de Mitterrand et ancien membre de la commission européenne : «Dès les origines, nous nous sommes placés dans l’adémocratie»
Raymond Barre, un soir de janvier 1988 : «Je n’ai jamais compris pourquoi on voulait faire accepter l’idée européenne par les opinions concernées»
Et plus récemment Jean-Claude Juncker a dit après les élections grecques «Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités. Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens.»
Évidemment quand on lit ce que pensent ces technocrates on ne peut être que profondément choqué.
J’ai le sentiment que les nations sont comme les baïonnettes, on peut faire beaucoup de choses avec elles sauf s’asseoir dessus.
Aujourd’hui ce sont des populistes qui profitent de cet aveuglement !